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(Les Disputaisons) La critique en poésie, Jean-Claude Pinson


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Posté 11 novembre 2019 - 02:54

<p class="MsoNormal blockquote" style="line-height: 125%; margin-left: 40px; margin-right: 40px; text-align: center;"><span style="font-size: 12pt; line-height: 125%; font-family: 'Garamond','serif';"><strong><br /><br />Reprise et apostilles <br /></strong><strong><br /></strong></span></p>
<p class="MsoNormal blockquote" style="line-height: 125%; margin-left: 40px; margin-right: 40px; text-align: justify;"><span style="font-size: 12pt; line-height: 125%; font-family: 'Garamond','serif';"> <a class="asset-img-link" href="https://poezibao.typ...515dd200d-popup" onclick="window.open( this.href, '_blank', 'width=640,height=480,scrollbars=no,resizable=no,toolbar=no,directories=no,location=no,menubar=no,status=no,left=0,top=0' ); return false" style="float: left;"><img alt="Image disputaison" class="asset asset-image at-xid-6a00d8345238fe69e20240a4c515dd200d img-responsive" src="https://poezibao.typepad.com/.a/6a00d8345238fe69e20240a4c515dd200d-100wi" style="width: 100px; margin: 3px 15px 5px 5px; border: 1px solid #969696; box-shadow: 8px 8px 12px #aaa;" title="Image disputaison" /></a>Quand jâai accepté, en août dernier, la proposition de Jean-Pascal Dubost dâécrire à propos de la « critique journalistique en poésie », je ne me souvenais plus avoir déjà abordé la question, il y a bientôt une vingtaine dâannées, dans le chapitre dâun essai intitulé <em>Sentimentale et naïve</em> (paru chez Champ Vallon, en 2002). Jây définissais à la fois comme « poïétique » et « poéthique » la critique de poésie telle que je la conçois et tente, depuis bientôt trente ans, de la pratiquer. Ma position nâayant pas depuis vraiment varié, je reprends ci-dessous deux extraits du chapitre où je tente de préciser ce que jâentends par ces termes. Jây ajoute seulement quelques apostilles.<br /><strong><br /></strong><br /><strong>I. Reprise </strong>(extraits de <em>Sentimentale et naïve</em>, chapitre intitulé « De la critique de poésie », pp. 179-189).<strong><br /></strong><br /><em>Une critique « poïétique »</em>. â [â¦] je ne crois pas que le jugement esthétique soit condamné au subjectivisme pur et simple. « Objectivement », certaines Åuvres comptent plus que dâautres, et cette « objectivité » ne se réduit pas à leur  simple apport historique ou à leur capacité à « faire date ».<br />Le choix des auteurs dont je parle dans les pages qui suivent ne découle donc pas de simples préférences. Il y entre un souci dâobjectivité, même si une certaine contingence y a aussi sa part (le hasard dâun colloque ou dâune commande de revue, par exemple) [â¦].<br />Pour autant, mon choix nâest pas désintéressé. Il procède dâune démarche où lâexamen des écritures des autres se fait dans lâoptique dâune écriture quâon cherche pour soi-même. [â¦]. Auscultant les Åuvres de Pierre Michon, Jude Stéfan, James Sacré ou Dominique Fourcade, jâai donc voulu me nourrir des façons quâa chacun de faire bouger la langue; de la faire paraître en gloire (Michon) ou dâen profaner lâorgueil (Stéfan); de la faire marcher dans la poussière à pied (Sacré) ou planer  sur la page (Fourcade).<br />[â¦]<br />Baudelaire, qui considère quâ« il est impossible quâun poète ne contienne pas un critique » et que le poète est « le meilleur de tous les critiques », a donné de cette démarche critique une définition qui semble la placer aux antipodes de la critique « sérieuse », « scientifique ». En effet, loin dâêtre désintéressée, elle doit être, écrit-il, « partiale » et « passionnée ». Comprenons quâau lieu de procèder dâun hypothétique point de vue de nulle part, elle fait prévaloir, passionnément, le point de vue de lâartiste, du poète entièrement engagé dans son travail propre, et qui envisage, critique et juge les Åuvres présentes et passées dans lâoptique de ce quâil cherche à faire (<em>poïeien</em>). Le point de vue « partisan » nâest pas ici celui dâune école, mais celui, « pragmatique », de lâatelier, à quoi tout est en dernière analyse rapporté. La critique poétique va de pair avec la création elle-même; elle se fait « en lisant en écrivant ». On nommera donc « poïétique », plutôt que poétique, une telle critique.<br />[â¦.] Tournée vers lâinconnu de lâÅuvre à faire, elle se penche sur les Åuvres, littéraires ou non [â¦.], où elle pense pouvoir trouver de quoi mettre en branle et alimenter son propre mouvement. Câest à des fins en dernière instance <em>opératoires</em> quâelle examine les produits de ses glanages, <em>bricolant</em> avec ce matériau des concepts et réseaux réflexifs qui ont autant pour fonction dâéclairer <em>en avant</em> ce que veut le poète critique que rétrospectivement les Åuvres faites sur lesquelles il se penche.