Aller au contenu

Photo

(Les Disputaisons) La critique en poésie, Olivier Barbarant


  • Veuillez vous connecter pour répondre
Aucune réponse à ce sujet

#1 tim

tim

    Administrateur

  • Administrateur principal
  • PipPipPipPip
  • 5 689 messages

Posté 05 novembre 2019 - 10:44

 

La république des sourds

6a00d8345238fe69e20240a4e794da200b-100wiLa critique littéraire, en matière de poésie, est-elle particulièrement indulgente, prompte à la louange, au point dâêtre suspecte de complaisance, et finalement de vide intellectuel ? Dans la presse, il est certain que les (très rares) pages qui sont lui consacrées naissent trop souvent du remords, de la mauvaise conscience dâen si peu parler, et finalement de lâéloge funèbre. Par périodes (une quinzaine au printemps ?), quand il « fait événement », la presse se souvient dâun genre que peu de journalistes connaissent, si bien quâils sâen acquittent par deux ou trois souvenirs scolaires et quelques grains dâencens autour de livres récents dont chacun constate à la lecture de lâarticle quâils ne sont guère plus lus que compris.

La véritable critique poétique se joue donc dans les revues ; elle est le fait des poètes eux-mêmes, qui, comme disait Montaigne, passent ainsi leur temps à « sâentregloser ». Ce phénomène nâest pas neutre : faute dâun regard extérieur, dâun arbitre (hors peut-être lâuniversité, mais la plupart des professeurs spécialistes sont eux-mêmes auteurs de poésie désormais), une critique par les pairs se trouve toujours soumise aux effets des relations humaines, des amitiés comme des cousinages esthétiques. Je ne crois pas les poètes de ce point de vue plus compromis que dâautres écrivains. Une récente relecture du Journal de Matthieu Galey mâa montré les écÅurantes complaisances et renvois dâascenseur entre les romanciers des années 1970-1980. Parce quâelle ne constitue pas un enjeu économique, la critique poétique est même en partie délivrée des abjections financières qui sous-tendent le tout : du moins sa mansuétude est-elle le fruit dâaffinités â ou de lâespérance dâune réciprocité, mais dont les effets sont si dérisoires quâon les observe avec au moins autant de pitié que de dégoût.  Sans doute quelque X peut-il rendre compte du dernier chef dâÅuvre dâY en songeant quâY sera ainsi tenu de rendre la pareille⦠Nous avons tous croisé de ces auteurs chétifs et vinaigrés, furieux de lâabsence de tout retour sur leurs écrits : mais leur hargne avoue tant de fragilité quâelle mêle à son ridicule beaucoup de pathétique. Bien des poètes nâattendent pas de la critique une réflexion serrée, mais une manifestation de leur existence. Lâindifférence de la société à leurs travaux explique leur demande dâenfants criant dans le noir : elle peut émouvoir, rapportée à lâinjustice qui consacre tant de pages vaines à des livres vides, tandis que leurs efforts sont constamment négligés.

Câest dâailleurs cette surdité sociale qui éclaire lâabondance des critiques positives. Face au silence en matière de poésie, quand on a la chance de disposer dâun peu de place, on peut hésiter à consacrer des lignes à autre chose quâau salut que méritent des textes partout ailleurs négligés. Prime alors lâadmiration, qui nâest pas un mauvais guide. Pour ce qui me concerne, la régularité de la chronique (une à chaque numéro dâEurope), et le nombre considérable de signes attribués (15000 !) permettent dâouvrir la critique à plus dâune tonalité : lâéloge peut sâaccompagner de réserves, dâinterrogations, voire laisser la place à des contestations. Mais les tentatives de susciter une réflexion collective sont vite renvoyées à leur vanité. Ainsi par exemple avais-je cru en mai 2017 poser quelques questions assez précises concernant Un nouveau monde, lâépaisse anthologie dâYves di Mano et Isabelle Garron publiée chez Flammarion : peut-on écrire lâhistoire de la poésie depuis les années 1960 en sâen tenant aux auteurs qui débutent alors ? Cette question de méthode renvoie à deux conceptions antagonistes, qui me paraissent décider (bien mieux que lâancienne opposition surjouée entre « lyrisme » et « antilyrisme ») des esthétiques dâaujourdâhui, selon quâelles conçoivent la littérature comme un héritage, ou comme une table-rase générationnelle. Ecrit-on avec le passé des formes, ou contre lui ? Ce nâest pas tout à fait rien. Il nây eut nulle réponse, mais, par ricochet, un témoignage, selon lequel il aurait été dit quâ« on se doutait que Barbarant nâaimerait pas ». Câest un peu mince. Mais cela en dit assez long sur la possibilité, en critique poétique, dâouvrir aujourdâhui un débat.

Olivier Barbarant


9RJqQWofoPs

Voir l'article complet