Aller au contenu

Photo

(Note de lecture), Les Parasols de Jaurès, de Lambert Schlechter, par Jean-Pascal Dubost


  • Veuillez vous connecter pour répondre
Aucune réponse à ce sujet

#1 tim

tim

    Administrateur

  • Administrateur principal
  • PipPipPipPip
  • 5 689 messages

Posté 10 décembre 2018 - 10:09

 

6a00d8345238fe69e2022ad3804c69200c-100wiLâobjet appartient à la catégorie quâon appelle « beaux-livres » : en effet, il calque lâaspect du carnet moleskine noir, format 13 x 21, à couverture rigide et avec fermeture à élastique et signet en tissu cousu à la tranche, au plus près de celui utilisé par Lambert Schlechter pour écrire ce huitième volume de son « Murmure du monde ». A quoi sâajoute le fac-simile de chaque prose (le livre en contient 79 proses) en vis-à-vis du texte imprimé, par quoi on peut visualiser la contrainte calibrée dans laquelle lâauteur sâest glissé pour écrire cette suite. Lâobjet est de belle facture.
Les fac-simile sont une généreuse invitation à entrer dans lâatelier de lâécrivain, à se faufiler derrière lui et au-dessus de son épaule, révélant, mais est-ce une réelle révélation tant on le pressent dans le rythme des proses, révélant donc que celles-ci proses sâécrivent dâun seul trait, dâun seul souffle, tel le musicien de jazz quâévoque Jack Kerouac à propos de ses poèmes-blues. Lâécriture de ces proses est le fruit dâun long souffle de vie qui parcourt le corps de lâécrivain et se glisse alertement dans le stylo, mais point linéaire, fait de ces soubresauts capricants et digressifs façon Montaigne, seules des virgules parsèment le texte et opèrent des changements de direction. Et si on file la métaphore musicale, on pourra avancer que ces 79 proses sont autant dâimprovisations dâun carnettiste. (En ôtant à ce mot le sens un peu restrictif de « carnet de voyage » pour lui ajouter celui de « compositeur de carnets dâécriture ».) Lâécrivain se pose devant sa page, se dit « je vais examiner lâétat de la planète », puis hume le réel immédiat, hume ses souvenirs, hume ses sensations, et part à lâaventure, joue du stylo, note sur la page, entremêlant ses différentes passions et laissant le fil dâhumeur le conduire là où il ne sait pas arriver, mais arrivant, et bel et bien, toujours, au cÅur du monde. On retrouve déclinées en moult manières légères et graves les préoccupations heureuses ou tristes de lâauteur, ainsi comme, et beaucoup, le corps féminin, objet de rêves et de fantasmes heureux, par quoi lâérotisme et lâimpudique et lâamour total le mènent jusques y compris fantasmer avec une précision quasi de vécu une étreinte homosexuelle ; lâamour total du monde. Et tantôt des réminiscences des temps amoureux enfuis remontent dans son corps, comme ceux-là dâun veuf regrettant sa défunte femme encore très sensiblement ; joie et mélancolie alternent, sâépousent parfois.
On le sait, Lambert Schlechter est un bibliophage bibliolâtre et dévore tout ce qui sâimprime et sâest imprimé, et non seulement nombre de citations dâauteurs émaillent ses proses, mais aussi les influences notables ou devinées ; sâil est un écrivain écrivant avec un fonds conséquent, câest bien lui. Le livre est un nécessaire de vie dont il sait nous faire goûter les délices avec une érudition toujours accueillante et bienveillante et stimulante. Le livre câest la vie, câest la connaissance du monde. On lâimagine fort bien en ermite érudit, consacrant lâessentiel de son temps à lâétude (« jâai toujours lâenthousiasme de lâétude »). Vrai que peu dâécrivains savent comme lui transmettent aussi palpablement cet enthousiasme qui forge son caractère (contre la mélancolie morose qui lâétreint quelques fois), on sort dâune page de Lambert Schlechter remonté à bloc, regonflé.
Quâest cet objet littéraire ? Un journal intime ? (Les 79 proses sont numérotées, datées et géolocalisées.) Un livre de poèmes en prose ? (Contraintes calibrées, rythme particulièrement travaillé.) On ne le sait vraiment tout à fait, et peu nous chaut, même si se poser la question advient en cours de lecture. Ces proses sont des constellations de fragments unis par une mécanique qui nous dépasse.
Présentement, on lit un homme dans sa très grande et profonde solitude et qui jouit de cette solitude parmi les hommes, et les siens (très grande place est accordée à iceux), « tout le reste du temps je suis seul dans ma grande maison, seul et muet et silencieux, je lis, étudie, écris, de temps en temps je monte à ma chambre, mâallonger, somnoler, avant de glisser dans la somnolence, je suis assailli par les souvenirs⦠» ; il est en lâhiver de sa vie, mais nâest un pas un Rutebeuf complaignant ; il se sent gaillard comme au printemps et tente désespérément autant que magnifiquement de retourner le sablier.
Lire Lambert Schlechter nous ferait aimer la vie.

Jean-Pascal Dubost

Lambert Schlechter, Les Parasols de Jaurès, « Le Murmure du monde / 8 », Tirage spécial et limité, signé de lâauteur, Editions Guy Binsfield, 170 p., 28â¬.
Lire quatre extraits de ce livre.


UpxxRFXB4gA

Voir l'article complet