<br /><br />[â¦].<br /><br /><em>Une critique « poéthique ».</em> â La critique véritable, écrivait encore Baudelaire, « touche [...] à chaque instant à la métaphysique ». La critique « poïétique » sâélèvera donc, dans le moment où elle interroge les Åuvres à la question de leur pourquoi et de celui, en elles, de lâacte littéraire (de son <em>pour quoi</em> â de sa finalité â tout aussi bien). <em><br /></em>[â¦]<br /><br />Toute grande Åuvre poétique (littéraire), telle est du moins ma conviction, nâest pas seulement un objet verbal offert à la jouissance esthétique, à lâanalyse ou à la réflexion, ni même simplement vecteur dâun questionnement. Elle est aussi <em>proposition de monde</em> â et notamment proposition, une ou plurielle, quant à telle ou telle modalité possible de son habitation. En même temps quâelle est invention de formes, événement de langage, elle est, plus ou moins directement, <em>en vue de</em> lâexistence; en vue dâune habitation ragréée du monde. En faisant entendre une voix, en racontant (ou ne racontant pas) des histoires, en jouant des émotions ou en les déjouant, elle pose, plus ou moins obliquement, la question « poéthique » du comment vivre, la question de la « vraie vie » toujours absente et toujours recherchée.<br />En dâautres termes, la critique â du moins celle que jâappelle de mes vÅux et tente de pratiquer, ne doit pas seulement être « poïétique ». Elle ne doit pas oublier quâà travers les livres, ce que nous cherchons, câest une mesure, quelque introuvable quâelle soit, pour donner belle vitesse à lâexistence. La critique a donc une responsabilité vis-à-vis de ce qui fait quâune Åuvre, loin dâêtre une simple structure, close sur elle-même et sur le (mauvais) infini des questions propres à la littérature, est forme ouverte sur la finitude de lâexistence, est visée dâun séjour, dâun <em>ethos</em>, dâune « forme de vie », susceptible de valoir pour dâautres que pour le poète questionnant la poésie. Sera donc « po-éthique » la critique qui sâattache à cette visée que lâÅuvre constitue comme son horizon. <br /><br />[â¦]<br /><br /><strong><br /></strong><strong>II. Apostilles<br /></strong><br /><br />1. <em>Mutations du contemporain</em>. â Une question préalable mériterait dâêtre posée quant à lâobjet lui-même. <br />La critique se conçoit ici de livres (ou de plaquettes). Mais depuis une ou deux décennies, la poésie sâest notablement déportée du côté de la « performance ». La poésie « scénique » a aujourdâhui plus de public que la poésie écrite nâa de lecteurs. En atteste le foisonnement des festivals et autres manifestations où la poésie <em>se performe</em> et se donne en spectacle. Par le biais de lâoralité, se réinventant, elle semble retrouver jeunesse et prospérité. Renouer aussi peut-être avec le plus ancien lyrisme, celui quâa naguère étudié Florence Dupont, montrant comment la poésie de lâantiquité grecque, avant de se fixer comme texte, participe dâune « culture chaude » où la parole poétique est dâabord celle qui sâélève dans lâivresse ritualisée dâun banquet (dâun <em>symposium</em>). Une telle poésie requiert sans doute une critique ad hoc, qui reste à inventer et qui a plus à voir, peut-être, avec la critique dâart quâavec la critique littéraire. <br /><em><br /></em>2.<em> Dâoù je parle et où jâécris</em>. â  « Quâen est-il de la critique ? », demandait naguère Maurice Blanchot en préambule de son <em>Lautréamont et Sade</em> : « LâUniversité, le journalisme, écrivait-il, constituent toute sa réalité. La critique est un compromis entre ces deux formes dâinstitution ».<br />La critique « journalistique » nâest toutefois pas vraiment mon affaire, même sâil mâest arrivé dâécrire des critiques dans un journal comme <em>La Quinzaine littéraire</em> (du temps de Maurice Nadeau) et même, une fois, dans <em>Le Monde</em> (à propos de Philippe Beck). Ma perspective et ma pratique sont plutôt celles dâun essayiste en quête dâune « théorie dâensemble », ayant pour objet la littérature en général et pas son seul canton poétique. Les textes critiques que je rassemble dans mes essais sont des études de format plutôt long et à caractère universitaire. Si je parle depuis une position « intéressée » de scribe (de chercheur dâécriture) et pas seulement de lecteur, mon regard est en effet nourri (encombré ?) de philosophie et de théorie littéraire. Il est celui dâun prof qui a longtemps enseigné à lâUniversité la philosophie de lâart (il mâest arrivé, il mâarrive, dâécrire aussi sur des artistes plasticiens). <br />Synchronie mais aussi diachronie ; approche historienne (bien que je ne sois pas historien de la littérature) que favorise lâancienneté dans le métier (mais ce nâest évidemment pas un « métier »). Jâai commencé en effet à publier des notes de lectures dans les années 80 (dans une revue aujourdâhui disparue, <em>Oracâl</em>, et dans la <em>NRF</em> du temps de Jacques Réda). Jâai ensuite régulièrement recensé des livres de poésie (mais pas seulement) dans diverses revues. Et je continue, aux revues sâajoutant aujourdâhui des sites Internet (tout spécialement S<em>itaudis</em>). Jâécris également des critiques dâouvrages en prose (romans, essaisâ¦) pour une revue locale trimestrielle qui nâa pas grand chose à voir avec la littérature, la revue <em>Place Publique</em> (revue urbaine généraliste liée à la métropole Nantes-Saint-Nazaire). Il mâarrive aussi, de plus en plus féquemment, de « poster » sur ma page Facebook des notes relativement longues à propos de livres qui ont retenu (favorablement) mon attention (par exemple, récemment, un récit en prose dâOlivier Rolin, ou encore un essai de Tanguy Viel ou un autre sur⦠Scarlatti).<br /><br />3. <em>Recensions</em>. â Jâécris des recensions. Jâemploie ce terme à dessein. Il implique deux idées. Celle, dâune part, de recensement ; celle, dâautre part, non pas de censure (au sens trivial), mais dâévaluation, de <em>jugement</em> établissant une hiérarchie des valeurs, écartant certaines Åuvres pour en mettre dâautres en avant.<br />« <em>Censere</em> », dans la Rome antique, câétait dâabord estimer les fortunes afin de fixer lâimpôt. Ce qui implique une vue dâensemble et un travail de cadastrage. La critique telle que je la conçois cherche à donner du champ, autant que faire se peut, une vue dâensemble, panoramique. Elle mesure le terrain, lâarpente, afin de choisir le meilleur emplacement pour établir son propre camp. Elle est une sorte de <em>castramétation</em> (dans la Rome antique, art de choisir et de disposer l'emplacement d'un camp ou d'une place forte). <br />Un émule de Bourdieu ne manquera pas ici de relever le terme de « champ » et de souligner quâil implique, en son acception sociologique, un rapport de forces et un conflit dâintérêts pour la maîtrise dudit champ, aussi étriqué soit-il. Il ne manquera pas de ramener le choix supposément « désintéressé » (du moins, selon Kant, en son exigence idéale) du jugement esthétique à ses conditions réelles de production, en lâoccurrence à un intérêt symbolique (« distinctif ») investi dans la lutte pour dominer le champ, pour acquérir, écrit Bourdieu, « le monopole du pouvoir de consécration des producteurs ou des produits » (<em>Les Règles de lâart</em>). <br />Inutile de se voiler la face, la critique de poésie nâéchappe pas à ces enjeux de pouvoir (de dérisoire pouvoir). Elle installe ses tribunaux dans un microscopique pays en guéguerre. <br />Je ne crois pas cependant quâon puisse ramener le travail critique à cette seule lutte « politique » pour lâobtention dâun pouvoir dans le champ. La critique que je définis comme « poïetique » procède dâun autre intérêt, celui de lâÅuvre que cherche à faire de son côté le poète-critique. Sâil sâastreint au labeur par bien des côtés ingrat de la <em>recension</em>, ce nâest pas tant pour <em>juger </em>que pour <em>capter</em> dans les Åuvres des autres des forces quâil pourra vampiriser et faire fructifier dans lâélaboration de son Åuvre à lui. « Nous nâavons pas à juger les autres existants, écrit Deleuze, mais à sentir sâils nous conviennent ou disconviennent, câest-à-dire sâils nous apportent des forces ou bien nous renvoient aux misères de la guerre [â¦] » (« Pour en finir avec le jugement », in <em>Critique et clinique</em>). <br />Câest en somme une affaire dâaffinités et de <em>préférences</em>. Le critique alors oublie la plus ou moins grande surface sociale que lâÅuvre élue possède ou est susceptible dâacquérir dans le champ. Il se glisse en son plus intime pour en ressaisir le geste poétique créateur le plus essentiel. « La critique, dit Blanchot, nâest plus le jugement extérieur qui met lâouvrage littéraire en valeur et se prononce, après coup, sur sa valeur. Elle est devenue inséparable de son intimité, elle appartient au mouvement par lequel celui-ci vient à lui-même, est sa propre recherche et lâexpérience de sa possibilité. » <br /><br /><br /><strong>Jean-Claude Pinson<br /><br /><br /></strong></span></p><img src="http://feeds.feedburner.com/~r/typepad/KEpI/~4/spyFFmg3gBA" height="1" width="1" alt=""/>

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