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Jules Breton- L'Eden.


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2 réponses à ce sujet

#1 Hubert-Albert Clos Lus

Hubert-Albert Clos Lus

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  • Une phrase ::Ex-prof d'anglais, joueur d'échecs. Père d'une fille handicapée mentale.
    Auteur de CHANTS DES VIES DIFFICILES éditions Sydney Laurent 2019

    Proverbe: O Bretagne, tu iroises mon coeur

Posté 09 avril 2019 - 01:25

 
En ce temps de ruine et de rêves détruits,
En ces jours de malheur où tout nous désespère,
A la clarté du jour je préfère les nuits;
Je m'y retrouve en songe au jardin de mon père;
J'y revois les rayons d'une enfance prospère,
Et je respire encor l'âpre parfum des buis.
 
C'est là que, doucement, s'ouvrirent à l'aurore
Mes yeux qu'avec amour ma mère contemplait;
Là que nous caressions la chèvre qui bêlait;
Qu'on me montrait au ciel le grand Dieu qu'on adore
Quand le nuage blanc venait ou s'en allait,
Que chantait l'alouette au fond de l'air sonore.
 
Pacifique séjour où tout était si pur 
Où le vigne amoureuse attachée aux murailles
Buvait tant de rayons, de rosée et d'azur;
Où l'épine brodait ses neigeuses broussailles;
Où les moineaux, le soir,faisaient, dans leurs batailles,
Comme un être vivant s'agiter l'arbre obscur;
 
Où les plantes brillaient plus joyeusement vertes;
Où les oiseaux légers, inquiets de leurs nids,
De l'arbuste fondaient sur les mouches alertes;
Par les fauves sentiers fraîchement aplanis,
Où les jeunes parents marchaient, les bras unis,
Souriant, me tendant leurs tendres mains ouvertes.
 
Tout mouillé de rosée, aux fraîcheurs du matin,
J'aspirais longuement l'âme des fleurs écloses.
Aux pêchers bourdonnaient des tourbillons sans fin
D'abeilles s'enivrant à leurs étoiles roses;
Et quatre marmousets, aux immobiles poses,
Simulaient les Saisons dans des touffes de thym.
 
L'étang clair où flottait l'image de la nue
Blanche et moirée au vent léger rasant les eaux,
Les libellules d'or frôlant les blonds roseaux,
La brune musaraigne à la trompe menue,
Comme un éléphant grêle allongeant ses naseaux,
Tout était merveilleux pour mon âme ingénue.
 
Une douce fatigue à midi me prenait;
Étendu sur le dos, parmi l'herbe fleurie,
Sur l'azur je voyais comme une broderie
S'agiter l'épi mûr que mon souffle égrenait
De là vers l'infini montait ma rêverie,
Et l'hirondelle au ciel volait, volait, planait
 
Qu'elle s'étendait haut la cime ambitieuse
Du peuplier géant dont l'ombre m'abritait .
Cet arbre, chaque fois que le vent l'agitait,
Secouait des flocons de graine vaporeuse
Dont l'un, de temps en temps,sur mon fronts'abattait,
Pour s'envoler plus loin en poussière soyeuse.
 
Et mille bruits charmants, un orchestre enchanteur,
Venaient accompagner ces visions si pures
Au milieu des sons clairs, au milieu des murmures,
A mon oreille, un jour, parla le créateur
Une voix. et personne. et sortant des ramures;
C'était bien le bon Dieu, car je n'avais point peur.
 
On entendait parfois, après de courtes pauses,
Frémir un scarabée errant sous le fraisier,
La cigale agiter ses cymbales d'acier
Et les oiseaux de l'air, célestes virtuoses,
Dans l'arbre, en plein soleil, chanter à plein gosier;
Puis les insectes d'or frissonner dans les roses.
 
Parfois c'étaient des bruits qui de loin émergeaient
Cloches, je ne sais d'où, mais pourtant bien connues,
Et dont les sons aimés selon les vents changeaient;
Leurs douces voix d'argent, profondes ou ténues,
Comme un vol de ramiers s'élançant dans les nues,
Frémissaient; les échos rêveurs les prolongeaient.
 
Puis j'écoutais, collant mon oreille à la terre,
Le grand moulin debout sur son vert mamelon.
Un jour, j'avais surpris l'effroyable mystère
De ce monstre agitant un énorme pilon,
Tandis que ses grands bras tournaient à l'aquilon.
Je l'entendais encor quand tout semblait se taire.
 
En certains soirs d'orage, un immense soleil,
Tombait environné de nuages étranges.
On y voyait passer, dans le rayon vermeil,
L'enfant Jésus perdant des lambeaux de ses langes,
Ou la -vierge Marie, ou des légions d'anges
Qui revenaient en rêve éclairer mon sommeil.
 
Mon âme dans l'extase, au sein de la chimère,
Butinant des parfums comme la mouche à miel,
Ne creusait pas encor jusqu'aux sources du fiel.
Et pourtant quelquefois je pleurais; et ma mère
Ne se montrait jamais aux cortèges du ciel;
Et c'était pour mon cœur une pensée amère.
 
Dieu l'avait rappelée, hélas! depuis longtemps.
Elle était là, bien sûr. la vieille l'avait vue,
La vieille qui venait, des gazons abondants,
Aux temps chauds de l'été, scier l'herbe trop drue,
A qui soudain un jour elle était apparue
Souriante et mêlée aux nuages ardents.
 
Cette vieille jamais ne m'était importune
Toujours l'âge très tendre aime l'âge très vieux.
Sa ride était aimable et son œil lumineux.
Elle chargeait son faix et partait à la brune
Mon regard la suivait toute pliée en deux.
Sa faucille à sa main prenait un air de lune.
 
