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« Chanson de la croisade albigeoise »


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Posté 20 décembre 2018 - 12:06

La « Chanson de la croisade albigeoise » est au monde occitan ce que la « Chanson de Rolland » est à la langue d'oïl. Et comme le « Roman de la rose », elle présente la particularité d'avoir été écrite par deux auteurs dont l'un était favorable aux croisés et l'autre (anonyme, on le comprend) anticlérical. Claude Mourthé qui est poète et romancier, mais également grand connaisseur de la langue occitane, s'est attelé à une nouvelle traduction de ce monument encore trop méconnu de la littérature médiévale.

Le traducteur nous le rappelle dans une préface qui éclaire un contexte particulièrement touffu, c'est à Montségur « en l'an de disgrâce 1244 » que s'achève une guerre civile qui a duré un demi-siècle. Cette guerre des papistes contre les cathares hérétiques, si elle a contribué à réunir le puissant comté de Toulouse à la couronne de France, a marqué durablement à travers les siècles et jusqu'à nos jours la coupure entre la France du Nord et celle du Sud. Coupure dont la blessure demeure, même et surtout après la quasi-éradication de la langue d'oc voulue par l'état centralisateur républicain à partir du XIXème siècle.

Claude Mourthé, réussit la gageure de restituer au plus près l'extraordinaire musicalité de l'Åuvre à un point tel que le lecteur ignorant de la langue d'oc que je suis, s'est très souvent reporté au texte originel qui se trouve en regard de cette traduction pour comparer, profiter du contrepoint entre les deux langues et, il faut le dire, envier ceux qui maîtrisent la langue d'ocâ¦

De quoi est faite cette chanson ? De pas moins de 10 000 vers répartis en « laisses », groupements de longueurs inégales d'alexandrins à rime identique à l'exception du dernier vers. Les 131 premières laisses comportent près de 3000 vers et sont l'Åuvre de Guilhem de Tudela, un clerc qui penche très nettement du côté des croisés auquel il s'assimile en parlant « des nôtres », face aux « gredins » et à « la misérable et mécréante gent ». Les 83 dernières laisses de près de 8000 vers opèrent un total renversement de point de vue où Simon de Montfort glorifié par le premier chroniqueur est ici qualifié de « pervers » et « cruel ».

Cette chanson destinée à être déclamée a toutes les vertus du poème oral où sont narrées par le menu harangues héroïques, rodomontades, tentatives de conciliations, fourberies et chausse-trappes, trahisons et voltes faces, descriptions des armes et des armées. Celle des barons du Nord est une véritable coalition internationale : « Avec pléthore de Français, de Normands, de Bretons, / Et aussi d'Allemands, de Lorrains, de Frisons, / Bien des barons d'Auvergne, de riches Bourguignons » face à celle du Sud composée de locaux et renforcée par les gens du roi d'Aragon qui y laissera sa vie. Tout comme Simon de Montfort le baron honni de tout le peuple occitan. Et au final, « les âmes / S'en sont allées peupler enfer et paradis. »

Aussi rondement menée que les combats eux-mêmes, la traduction est agrémentée de notes brèves mais précises qui permettent d'y voir clair dans une entreprise d'une grande complexité. Car Claude Mourthé est également expert en matériel militaire d'époque, en héraldique, en généalogie, en architecture et en subtilités linguistiques. Sa rigueur scientifique ajoute au pur plaisir littéraire que procure cette nouvelle traduction qui nous ferait (presque) nous écrier à notre tour « Ah Dieu que la guerre est jolie ! » :

« À coups d'épées et de massues ils vont tant se donner
Que d'un côté et d'autre on s'affronte très dur,
Lances et javelots, flèches et couteaux tirés,
Tandis que l'on brandit épieux, sagettes et faucilles ;
Tous s'entremêlent tant que l'on ne sait où se tourner,
Vous auriez vu dès lors une magnifique hécatombe,
Tant de camails rompus, de hauberts transpercés,
Tant de poitrines ouvertes, de heaumes bosselés,
Tant de barons désarçonnés, et de chevaux à l'agonie,
Avec sang et cervelle épandus sur la place ! »


Quant aux illustrations en quadrichromie des huiles sur bois de Jacques Fauché, elles participent avec densité et brio à l'enfer généralisé...

Jacques Ibanès



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