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(Note de lecture), La revue TXT n° 32 et 33, par Olivier Penot-Lacassagne


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Posté 12 novembre 2019 - 09:44

 

6a00d8345238fe69e20240a4c55dd2200d-100wiTXT fut à la fois un collectif et une revue dâavant-garde. Trente et un numéros ont paru entre 1969 et 1993, parmi lesquels, miroirs dâune évolution théorique, dâune traversée critique, dâune mue politique, dâun parcours intellectuel résolu, « Ponge aujourdâhui » (n° 3-4, 1971), « La Démonstration Denis Roche » (n° 6-7, 1974), « Au-delà du principe dâavant-garde » (n° 13, 1981), « La Dégelée-Rabelais » (n° 21, 1987), « Le Chanteur en charabia » (n° 22, 1988), « Côté corps, côté jargons » (n° 29-30, 1992). Lâaventure de TXT cessa en 1993, chacun des membres â Christian Prigent, Jean-Pierre Verheggen, Éric Clémens, Jacques Demarcq, Pierre Le Pillouër, Philippe Boutibonnes, Alain Frontier⦠â poursuivant, hors de cette communauté agissante, une Åuvre qui exprimait « par la cruauté dâun style, une radicale âsingularitéâ », dixit Prigent (Légendes de TXT, 1995).

TXT est devenu depuis lors objet dâétude. Affirmé au tournant des années 2000, cet intérêt de quelques-uns a permis de redécouvrir â lectures fécondes à rebours de pleurnicheries sur la fin des avant-gardes â les problématiques avant-gardistes des années soixante-dix, la défense des « grandes irrégularités du langage » (Bataille), la revendication dâune modernité « résolument moderne » à lââge de la Restauration post-moderne, une certaine expérience du « présent ». Colloques et publications dites savantes ont ainsi relayé et disséminé cette parole, individuelle ou collective, qui sâemployait à contredire et à contrefaire « lâordre des discours » autant que leur déconstruction. Cette forme dâactualisation incessante, par le biais universitaire, des manifestes et des expériences passés souligna lâimportance de cette aventure. TXT a compté, quoi quâon en dise. Câest pourquoi ses déclarations, ses propositions et ses expérimentations méritent et requièrent encore notre attention critique.
Ce nâest pourtant pas sans surprise quâon apprit à lâautomne 2017, soit vingt-cinq ans après la parution du conclusif « Languelais, Fatrasies & Lotharingites » (n° 31, 1993), la parution imminente dâun nouveau numéro de la revue défunte, intitulé comme il se doit : « Le retour ». Composé des « historiques », le comité de cette trente-deuxième livraison signait un éditorial, « À fond la forme ! », qui levait dâemblée les doutes quâon pouvait avoir sur la vitalité de cette « communauté dormante » et sur ses intentions. Rappelant en effet à celles et ceux qui lâavaient oublié le « programme » (« le travail des langues ») et la « conviction » (« le poétique est dans la poéticité matérielle », « la poéticité fait le sens du texte ») du TXT de naguère, lâÉditorial, magistral, nâentendait rien retrancher de cette « haine de la poésie » qui avait commandé ses engagements, dégagements et langagements. « Vider la poésie de la poésie qui bave de lâego, naturalise et mysticise, rêve dâamour et dâunion, dénie obscurités, chaos et cruautés, décore le monde et marche à son pas » : à qui donc, se demandait-on songeur, pouvaient bien sâadresser les auteurs de ce coup de balai vindicatif ? « Rien ne lia davantage ceux qui firent TXT que la âhaine de la poésieâ. [â¦] Rien ne prouve quâil faille aujourdâhui haïr moins », lisait-on encoreâ¦
Suivaient quelques considérations sur le « bel aujourdâhui » poétique : ses trucages, ses complaisances, ses mollesses, ses recyclages attendus, ses renoncements intermédiaux, ses montages et ses démontages, collages et bricolages⦠Bref, le vent du large soufflait sur ce numéro inattendu qui sâinquiétait du sort fait à la poésie et se demandait que faire pour y contrevenir : « Notre monde, le monde informe des réseaux de communications le monde lié, ne communique rien. Rien = clichés, humeurs, confidences, fake news. Dans le travail poétique, au contraire, lâexpérience cherche ses propres formes, ses rythmes sensibles. On veut trouver des équivalents verbaux justes à ce qui, des vies, est mal nommé, mal pensé, non encore nommé. »
À la fois sérieux et joyeux, le sommaire livrait ces « équivalents » qui entremêlent « pensée », « ironie » et « gai savoir ». « Extraits » du « Journal 2017 » de Verheggen, « Sonnets » indésirables de Prigent, « Moches zâheures » de Boutibonnes « et autres piétinements de Le Pillouër, partie dâune conférence en croix, croisée et croisement de Novarina (« Lâesprit respire »), récit parcouru de chemins de traverse où se perdre de Frontier (« Démonstration »), proses « sonnantes et trébuchantes » de Clémens (« La mort existe pas »), prose insistante et jaillissante de Pennequin (« Que veut le vent »). « La poésie câest le retour à lâétat sauvage de sa propre personne », écrit ce dernier. « Une façon animale de prendre de la hauteur. Prendre de la hauteur puis pour le mettre en pièce sâabattre sur tout ce qui nous parle. »

La parution récente (septembre 2019) dâun numéro 33, intitulé LâAlmanach, prolonge ce « retour » de TXT. Comité renouvelé â les « historiques » ont laissé la place à Bruno Fern, Typhaine Garnier et Yoan Thommerel ; sommaire accueillant dâanciens et de nouveaux contributeurs (Aldo Qureshi, Benoît Toqué, Jean-Christophe Ozanne, Jean-Pierre Bobillotâ¦). Différente de la précédente, cette livraison multiplie les élaborations formelles, où « ce qui nous parle » est désillusionné, élaborations ponctuées des pages dâun faux almanach enrichi de petites annonces et de rubriques variées (« Le coin des poètes », « Célébrage », « Performage », « