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(Feuilleton) Enquêtes, par Siegfried Plümper-Hüttenbrink, #2, Corpus scribens


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Posté 17 septembre 2019 - 09:04

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<p class="MsoNormal blockquote" style="line-height: 125%; margin-left: 40px; margin-right: 40px; text-align: justify;"><span style="font-size: 12pt; line-height: 125%; font-family: 'Garamond','serif';"><em>Poezibao</em> propose un nouveau feuilleton, signé Siegfried Plümper-Hüttenbrink. Une série dâenquêtes, avec indices à lâappui. <br /><br />Deuxième épisode : « Corpus scribens »<br /><strong><br /><br /><a class="asset-img-link" href="https://poezibao.typ...4e804200c-popup" onclick="window.open( this.href, '_blank', 'width=640,height=480,scrollbars=no,resizable=no,toolbar=no,directories=no,location=no,menubar=no,status=no,left=0,top=0' ); return false"><img alt="Feuilleton siegfried" class="asset asset-image at-xid-6a00d8345238fe69e20240a484e804200c img-responsive" src="https://poezibao.typepad.com/.a/6a00d8345238fe69e20240a484e804200c-600wi" style="width: 600px; display: block; margin-left: auto; margin-right: auto; 3px 15px 5px 5px; border: 1px solid #969696; box-shadow: 8px 8px 12px #aaa;" title="Feuilleton siegfried" /></a><br /><br /><br /></strong></span></p>
<p class="MsoNormal blockquote" style="line-height: 125%; margin-left: 40px; margin-right: 40px; text-align: center;"><span style="font-size: 12pt; line-height: 125%; font-family: 'Garamond','serif';"><strong>ENQUÊTE (II)</strong><br /><br /><strong>Corpus scribens.</strong><br /><br /></span></p>
<p class="MsoNormal blockquote" style="line-height: 125%; margin-left: 40px; margin-right: 40px; text-align: justify;"><span style="font-size: 12pt; line-height: 125%; font-family: 'Garamond','serif';"><em> </em></span></p>
<p class="MsoNormal blockquote" style="line-height: 125%; margin-left: 40px; margin-right: 40px; text-align: right;"><span style="font-size: 12pt; line-height: 125%; font-family: 'Garamond','serif';"><em>Je nâai pas bien en main lâaptitude à écrire. Elle va et vient comme un spectre.</em><br /></span><span style="font-size: 12pt; line-height: 125%; font-family: 'Garamond','serif';">Franz Kafka - <em>Journal.</em><br /><br />⦠<em>il savait que son corps sâéloignait, le laissant dans la pièce comme une ombre, une</em><br /><em> tache, une pensée qui imprègne les lèvres et tombe<br /></em>Claude Royet-Journoud <em>- Les natures indivisibles.</em><br /><em><br /></em><br /><br /></span></p>
<p class="MsoNormal blockquote" style="line-height: 125%; margin-left: 40px; margin-right: 40px; text-align: justify;"><span style="font-size: 12pt; line-height: 125%; font-family: 'Garamond','serif';">1<br />Sur quoi un corps prend-t-il appui en écrivant ?<br />Sur une feuille, et qui peut fort bien nâêtre quâune <em>feuille volante.</em><br />Sur une main, mais qui se dérobe et reste le plus clair du temps en deuil de son détenteur. <br />Dans une bouche, encore quâelle reste obstinément muette. À peine si un souffle est encore audible et qui reste sans voix dâauteur. <br /><em>Facio ipsum locus mutus : - </em>écrire fait de moi un lieu muet. Nâayant plus de bouche pour me dire de vive-voix. Aussi, tout en écrivant, faut-il me taire, et tout en cherchant quoi te dire. Curieuse posture, presque intenable, où<em> dire</em> et <em>taire</em> sâéchangent leurs rôles respectifs. Comme sâil sâagissait de livrer à mots couverts ce qui devait rester tu ou de taire ce qui sâattendait à être dit. Si bien quâau final on préfèrerait rester <em>bouche cousue</em>, et quitte à se retrouver en état dâapnée. Ne sachant plus quoi dire ni taire. <br /><br />2<br />Que seraient les signes distinctifs auxquels on peut reconnaître et identifier un corps qui écrit ? On nâen sait trop rien, sinon que ce corps mute de lâintérieur dès quâil sâinscrit <em>noir sur blanc</em>. Par lâon ne sait quel sortilège, il acquiert un souffle et une tension artérielle quâil nâa pas dâordinaire. Un froid soudain peut lâenvahir, alors quâil a la nette sensation de prendre feu. Et sa bouche qui bée a soif de silence. Mais on est loin de pouvoir localiser au scanner ses points névralgiques, ses zones de haut ou de bas-voltage, ses moments dâéclaircie ou de confusion ? Certains vont jusquâà dire quâil use de son sang comme dâune encre indélébile pour écrire. Dâautres quâil est lâéquivalent dâun <em>corps-fantôme </em>et pour lequel il ne saurait y avoir de témoin<em>.