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(Note de lecture), André Hirt, La Condition musicale, par Marc Blanchet


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Posté 21 février 2019 - 10:33

 

6a00d8345238fe69e2022ad3e40717200b-100wiLâêtre musical, notre être musical, est au centre de la réflexion dâAndré Hirt, plus encore dans son nouvel ouvrage La Condition musicale. Si le terme de condition mérite dâêtre précisé, y parvenir dans ces différents chapitres demande « un art de la nuance » dont la musique est déjà un possible, sinon exact, reflet. Lâécriture dâAndré Hirt, orientée de manière avouée vers lâessai, est avant tout nourrie de philosophie ; elle en articule le propos, ou le sous-tend, ne sâinscrit jamais à lâécart. André Hirt la convoque dans ces pages, confiant toutefois quâelle ne saurait prouver quoi que ce soit. La philosophie nâest là que pour approfondir une écriture qui en tentant de se livrer à une étude de la musique y lie sa propre musicalité, écrire sur la musique devenant écrire la musique. Dès lors, une pensée de notre « condition musicale » peut être partagée, à travers différentes thématiques dont la progression déploie une réflexion sur la musique dâune pertinence rare dans le paysage intellectuel français. Penser la musique demande déjà de lâécouter : le premier texte, après introduction, de La Condition musicale témoigne dâune filiation avec Walter Benjamin qui, en déballant sa bibliothèque, posait lâobjet livre au cÅur de sa pensée, de ses images de pensée. André Hirt convoque les objets qui participent à notre rapport à la musique, ces disques nommés CD, dématérialisés, ou à nouveau consacrés par le retour du vinyle. Les vinyles dâautrefois, qui permettaient une forme de bibliothèque désormais disparue, sont ici la forme dâentrée nécessaire pour évoquer le mélomane à même de penser comme philosophe. Lâentrée dans lâécoute musicale peut également supposer lâappréciation des tempi tenus par des chefs devant des Åuvres orchestrales. Le deuxième texte déploie ainsi un paysage de pensée qui fait lâexigence, et la richesse, de lâécriture dâAndré Hirt. En approchant lâindication langsam (« lent, lentement »), indiquée en tête ou titre dâun mouvement (partiellement ou non), le philosophe interroge lâévolution de certaines interprétations selon le vieillissement des chefs, comme si, à travers des lenteurs voulus, travaillés, en somme de plus en plus longues, sâénonçait une pensée de la musique indissociable de sa pratique. Face à « lâartificialité de la vitesse qui est devenue et le mode et la norme du contemporain », et même si cette vitesse serait vertueuse dans notre appréciation posthume de lâÉthique de Spinoza (quoiquâil sâagisse pour ce philosophe de parler dâéternité), André Hirt précise que la musique (que nous devons ici entendre dans le terme de « classique », ce mot qui en encombre le partage) : « (â¦) tient par lâoreille au réel le plus sensible. Elle a besoin de lui pour exposer lâabsolu. Elle a besoin de temps même si elle ne lui appartient pas. Le temps lui étant nécessaire pour son déploiement, il nâépuise pas sa provenance pour autant â la musique ne se réduit pas à lui â ni ce à quoi elle tend, disons précisément son épuisement, un retour à sa source, comme un fleuve qui éprouverait dans son lent et majestueux mouvement la tension qui le fait être et devenir de se diriger vers la mer autant que de le remonter vers sa source. » Pareille citation (Hirt ne se laisse jamais envahir par le lien entre réflexion sur la musique et perception visuelle, imagée, pour en parler â dâoù peut-être la puissance « tenue » de sa pensée philosophique) montre combien penser le tempo se raconte en ces pages dans une parenté entre la vision de lâabsolu par les philosophes et la nécessité de lâessai de se dérouler dans ses nuances, ses doutes, ses précautions, voire ses divagations. Considérons au-delà de la pensée, la langue même dâHirt. Écrire la musique, en approchant la lenteur pour sûrement penser la beauté, puis à travers dâautres chapitres continuer à la méditer, est à la fois le propre de ce livre et la demande faite au lecteur. Dâune