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(Note de lecture), Une lampe dans la forêt dense, de Zhou Mengdie, par Jean-Nicolas Clamanges


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Posté 14 octobre 2019 - 10:00

<p class="blockquote MsoNormal" style="line-height: 125%; margin-left: 40px; margin-right: 40px; text-align: justify;"><span style="font-size: 12pt; line-height: 125%; font-family: 'Garamond','serif';"><strong><br /></strong> <a class="asset-img-link" href="https://poezibao.typ...0eef9200c-popup" onclick="window.open( this.href, '_blank', 'width=640,height=480,scrollbars=no,resizable=no,toolbar=no,directories=no,location=no,menubar=no,status=no,left=0,top=0' ); return false" style="float: left;"> </a><a class="asset-img-link" href="https://poezibao.typepad.com/.a/6a00d8345238fe69e20240a4debc20200b-popup" onclick="window.open( this.href, '_blank', 'width=640,height=480,scrollbars=no,resizable=no,toolbar=no,directories=no,location=no,menubar=no,status=no,left=0,top=0' ); return false" style="float: left;"><img alt="Zhou Mengdie une lampe dans la forêt dense" class="asset asset-image at-xid-6a00d8345238fe69e20240a4debc20200b img-responsive" src="https://poezibao.typepad.com/.a/6a00d8345238fe69e20240a4debc20200b-100wi" style="width: 100px; margin: 3px 15px 5px 5px; border: 1px solid #969696; box-shadow: 8px 8px 12px #aaa;" title="Zhou Mengdie une lampe dans la forêt dense" /></a><a class="asset-img-link" href="https://poezibao.typepad.com/.a/6a00d8345238fe69e20240a490eef9200c-popup" onclick="window.open( this.href, '_blank', 'width=640,height=480,scrollbars=no,resizable=no,toolbar=no,directories=no,location=no,menubar=no,status=no,left=0,top=0' ); return false" style="float: left;"></a>« Mengdie », le prénom choisi par le poète, fait allusion, nous explique la préface du traducteur Alain Leroux, au fameux rêve du penseur taoïste Zhuangzi se demandant qui rêve en son rêve, lui ou le papillon ? Disparu en 2014 âgé de plus de quatre-vingt-dix ans, ce poète était une légende vivante à Taïpei. Né en Chine dans une famille de paysans pauvres, la guerre le sépare de sa famille et le conduit à Taiwan où il est démobilisé à la fin des années cinquante. Il ne reverra jamais les siens. Il tenait un maigre étal de libraire dans une galerie couverte près dâun café littéraire, et avait fini par incarner pour tous une sorte dâermite-poète citadin.<br /><em>Une lampe dans la forêt dense</em>, dont un <a href="https://poezibao.typepad.com/poezibao/2019/01/anthologie-permanente-trois-po%C3%A8tes-de-ta%C3%AFwan.html">extrait</a> avait déjà été publié dans lâ « anthologie permanente », rassemble des poèmes tirés de quatre recueils parus entre 1958 et 2002. La souffrance y domine, tempérée dâun humour rappelant celui du fameux Han-Shan (a) ou encore celui du japonais Issa (b) ; il y a sans doute bien dâautres allusions adressées au lettré chinois, mais Zhou Mengdie est ouvert à tous les vents de lâesprit et dialogue également avec la mythologie grecque, Khayam, Diogène, Shakespeare, Goya, Thoreau, Pound, OâNeill, Rilke, Paz. La dimension méditative de sa poésie sâapprofondit au fil des années, sur fond dâacceptation ombrageuse dâun devenir dont lâillusoire ne cesse dâêtre interrogé : que ce soit comme énigme de la prolifération du différencié à partir de son contraire : « un », « origine de lâorigine », voire « rien » ; ou encore comme mystère de ce qui a été avant toute naissance, quelque part dans un temps sans rivages, comme question errante : « quel grain dâécume porte ton nom ? » (54). <br />Lâexpérience qui sây transmet est celle dâune présence poreuse au monde et aux êtres ; on y essuie des pluies de larmes, y compris comme rire en pleurs ; on y croise un fantôme déposant, le 13 du mois, un bouquet de 13 chrysanthèmes blancs sur lâétagère du libraire en son