</em> Aussi son existence reste-t-elle toute hypothétique. Et on ignore tout des passages à vide quâil traverse et des transferts de pensées quâil effectue, toujours en rescapé solitaire, et qui se sait introuvable. <br /><br />3<br />À première vue, je ne distingue en lui quâune silhouette : - celle, esseulée et muette, de quelque scribe veillant dans la pénombre et qui aurait pour charge de fourbir des histoires à vous faire dormir debout.<br /><em>Où est passée ma bouche</em> ? â est une question quâil est en droit de se poser. Lâaphonie le guette au tournant du moindre mot. Câest à peine sâil nâaspire pas à recourir à une bouche dâemprunt ou à la <em>bouche </em>dite<em> dâombre.</em><br />Quant à la scène au fort de laquelle ce corps en viendrait à sâincarner, tout porte à croire quâelle reste foncièrement injouable, même dans un film. Vu quâon y donne le congé à sa propre personne, la laissant sâabsenter ou disparaître, et ce en lâabsence de tout témoin. Seul un <em>aparté</em>, joué en huis-clos, pourrait sans doute esquisser une telle éclipse de soi.<br /><br />4<br />Écrire nâirait pas sans une initiation aux signes. Sans doute y va-t-il même dâune quête, mais qui nâa rien de spirituelle. On ne tient pas à arguer dâune <em>scène originaire,</em> et encore moins dâune remontée aux sources mythiques de lâhumanité. On souhaiterait seulement sonder ce mystère quâest lâ<em>absence réelle</em> des êtres et de toutes choses tel que les signes nous la livrent <em>en négatif</em>. Un mystère qui a le pouvoir de vous faire entrer en présence de votre propre absence dans les lieux où lâon se retrouvait à écrire, en reclus, injoignable pour quiconque. On reste alors vacant, évidé de pied en cap, et pour nâêtre plus que lâ<em>ombre portée</em> dâune ombre et qui assurera votre éventuelle disparition. Mais sâincarner ainsi <em>in absentia</em>, sous les auspices de « <em>lâabsente de tout bouquet</em> » ou en sâéclipsant par une « <em>disparition élocutoire »</em>, cela ne relève-t-il pas de la mystification, voire dâun fantasme d<em>âabsentéisme ?</em> Quelque travers contracté par mégarde au cours des jeux quâon sâinventait enfant pour se faire disparaître ? De préférence en rescapé solitaire, échoué sur une île. <br /><br />5<br />Aux dires de certains, écrire est avant tout un effort de localisation, et qui sâeffectue à 4 pattes, dans le noir, et dans la totale ignorance de ce qui vous attend. À tâter, presque en aveugle, des multiples prises quâoffre soudain le moindre mot dès lors quâil devient un <em>corps conducteur</em> avec lequel frayer des pistes et faire signe à tout venant. Faire signe, comme en dernier recours, et pour savoir <em>qui </em>et <em>où</em> encore être, alors quâon est en passe de nâêtre plus <em>personne</em>, plus <em>nulle part.</em> Sâentêtant à livrer par écrit des preuves tangibles et infalsifiables dâune existence quâon devine être fictive, vécue comme de<em> seconde main</em>, et dont lâADN reste inscrit dans les étoiles. Cet ADN qui décidera du sort qui vous est échu, et dont vous aurez à répondre par écrit, <em>noir sur blanc</em>, en vue de lâauthentifier comme étant tout à la fois une destination et un destin.<br /><br />6<br />Lâacte dâécrire nâapporte en rien un surcroît dâêtre ou un supplément dââme. Le soi-disant miracle créatif nâest quâun mythe colporté au travers des âges. Qui écrit, pactise avec une forme de <em>désêtre. </em>Il se retrait en solitaire. Se terre et se tait, en bout de langue. Là où la bouche nâest plus faite pour parler. Et cela nâirait pas sans une sourde terreur qui étreint, fait nÅud en fond de glotte. Car tôt ou tard, on se retrouve hors abri et sans appui. Devenu inlocalisable pour soi-même et injoignable pour quiconque. Démis de soi et démuni de voix. Tout indique même que vous êtes porté pour disparu ou pris pour un déserteur.