densité continue, conviant des références certes philosophiques mais jamais déroutantes, La Condition musicale est un livre qui se confronte à la musique de lâobjet à lâécoute, de lâexpérience à la place de lâindividu. Dans le chapitre suivant, lâécrivain-philosophe continue de penser la musique dans sa matérialisation, lâestimation de sa « valeur » dans notre société, sinon civilisation, son commerce absolu (non sans répondre à cela par : « Je transporte donc la musique avec moi. Dans sa plus grande simplicité, cette remarque ne fait pas seulement entendre quâil est possible de lâécouter grâce aux appareillages modernes, mais quâelle se tient disponible dans la mémoire. Et que câest là son régime de présence et de survenue. La musique est en effet quelque chose sans être le moins du monde un objet. ») Aussi Hirt pense-t-il la musique dans sa présence, comme dans la possibilité de son absence. Dans le chapitre « Le désert musical », lâauteur poursuit une réflexion entre la musique et le monde : « À la vérité, la musique est bien un monde, mais qui nâest pas du monde. Et en même temps, ce nâest guère un monde : on ne peut y vivre, surtout y survivre. Câest une irréalité qui nâest pas une illusion. » Lâécoute de la musique demande à penser son espace. Celui du désert pourrait sembler le plus adéquat. « La musique commence en effet par faire silence, et celui que quelques chefs instaurent encore, malgré lâimpatience devenue manifestement grandissante du public, paraît décisif parce que signifiant (â¦). La musique sâinaugure par conséquent en brûlant lâimage du monde, en faisant silence et en ouvrant par ces biais des espaces infinis et des temporalités spéciales. » Penser ensuite la musique par lâenchantement quâelle procure, invite à parler du bonheur, plus spécifiquement dâun « De quoi rêve-t-on ? » à lâécoute de la musique. Encore faut-il savoir rêver⦠Écartant lâidée dâun pur bonheur, et se défiant dâune réflexion sur rêve et musique vouée à la platitude, Hirt conclue (avec bonheur) : « Si la musique est un monde imaginaire, elle est, au demeurant elle nâest quâà cette condition, dâabord et nécessairement matérielle, puisque nous la sentons. Et cette sensation est le sens même du sens, les sens ouverts à leur sens. » On lâaura compris (cette lecture en porte témoignage) : la pensée de lâêtre musical selon André Hirt ne saurait être transmise dans ses grandes lignes. Elle suit toujours un développement qui passe par la justesse dâune appréciation, conviant des topos sur la musique (lâécoute, le retrait, le bonheur, la consolation) pour y opposer de suite ses propres objections et ouvrir ainsi des chemins nouveaux. Si depuis le Lenz de Büchner, une séquence nouvelle sâest ouverte « dans lâexistence comme dans lâHistoire, dâirréductiblement obscur » non pas « faiblesse » mais « certitude », lâenjeu pour André Hirt au sujet de la musique est bien, avec lâaide de la philosophie « si nécessaire et inadéquate », dâatteindre le rivage de la musique, « bande de territoire à la fois imaginaire et néanmoins absolument réel qui nâest abordable que dans et comme écriture ». Par des étapes quâune conviction profonde traverse â et qui ne travestit jamais lâexpérience concrète et entière que représente la musique dans la constitution de notre être musical, un être inscrit dans lâécoute et la sensation, et ainsi constitué à même dâétablir une pensée qui rende le monde habitable sans cesser dâen avoir une vision critique â, André Hirt écrit la musique, musique qui est également pratique, un faire que nous devons faire nôtre, pour quâelle devienne perceptible dans ses enjeux comme ses émotions ; ce qui pourrait se nommer sa vérité â une vérité par ce livre plus proche de nous, en nous.

Marc Blanchet

André Hirt, La Condition musicale, Encre marine, 2018, 141 p., 21 euros

Poezibao rappelle quâAndré Hirt contribue au site Muzibao notamment par une chronique, « La Chronique du 20 » dont le titre est en effet une allusion au Lenz de Büchner. Muzibao vient de publier une nouvelle chronique, consacrée à Mozart et la notion de Heiterkeit.



 
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