absence, convertissant ainsi son étal en « stèle devant le tertre » ; comment lire cet intersigne ? âme antérieure ? présage émané dâune « affinité » karmique : « une fois nouées elles sont présentes vie après vie » ? (84) ; le poème transmutera lâangoisse en auto-dérision. La quadrature des saisons tourne la mémoire en spirale sur le mystère de lâabsence comme absolue présence, et câest un autre poème : « Après la floraison des cerisiers, au mont Yangming » â où se renverse la question de Lamartine : « Qui lâan prochain viendra mâaccompagner ? ce pont ce rocher me reconnaîtront-ils [...] ? » (65). Autre question suscitée par la valse des saisons, celle de lâidentité dans le(s) temps : « Combien y a-t-il de juin en moi ? » (44). Ce « moi » qui est aussi bien « je » que lâinfinie diversité des êtres que la langue sâévertue à distinguer : « Eux aussi ont beaucoup de âmoiâ » (32) â la nature entière autrement dit, comme conversation universelle des existants réalisés en présence, où par exemple nous parle « lâherbe du retour de lââme », une plante guérissant tous les maux qui, dâaprès la légende, pousse au sommet de lâEverest :<br /><br />À plus de huit mille huit cent quatre-vingt dâaltitude<br />Dans un regard de joie au monde tu proclames<br />« À ceux qui viennent dans mes pas<br />Je me donnerai et donnerai mes pas ! » (57)<br /><br />En ces parages, limites et distinctions tendent à sâeffacer ou se révéler <em>passages</em> car différences et contradictions, proche et lointain, possible et impossible sont simplement momentanés pour qui pratique lâart contemplatif de modifier mentalement échelles, perspectives ou cadrages : un poème sâintitule ainsi « Voir lâhiver dâun certain regard ». Ailleurs, on rend hommage au bambou dont chaque anneau rappelle que « le passé demeure présent », une pomme tombe en riant, les oiseaux laissent des traces dans lâair, le destin est dit « daltonien » (ce qui nous laisse une chance !), une morue fond en larmes, « chaque caillou est un sommet unique », on entend des cheveux marmonner, une grande feuille tombée sur lâépaule de quelquâun lui dit « je tâappartiens » (ce qui semble le chagriner), le poète bavarde chaque soir avec la pile dâun pont (sâefforçant sans succès dâarriver au rendez-vous en avance, à moins que ce ne soit lâinverse ?), il est possible de marcher « plus loin que le vent » ou dâavoir des yeux pour voir ce que jamais homme nâa cru voir, comme lâimagine le poème qui a donné son titre au recueil : <br /><br />Si toi aussi tu avais des yeux de nuit<br />Par chance, ou malchance, relégués au dos du passé sans fin et de lâavenir<br />Sans fin. Vois !<br />Le monde serait assis devant toi<br />  Et tu serais assis devant toi<br />Toi et toi et le monde chaque jour face à face<br />Mais eux jamais ne te verraient (87)<br /><br />Dans cette Åuvre, ici câest partout, jamais câest maintenant ; arriver câest déjà partir, sâen aller revenir encore ; exister, câest indéfiniment muer. Quant à naître et mourir :<br /><br />Si lâon regarde de ce côté-ci de la route vers le passé, câest le début de la vie<br />Et si on regarde de ce côté-là vers ce qui arrive<br />Aussi. [...]<br /><br />Câest lâenseignement que la réminiscence émue dâune femme « Plus vieille que plus vieille que soixante-dix-sept et plus fraîche que plus fraîche que dix-sept » (95) aperçue dans le bus, sept ans auparavant, tenant un bouquet de fleurs de prunus, inspire soudain, un jour de pluie, à Zhou Mengdie. <br />Enfin, si le « vivre câest souffrir » karmique revient en basse continue dans ces poèmes, lui fait contrepoint la hantise dâune échappée selon lâenseignement bouddhiste et/ou celui du Tao selon Zhuangzi © â les deux traditions se mêlent en ces poèmes â, une échappée belle dont la quête inquiète trame lâensemble de lâÅuvre, affleurant parfois en quelques épigraphes ou brèves notes de bas de page. Nul prêche cependant, au contraire même, car en cette expérience méditer est toujours questionner ; ainsi de lâÉveil en son paradoxe quasi tautologique :<br /><br />[...]