Un jour, elle eut grand peur et faillit en mourir
C'était loin dans les champs, à plus d'un quart de lieue!
Or, la foudre, en tombant, la fit s'évanouir.
Elle avait vu, dit-elle, en une flamme bleue,
Comme un coq rouge avec des sabres dans la queue,
Passer rapidement et plus vite s'enfuir.
 
Oui, je regrette encor la vieille Catherine.
Je crois encor la voir assise à son rouet;
Elle chantait toujours, et sa voix s'enrouait.
Un auguste vieillard, sur la chaise voisine,
Sommeillait doucement, et la mite trouait
Son habit que sa queue inondait de farine.
 
Souvent je contemplais, pris d'un secret émoi,
Cette ruine étrange et valétudinaire
Je songeais tristement que cet octogénaire
Avait été gai, rose et jeune comme moi.
Je pressentais déjà qu'ici tout dégénère;
Que cela devait être une bien dure loi.
 
Bientôt il s'endormit tout de bon. Ma grand'mère
Me dit un beau matin de printemps: Il est mort.
II est mort! me disais-je; il a le même sort
Que ce petit oiseau, mon captif éphémère,
Qui contre ses barreaux s'était jeté si fort
Qu'on le retrouva roide et  mort dans sa volière.
 
Les cloches, ce jour-là, sonnèrent en mineur,
Et longtemps le vieillard obséda mon idée.
Or, ma grand'mère était, elle aussi, bien ridée!
La première ombre triste erra sur mon bonheur.
Dans la plaine, à foison, de rayon inondée,
Tel un nuage noir se montre au moissonneur.
 
Qu'êtes-vous devenus, monde où vont mes pensées,
Cher Eden lumineux où tout disait amour;
Beau soleil qui luisais au cadran de la tour;
Longs voyages aux bois, fameuses odyssées,
Où pour faire une lieue on mettait tout un jour;
Sourires attendris, bras ouverts, mains pressées?
 
Qu'êtes-vous devenus, immaculés printemps
Emplissant le jardin de blancheur et d'arôme,
Bonnes cloches pondant des œufs jaunes de chrome,
Naïf Saint-Nicolas ouvrant à deux battants
Vos coffres pleins de jouets jusque sous l'humble chaume,
Aux rires des parents beaux encore et contents?
 
Te reverrai-je, enfant qui passas dans mon rêve,
Le temps que met l'étoile à filer dans la nuit,
Que met à disparaître une bulle qui crève,
Toi, dont le clair regard cependant me poursuit?
C'était un jour de mai, tranquille, où pour tout bruit,
Aux branches on croyait ouïr monter la sève.
 
Je ne sais plus son nom. De ses traits effacés
Je ne vois que les yeux, sa couleur rose et blonde.
Or, nous penchions, au bord de l'un des grands fossés,
Nos deux fronts ingénus que reproduisait l'onde;
Tandis qu'à l'autre rive où l'herbe haute abonde,
Nous regardions un nid, les bras entrelacés.
 
Un nid si près de l'eau, n'était-ce pas étrange?
La mère, l'oeil sur nous, par instants tressaillait.
Etait-ce une alouette ou bien une mésange?
Or la naïve enfant tout bas s'émerveillait
Dans l'herbe elle avait' pris l'incarnat d'un œillet;
Comme elle avait couru, j'entendais son cœur d'ange.
 
Ah! ce temps fortuné d'innocence est bien loin !
En sondant les secrets du grand sphinx, la Nature,
On brise la statue, on trouve l'armature.
L'esprit cherche et fait bien mais, libre de tout soin,
Heureux le jeune cœur naïf et sans culture,
Qui s'ouvre au grand soleil, sous le ciel, sur le foin!
 
Quand Dieu me rendra-t-il l'adorable mystère
Des crépuscules bruns inondant le jardin?
La salamandre obscure errait sur le chemin,
La fleur rouge était noire et la bleue encor claire,
La lune sur le mur ébauchait un lutin,
Les vers luisants semaient des étoiles à terre.
 
Et les chauves-souris au ciel traçaient des ronds;
Et vibraient, dans les airs parfumés et limpides,
Les nuages volants et roux des moucherons;
Et frissonnait le frêne au vol des cantharides,
Tandis que bruissaient les papillons rapides,
Ces amants de la nuit, les sphinx des liserons.
 
Quel éblouissement que l'Eden de l'enfance
Où la vive clarté jointe au mystérieux,
Fait de l'être réel un être merveilleux! 
Que nous font les trésors d'une vaine science,
S'ils arrachent du cœur, rêves délicieux,
Tous les ravissements de la sainte ignorance?
 
La science souvent fut pour nos cœurs éteints,
Cette goutte qui tremble à ces bulles vermeilles
Que puisent au savon les souffles enfantins,
Et qu'on voit resplendir aux étoiles pareilles.
Bientôt la goutte tombe, emportant ces merveilles,
Où dans la pourpre et l'or se miraient les lointains


#2 PaulMUR

PaulMUR

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  • Une phrase ::J'ai deux épaules pour ne rien porter du tout et un stylo pour écrire des bêtises.

Posté 09 avril 2019 - 03:35

Une vraie odyssée de souvenirs s'égrenant à travers ces vers.  Magnifique envolée. 



#3 Hubert-Albert Clos Lus

Hubert-Albert Clos Lus

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  • Une phrase ::Ex-prof d'anglais, joueur d'échecs. Père d'une fille handicapée mentale.
    Auteur de CHANTS DES VIES DIFFICILES éditions Sydney Laurent 2019

    Proverbe: O Bretagne, tu iroises mon coeur

Posté 09 avril 2019 - 05:56

Baudelaire était acerbe avec lui.