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(Note de lecture), Figures de silence, de James Sacré, par Régis Lefort


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Posté 12 décembre 2018 - 01:46

 


« Si jâai quelque chose à dire ? »

6a00d8345238fe69e2022ad380c7cc200c-100wiComposé de trois parties entrecoupées de ce que le poète intitule « Poème dans la solitude », le nouveau livre de James Sacré, Figures de silences, interroge sans cesse : « Ça quâest la poésie ? » Les tentatives de réponse sont nombreuses et le questionnement pourrait même sâinscrire comme la nature même du poème : « La poésie : poèmes / Comme autant dâinterrogations / Avec ou sans tourment ». À partir de ce constat, entre mystère et falsification du réel, entre vérité et mensonge, entre cacher et montrer, entre un ordre fragile et un droit balbutiement, « Entre un passé disparu / Et lâimprobable futur », le poète bute sur ce qui prolonge sa parole continuée. Le poème est un être de silence. Il est ce « vivant » qui silence, il est, dans son silence, « la chance dâun poème ».
Malgré son hésitation, malgré son équilibre précaire, le poème vient, tient, sâen va, « visage de mots / Avec des yeux de sens pas facile à préciser » et son « Regard donné par des formes sensibles du langage / Qui sâefforce dâêtre là, dans la présence ». Son visage emporte le poète « sans rien dire ». Le voilà soudain devenu « figure de Carnaval », parole qui va sans dire, à la fois évidence (dans le sens de lâexpression « il va sans dire que⦠») et silence (puisquâil se tait). En conséquence, sâil ne dit rien, le poème, « cette voix qui sâadresse à son attelage », se mue en seule raison dâêtre du poème. Le poète écrit où il ne dit rien, dans le seul but avéré que câest vivant, un poème, et que « ça [lâ]accompagne en chemin ».

Il nây a que du silence
Malgré une impression de forte présence.

Tout revient à considérer le poème comme une de ces figures qui porte masque de silence ou bien « Chaque mot comme un masque de personne ». Câest ici quâil faut interroger le pluriel du titre « Figures de silences », où « figures » dit à la fois le masque, lâempreinte, le mot, le visage, lâautre, le poème ; figure comme autant dâautres que lâon tait ; figures comme la somme des visages ressouvenus ou réapparus entre les mots du poème, dans son visage figé, pourtant en mouvement. Il y aurait comme un figement du visage de mots avec le vivant à lâintérieur. Ça prend comme un ciment ou une pâte et ça fait masque. Mais figure aussi pour figurer ou se figurer : câest ce que fait le poète comme lâindiquent les titres des parties : « Des masques muets tâaccompagnent » (donner un élément, une représentation, qui en rende perceptible lâaspect ou la nature caractéristique), « On imagine un paysage » (susciter à lâesprit lâimage de quelquâun ou de quelque chose), « Écrire : on entend quoi ? » (donner une forme, une figure à quelque chose). Du reste, le poème figure aussi en occupant une place singulière dans lâéconomie du livre. Peut-être tient-il le rôle de figurant, comme, mais dâune manière très différente, chez Anne-Marie Albiach, les Figurations tiennent le poème pour un être de silence.

Projet dâécrire
En regardant des photos que jâai prises, la plupart
Sans les vrais couleurs des paysages que câétait

Figures dit finalement lâabsence ou la défection du réel. Le réel silence, ça silence. Ça peut être un « silence crié », le « silence (amical ou ricaneur) / De tous les masques du monde » ou le silence dâun « Masque mort / Dans un désir oublié ». Les « figures de silences » ne réfèrent pas à une nature unique de figure et de silence. Si figurer sâenrichit de ses multiples sens dans le livre, il en va de même pour le silence qui peut être celui de la voix, celui du souvenir, celui des mots, celui des masques, celui des photographies, celui que crée lâenfouissement dans la  mémoire â toujours défaillante mémoire â, celui du temps, celui de lâentente ou celui du corps, de « lâobscurité du corps ».
Mais ce qui silence dans le corps, est-ce du silence ou de lâesseulement ? se demande le lecteur, par exemple, dans ces quelques mots « DE NâIMPORTE OÙ À NULLE PART DANS LE MOT SEPTEMBRE ». Lâexpression sous-entend une forme dâerrance dans le mot, un manque dâorientation. Le poète se perd, avec son poème, dans « le silence du monde » comme les mots se perdent dans leur propre silence. Il ne comprend plus exactement ni le monde ni lâautre car le silence met de la distance « Entre ce quâon est / Et le vivant de quelquâun dâautre / Même quand lâautre est là, et même / Touchant ton corps. » Alors, interroge-t-il :

Câest quoi que jâessaie de mettre ensemble
Pour être en de la vérité
Où les fêtes sont vite
Quelque chose de fané dans la poussière de vivre ?

Réduire la distance, peut-être est-ce la fonction du poème : « Mon poème comme une lettre pour dire / Entre un silence et mon silence ». Le silence prend ainsi des forces dans son pluriel. Et celui dâaujourdâhui « est grossi dâautrefois », épaississant comme levure la pâte blanche des mots ou densifiant blanc un caillou. Toutefois, toujours le danger guette, toujours cette peur que « les mots se perdent / Dans lâabsence muette », « Dans lâintensité de lâabsence ». Et sâil allait pas se dupliquer le silence, sâil allait pas entrer en colonisation de tout jusquâà devenir le silence lui-même, lourd de son silence silençant ?, pourrions-nous dire, nous en allant dans la syntaxe de James Sacré pour accompagner lâoubli, la pensée qui « piétine dans les mots » ou dans ce seul mot qui est « le bruit du monde : silence ».
Si, dans la solitude, « Quelquâun devient du silence », câest quâil « sâen va » dans le monde, dans le temps, dans le poème. Il est dâailleurs frappant de constater à quel point le verbe « sâen aller » est présent dans Figures de silences, de même il lâest dans lâÅuvre, comme mouvement stable du poème ou, pour le dire avec le poète, comme mouvementé de mots. « Sâen aller » serait presque une entropie du poème si nous nous en remettons à ce quâaffirme le poète dans un entretien : « Je vais continuer de mâen aller dans les mots en même temps que la vie peu à peu, forcément, sâen va de moi. »* Ce mouvement dâerrance est du reste entièrement tourné vers lâautre dans un geste ou une invite à parcourir, dans un désir dâaccompagner ou dâêtre accompagné. Le poème serait alors peut-être un cheminement mal droit où sâen aller avec le lecteur.
Ce qui sâen va avance et sâefface dans le même temps. Ce double mouvement de présence et dâeffacement se retrouve dans le titre dâun livre précédent, publié en 2016, Un effacement continué. Et cet effacement est aussi parole continuée dans les Figures de silences. La présence est devenue lâeffacement. Lâeffacement est devenu la présence. Câest dans le mouvement dâen allé, dans lâeffacement même que la présence se fait sentir le plus fortement.

Il nây a que présence muette
On ne sait pas ce quâil y a.

Régis Lefort, 2 décembre 2018

 (*) James Sacré, « Je vais continuer de mâen aller dans les mots », Entretien de Serge Martin avec James Sacré, Revue Europe, mai 2018, Paris, Éditions Europe, 2018, p. 186.

James Sacré, Figures de silences, Tarabuste Éditeur, 2018, 164 p.


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