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(Note de lecture), Martine-Gabrielle Konorski, Bethani suivi de Le bouillon de la langue, par Pascal Boulanger


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Posté 27 juin 2019 - 10:04

 

6a00d8345238fe69e20240a49438a6200d-100wiMartine-Gabrielle Konorski entend les cris effacés du silence, mais ce silence singulier est capable de donner naissance au poème. Comme il sâagit, en poésie, de sortir de lâemphase et de lâéternel reportage, lâécriture, aux semelles déchirées, se fait cris, sanglots, psaumes, clameurs sauvages poussées vers le ciel. Car il y a bien une industrie de la falsification et de lâoubli à laquelle il faut opposer une méta-physique de la traversée. Dès le titre : Bethani, une vision de lâhistoire, comme reconduction de lâenfer sur terre, se révèle. Beth Ania (nom hébreu de ce lieu) et Béthanie (là ou se jouera la résurrection de Lazare) dessine à la fois un cheminement et une quête, vers le lieu même du poème, de son mouvement, de sa résonnance et de son écho. Et de son adresse tout autant, ne prêche-t-on pas dans le désert, quand on est prophète ou poète ? Le poème, câest ce qui reste dans un désert de poussière et de cendre, quand lâhistoire a tatoué ses crimes sur les vivants.
Il sâagit de garder en mémoire ce qui a été traversé, même si lâhistoire événementielle, qui ne fait pas de quartier, efface les traces de son furieux passage. Tout est fumée dans la foule immergée et souillée de charniers mais la poésie nâest-elle pas le fondement qui permettra de supporter lâhistoire ? Le temps de lâécriture nâest pas le temps de la chronologie, ni le temps de lâoubli ou de lâennui spectaculaire. Konorski, en pensant lâhistorial, prend en compte le travail du négatif et de sa mise en perspective sensible.
Câest la périphérie (lâexil) qui fait sens ici et non le centre (la demeure, lâenracinement) introuvable. La raréfaction des signes, le recours aux vers décalés sur la page, les bribes de sensations et de perditions entrecoupées de silence, bref un certain traitement abrupt de la langue ébranle le tissu narratif afin de faire violence à la violence du temps et de son ressentiment.

Lourdes traces
des marches
aussitôt effacées

Lâerrance forcée dâun peuple, son effacement, ne doit pas conduire au ghetto du blanc, au solipsisme dâune négativité sans emploi. Si les traces sur le chemin sâeffacent, Le bouillon de la langue (deuxième séquence du recueil) est encore poème : mots pour déployer / tous les envols / dans nos têtes. Dès lors, la question qui nous est adressée peut se formuler ainsi : comment poursuivre lâexistence en dehors des rythmes violents de lâhistoire ? Peut-être en brisant symboliquement les chaines de toutes les époques, en postulant une métaphysique de lâexil, en méditant lâoubli afin de mieux garder la mémoire et en devenant, selon Franz Rosenzweig, des sans-patries du temps.

Liés      déliés
Sous un baiser de brume
             les noms
Psaumes
au fond des yeux
            éteints
Entendre le bruit
           des larmes
Coulée de ciel vers Bethani


Pascal Boulanger

Martine-Gabrielle Konorski, Bethani suivi de Le bouillon de la langue. Préface dâEmmanuel Moses, Le Nouvel Athanor.


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