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(Note de lecture), Le Sacret, de Marc Graciano, par Christophe Esnault


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Posté 05 décembre 2018 - 10:34

 

6a00d8345238fe69e2022ad3c4e7f2200b-100wiEn 2016, passer pas loin dâune heure à pester dans une librairie : soulever des livres, en lire des morceaux et ne pas trouver trace dâécriture jusquâà lire une page de Marc Graciano, debout devant le rayonnage, et être bien certain de tenir là écriture et écrivain. Ce livre sâappelait Au pays de la fille électrique*. Plus tard, jâappris quâune lectrice qui défendait pourtant vivement ce texte nâavait pas supporté une description sordide et ultra violente, mettant en jeu une jeune femme et quelques décervelés. La lectrice avait assez vite sauté le chapitre pour passer au suivant. Pour ma part, ma lecture avait été - quelque peu - détachée du propos grâce à  une  langue capable dâune mise à distance avec â il est vrai â un sordide digne dâHubert Selby Jr. Mise à distance de mes affects par lâart de lâécriture, bien supérieure à « ce qui se dit / se déroule ». Depuis, il y a eu Enfant-pluie**, un conte, une féerie, une merveilleuse plongée dans une nature insoupçonnable avec Celle-qui-sait-les-herbes, celle qui fait naître et pense le monde, conte philosophique aussi ou manuel de savoir-vivre par la rencontre dâun personnage-monde. Un rapprochement hâtif et limité pourrait nous laisser évoquer une enclave-écologique-organique-et-animale où les mots et la présence-au-monde viendraient nettoyer celui dâÉcologie dont on ne sait plus ce quâil veut dire sinon quâelle est incompatible avec le capitalisme. Le monde social et ses rouages, ses mécanismes millénaires sont présents dans les livres de Marc Graciano, mais ils le sont sous une forme qui épouse la langue. Aux antipodes dâune démonstration ou dâun trait appuyé, puisque ce qui emmène le texte, câest précision et élégance et lâadresse à lâintelligence du lecteur (lui est donné un peu de travail : lire). Dans Le Sacret, un enfant recueille un faucon blessé et ses soins et les conseils dâun autoursier vont amener lâenfant à vivre une chasse puisquâil est invité avec son oiseau par le grand seigneur. La femme à qui jâai mis dans les mains ce livre, après lecture, mâévoque au sujet de ce texte constitué dâune seule phrase le déroulé narratif de la tapisserie de Bayeux et mâoffre pour cette note de lecture la référence manquante pour rejoindre le terreau contextuel du texte : le Moyen âge et ses mots rares, aussi. Un vocabulaire dâune grande richesse, une écriture de lâexactitude et de la précision, chaque page est un émerveillement. Je nâaurais pas de souci à dire de Graciano - comme peut lâêtre Claude Louis-Combet (chez le même éditeur) - quâil est un génie et quâil fait un bien inestimable à la littérature et à celui ou celle qui le lit. Jâattends ses prochains livres avec la même promesse de plaisirs et de bouleversement esthétique que pour les films de Bruno Dumont. Des livres-antidotes à ce que vous ne manquerez pas de vivre ou dâobserver quand vous ne lisez pas. Je crois que Marc Graciano nâignore rien de lâenfance et que câest dâelle, de ce lieu rare, quâil écrit comme personne (ou peu !) ne le sait parmi ses contemporains, reconstituant un monde organique et sensitif que lâon croyait éteint et disparu. Si je suis roué de coups par des gestionnaires, des communicants et par la vacuité, il me reste les deux premiers livres de Graciano à commander à la librairie. Sâeuphoriser de « Ce quâil reste » est un prisme intéressant, parfois même : un système philosophique. 
       
Christophe Esnault

Marc Graciano, Le Sacret, José Corti, 2018, 90 p., 14â¬
Consulter la fiche du livre sur le site de lâéditeur, y lire un article de Claro et un extrait du livre.

*Au Pays de la fille électrique
, 384 p., José Corti, 2016
**Enfant-pluie, 96 p., José Corti, 2017


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