LA BALLADE DES PENDUS.
Frères Humains, qui après nous vivez...
N’ayez les cœurs, contre nous, endurcis,
Car si Pitié de Nous, povres, avez
Dieu en aura plus tôt de vous, mercis!..
Vous nous voyez ci attachés, cinq, six...
Quand de la chair, que trop nous avons nourrie,
Elle est Piéca, dévorée et pourrie.
Et nous les os, nous devenons, cendres et poudre,
De notre mal, personne ne s’en rit;
Mais priez Dieu, que tous, nous veuille, absoudre,
Si Frère nous clamons, pas n’en devez,
Avoir dédain , quoique nous fûmes occis,
Par Justice. Toutes Fois vous savez...
Que tous hommes n’ont pas bon sens rassis,
Excusez-nous, puisque nous sommes transis...
Envers le fils de la vierge Marie.
Que sa grâce ne soit pour nous tarie...
Nous préservant de l’infernale foudre...
Nous sommes morts, âme ne nous harit.
Mais priez Dieu, que tous, nous veuille, absoudre.
La pluie nous a débués et lavés...
El le soleil, nous a desséchés et noircis.
Pies, Corbeaux nous ont, les yeux, cavés,
Et arraché la barbe et les sourcils,
Jamais nul temps, nous ne nous sommes assis,
Puis çà, puis là, comme le vent varie,
A son plaisir sans cesse, il nous charrit,
Plus becquetées d’oiseaux, que dés à coudre,
Ne soyez donc de notre confrérie,
Mais priez Dieu que tous, nous veuille, absoudre.
Prince Jésus, qui sur nous a Maistrie,
Garde qu’Enfer n’ait sur nous seigneurie!
Homme Ici ! N’ai point de moquerie,
Mais Priez Dieu, que tous, nous veuille, absoudre.
François Villon (1431-1489?)
la ballade dites par Gérard Philippe