<br />Et sans doute ne commence-t-on vraiment à écrire quâen sâengageant ainsi, à corps perdu, dans cette disparition de soi et pour laquelle nul témoin nâest envisageable. Si une trace écrite vient alors à jour, elle nâest plus quâune sorte de sauf-conduit pour se perdre. Perdre à tout jamais vue et connaissance de celui qui dut lâinscrire pour en faire signe avec. Car au final, seul une main subsiste, qui se mettra à écrire en deuil de son détenteur, et qui lui ira comme un gant.<br /><br />7<br />Contrairement à ce que la plupart des biographes tentent de nous faire accroire, écrire ne touche en rien au <em>natal,</em> à ce qui sâassigne à résidence, et encore moins à lâinscription en nous dâun soi-disant lieu de naissance. Qui écrit reste toutefois en quête dâun lieu dâoù sâextraire. Dâoù sâexhumer en déserteur, et ce de son vivant, alors quâil est dâores et déjà tenu pour mort, porté pour disparu.<br /><br />8<br />La terreur le guette. Une terreur faite de liesse. Elle étreint ou dilate son souffle, en lâirradiant de lâintérieur. Au dire de certains neurologues qui durent la sonder, lâemprise de cette terreur serait de nature électro-magnétique, et lâattraction quâelle exerce nâirait pas sans une sourde répulsion. Car si elle est susceptible de vous galvaniser dâun surcroît de vie, elle peut tout aussi bien vous tétaniser en vous laissant aphone. Attifé dâune bouche qui bée dâanalphabète, lâon reste alors comme transi de froid, cherchant quoi dire, quêtant le moindre mot en bout de langue, avant que son inscription nâaille virer en incision sous cutanée.<br />Qui se risque à écrire ainsi â « <em>intus et in cute » - </em>nâest plus quâun scripteur, quelque sismographe procédant par zigzags, dans lâexact prolongement de ses nerfs, et au risque dây laisser sa peau. La séquence dâun film de Werner Schroeter intitulé <em>Deux</em> pourrait nous le signifier en clair. On y voit une Isabelle Huppert hagarde, sâéchinant à griffonner à la hâte et comme en dernier recours les mots dâune lettre quâelle finira par déchirer. Comme si lâavoir écrite tenait dâun acte conjuratoire, pour mettre un terme à ses propres hantises intimes. En finir avec ce qui la scinde en <em>Deux</em> sous la forme démonique dâun sosie ou dâune doublure dâelle-même, et avec qui elle entrera en duel tout au long du film.<br />Dans lâarrêt sur image extrait du film, on la voit qui rédige cette lettre en prenant pour support la vitre dâun train et en se disant que « <em>ce train va la faire disparaître »</em>. En guise de preuve, on entre-aperçoit du reste la doublure de son visage reflétée par la vitre. Quant à cette esquisse de lettre, où il y va de sa vie alors quâelle se retrouve en instance de mort, elle en vient à la formuler au plus abrupt, comme on le ferait dâun <em>SOS</em>, en se faisant dire ce quâelle tente dâécrire, en le proférant en <em>voix-off </em>et en<em> face à face</em> avec elle-même, comme lâatteste le reflet vitré de son visage. Un visage spectral, qui semble se profiler tel un <em>négatif </em>photographique dans la vitre dâun train où il est en passe de disparaître. <br /><br />9<br />Pascal Quignard regrette quâon ne fasse guère état des avanies et des travers qui guettent celui qui se mêle dâécrire. Et encore moins du caractère déceptif, voire dépressif du texte saisi et mis au propre, alors que sa rédaction fut plus que véhémente, vécue dans les affres et les émois dâune pensée dâensauvagé, de qui a rompu momentanément tout commerce verbal avec ses semblables, et pour sâadonner en solitaire à une science des traces, de ce qui fait lien en toute trace, et sâavère index de vie ou de mort. Les lignes inscrites dans la paume de nos mains pourraient nous le confirmer. Ne dit-on pas quâelles scellent à tout jamais notre destin ?<br /><br /><br />Image, Isabelle Huppert, extrait du film <em>Deux </em>de Werner Schroeter<br /><br />©Siegfried Plümper-Hüttenbrink<br /><br /><br /></span></p><img src="http://feeds.feedbur.../~4/-JwP8hEFigk" height="1" width="1" alt=""/>

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