il se rêvait souvent basilic impérial
ou coriandre élégante, au centre du jardin,
origan fleuri ou sariette au parfum âcre
au coeur de la garrigue, en plein soleil,
mais il ne quitterait jamais sa place, là
depuis si longtemps qu'on ne le voyait plus,
dans un coin sombre, au détour d'une allée,
voué au destin si obscur des sans grades
trop souvent, une main anonyme, d'un coup,
arrachait à sa touffe une poignée de brins,
la jetait sans état d'âme dans l'eau bouillante
assortie d'une branche de thym et de laurier,
la hachait dans un vulgaire beurre d'escargot
ou la mêlait à l'ail dans la changua d'un soir,
commune et vénérée dans les páramos glacés,
là-bas, sur les hauteurs de Tunja, en Colombie,
mais ici, pauvre bouillon de diète ou de régime
souvent aussi, on l'oubliait au fond d'un panier,
il jaunissait, se flétrissait, pourrissait lentement
dans l'indifférence de tous, comme transparent,
invisible, appartenant au monde des ombres,
comme une absence sous la lumière blanche,
comme une forme se perdant dans la brume,
comme un trésor enfoui sous les sables
*
*
*
mais un jour,
inespérée revanche, quelques jeunes garçons
de la maison et des amis de rencontre, par jeu,
paradant, un de ces brins de persil à la bouche
au lieu d'un bouton de rose, un sourire narquois
aux lèvres, s'en allaient gaiement vers la rivière
pour y plonger avec ferveur leurs corps nus
... et maintenant,
les brins de persil, enfin libres, offerts au courant,
s'en vont vers l'aval pour la très grande aventure,
oubliant d'un coup toutes les humiliations passées,
renversant l'ordre des choses, les lois de la nature,
décidés à conquérir
les grands espaces
et l'océan,
... ou à s'y perdre