<br />Quand tu es venu, la neige était neige et tu étais toi<br />Une veille plus tard, la neige nâétait plus neige et tu nâétais plus toi<br />Jusquâà cette nuit, par dix degrés au-dessous de zéro<br />Quand lâéclat de la première comète a déchiré le ciel<br /><br />Alors tu as vu :<br />La neige est toujours neige, tu es toujours toi<br />[...] (45)<br /><br />Câest de lâillumination du Bouddha selon la tradition quâil est question, nous indique la note. En ce qui me concerne, ce poème (intitulé « Sous le pipal »), mâa révélé la portée dâun haïku dâIssa que jâappréciais seulement pour son côté iconoclaste : « Le seigneur Bouddha/au bout de son noble nez/un long glaçon ». <br />On a les éveils quâon peut ... Et lâon vérifie du coup quâon nâa jamais fini dâapprendre à lire ...<br /><br /><strong>Jean-Nicolas Clamanges<br /><br /></strong>Zhou Mengdie, <em>Une lampe dans la forêt dense</em>, poèmes traduits du chinois (Taïwan) par Alain Leroux, Circé, 2018, 119 p., 12 â¬<br /><a href="https://www.editions-circe.fr/livre-Une_lampe_dans_la_for%C3%AAt_dense-583-1-1-0-1.html">Sur le site de lâéditeur,</a> on peut lire la préface du traducteur<br /><br /><br /><span style="font-size: 10pt;">(a) De ce poète vagabond du VIIe-VIIIe siècle, on peut lire <em>Le Mangeur de brumes</em>, trad. Patrice Carré, Phébus, 1991.</span><br /><span style="font-size: 10pt;">(b) Par exemple : « Tombent les fleurs/et déjà pour moi aussi/le chemin descend » ; « Presque toutes absentes/mes dents où le vent dâautomne/sâest mis à souffler ». Kobayashi Issa, <em>En village de miséreux</em>, choix de poèmes, trad. Jean Cholley, Gallimard, « Connaissance de lâOrient », 1996, p. 85 et 79.</span><br /><span style="font-size: 10pt;">© Alias Tchouang-Tseu. On peut lire à son propos le lumineux petit essai de Jean-François Billeter, <em>Leçons sur Tchouang-Tseu</em>, éditions Allia, 2002.</span><br /><br /><strong><br />Extrait<br /></strong><br /><strong>Sur la jetée<br /></strong><br /><em>Tu nâes pas poisson, comment pourrais-tu connaître le plaisir des poissons ?<br />Tu nâes pas moi, comment saurais-tu que je ne connais pas le plaisir des poissons ?<br />Zhuang zi</em>, « Crue dâautomne »<br /><br />Tu souris par un chapelet de bulles<br />Pour répondre à ces sourires<br />Échappés dâentre ces moustaches<br />Si clairsemées<br /><br />Le crépuscule. Leurs cannes<br />Réveillent ici sur la rive les galets assoupis<br />Et serrée dans les fentes du rocher, plus seule que la solitude<br />Lâattente, et blottie dans lâattente<br /><br />Plus lointaine que le lointain, la mémoire. Ah ! en ces temps-là<br />Eux et moi, ensemble au sein de lâobscurité dâun printemps<br />Jamais encore tranché chantions dâune seule voix le silence<br />Sans savoir la joie â plus joyeux que la joie<br /><br />Qui est-il ? Le malin, le mauvais plaisantin<br />Qui nous a déjumelés eux et moi<br />Qui a déjumelé la joie dâavec<br />La joie. Qui voudrait de ces écailles ? de ces nageoires, de ces branchies ?<br /><br />De ces queues de pie superflues ? de ce sang glacé<br />De ce mur de verre répugnant de puanteur...<br />Jâen ai assez. Je ne puis retourner au départ<br />Je veux voler. Mais je ne sais comment voler<br /><br />En cet instant, je sais parfaitement ce que je sais<br />« Eux aussi ont beaucoup de âmoiâ »<br />Et ils le savent. Et ils savent<br />Que je sais quâils savent <br /><br />(in « Lâherbe du retour de lââme », p. 32-33)<br /><br /><br /></span></p><img src="http://feeds.feedburner.com/~r/typepad/KEpI/~4/ThHztF0OS2g" height="1" width="1" alt=""/>

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