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(Note de lecture), Séverine Daucourt, transparaître, par Didier Cahen


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Posté 20 février 2019 - 10:02

 

Câest la seule chose à faire...

6a00d8345238fe69e2022ad3c4263b200d-100witransparaître :  un titre sans majuscule pour le quatrième livre de Séverine Daucourt, comme si ce récit poétique était une pièce manquante, inscrite dans un flux continu. Avec sa neutralité affichée, la 4ème de couverture joue parfaitement la carte de la transparence : « ses trois derniers livres, Salerni, A trois sur le qui-vive, Dégelle (La Lettre Volée) convoquaient les notions dâaltérité, dâidentité sexuelle, de corps et de féminité. » Changeant lâangle de vue (de vie...), « lâauteure tente à présent de circonscrire ce qui fait perdurer le "drame féminin" ». Elle nous raconte ainsi son expérience de femme de fille de mère, poète déshabillée, amante transamoureuse, actrice fantasmatique... Et avec quelle franchise ! Si la lecture traverse dâabord une odyssée très personnelle, très habitée voire endiablée du sexe, câest moins lâhistoire qui compte que cet universel qui déshabille le texte et transparaît dans ses petits riens, ses coins, ses blancs et ses redites : on goute au sexe des anges mais plus sûrement encore aux tours dâun bon petit diable qui bouche les trous de lâêtre. Laissons... On retiendra dâabord la description dâune vie presque ordinaire, mais augmentée de la boulimie de la chair : « coincée dans ma demande/que je crois être offrande/sauf que chacun se sert/bon appétit/moi dévorée (...) Câest la seule chose à faire, lâamour ». On est happé, bousculé, transporté, désarmé en découvrant les brèches et les fissures du corps, les positions tranchées dâun désir-non-désir, la superposition dâun plaisir-non-plaisir ; le cÅur balance entre lâenvie de « transparêtre » et lâenchère assumée de la publication dâune « autobiographie » proprement interdite : « collée derrière ma vitrine/invisible/exhibée/sans malice/déjà victime/déjà consentante ». Le livre garde jusquâau bout sa ligne narrative, sa force énonciative : pas de justification, aucune explication, pas de bavardage savant sur le Désir, le Corps ou la Jouissance, mais une réserve de mots tenus en laisse, une écriture osée, dosée, frontale et maîtrisée, qui fait tout le prix de lâentreprise et de ce texte un véritable OVNI. Tout est dit secrètement du complexe familial, du jeu décomplexé de la différence des sexes, tout est dit discrètement de lâexpérience fouineuse de la très très jeune fille, des « préférences » ludiques de la femme et de la mère, mais lâhistoire suit son cours, affiche sa transparence, sa nudité sublime sans susciter la gêne⦠Après tout, câest un improbable polar qui trouve sa forme unique en déniaisant le verbe ! Au-delà des apparences, le voyeur en sera pour ses frais ; rien dâautre à se mettre sous la dent que le dessein des lèvres, le maquillage des cÅurs et lâadmirable permission de la lettre. Son extrême liberté, son universalité. Le miracle sâaccomplit puisque lecteur nous sommes lecteur nous resterons, destinataire élus, à la fois titillés, provoqués par lâardeur du récit mais scrupuleusement protégés par sa poésie intime et sensitive ; témoins jaloux de lâinvisible de notre condition. Cette place providentielle qui nous est réservée fait de transparaître un texte sans limites, un beau, un très grand livre dâun genre indéfini, requalifié, comme un ultime défi, en « poème politique ».

Didier Cahen


Séverine Daucourt, Transparaître, LansKine 2019, 144 p., 15â¬

On peut lire des extraits de ce livre.


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