Le brame du cerf,
ce soir,
ça m'a rappelé ce fou d'aventures,
ce pyrénéen exilé à Paris, inconsolable,
capable de montrer son cul nu et poilu
sur une scène de variété ou au bordel
après un match de rugby, ou même
de jeter un importun dans la Seine,
mais qui,
cet automne-là fonçait à corps perdu
sur un bout d'autoroute en construction
encore encombrée de matériaux divers,
dangereuse et évidemment interdite,
pour aller écouter le brame des cerfs,
la nuit, dans les bois du côté de Chartres
de retour chez lui, au Pont de Sèvres,
amoureux jaloux, il joignait son brame
à celui de ses frères des bois avec,
de temps à autres, des écarts violents
que Sonia, sauvage et rusée amazone,
biche perverse, supportait sans révolte,
assurée d'avoir raison du grand enfant
qu'il était, qui reviendrait bientôt, contrit,
sanglotant, éperdu, vieux mâle pitoyable
en fin de règne, se traîner à ses pieds
. . . . .
en cette saison, ici, aux portes du Morvan,
dès le crépuscule et jusqu'au matin,
le choeur des vieux cerfs retentit,
chant de la forêt, lent, rauque, lancinant,
moins un appel ou un cri d'amour
qu'une plainte, un soupir, presqu'un râle
aussi décevant que celui du lion, la nuit,
sur les bords de la Bénouée, appelant,
lamentablement aussi, sa femelle
disparue,
je comprends tout à coup, des années après,
l'élan désespéré, suicidaire, la force obscure
qui entraînait l'amant sur ces routes fatales,
pour faire taire, exorciser ses craintes
et ses passions tristes
j'ai compris qu'il courait ainsi dans la nuit
jusqu'à faire éclater son carter d'huile
sur un des blocs de pierre qui traînaient là,
sur cette route en chantier,
non pas pour écouter
mais pour pousser lui aussi son brame
à la face des cieux et des dieux de la forêt,
tant il sentait que la femme qu'il aimait,
elle, ne l'aimait plus vraiment