aujourd'hui, il trace des mots dans les airs,
sur le sable et même, parfois, sur le papier
c'est ce même homme qui sur des chantiers
de rencontre, de vieilles demeures en ruine,
a appris la patience, le respect des matériaux,
la nécessité et la beauté des formes justes,
d'une voûte, d'un arc ou d'une simple génoise,
il a connu, comme avec les mots aujourd'hui,
l'épreuve des tâtonnements, des hésitations,
des doutes, des repentirs, mais aussi la joie,
comme dieu même, sans doute,
de faire exister les choses*
il a vite compris, à travers les sports solitaires,
et le plus passionnant, la plongée en apnée
dans toute sorte de mers, toute sorte de climats,
de la Patagonie aux Tropiques et à l'Equateur,
de la côte des Basques à la côte Vermeille,
les vertus du temps, de l'attente, de la prudence,
de la modestie, de la frustration, de l'échec,
il a ressenti aussi la force irrésistible du désir,
l'attrait de ces univers inconnus et hostiles,
la fascination du danger et de la mort
c'est le même homme qui, comme aux fourneaux
un civet de lièvre, un tagine ou une tête de veau,
cuisine aujourd'hui les mots avec le même sérieux,
la même obstination, la même ferveur qu'autrefois
il bâtissait un mur ou remontait du fond de la mer
une amphore oubliée là depuis des siècles,
avec l'entêtement du laboureur traçant sans fin,
dans ses champs, des sillons bien parallèles
comme autant de vers vigoureux, bien rythmés
poursuivi encore et toujours par ses vieux démons :
vivre intensément chaque instant et en même temps,
toujours insatisfait, curieux, affamé de découvertes,
avoir toujours un œil tourné vers l'ailleurs et l'avenir,
pour encore et encore, même de façon imperceptible,
invisible pour les autres, changer de lieu, de rôle,
de personnage,
"ne plus être ce qu’on était
et devenir ce qu’on n’est pas encore " **
* "les choses n'existent que quand on les a écrites ". Virginia Woolf (?)
** à propos de Parménide (R. Mucchielli : La Philosophie, Bordas )
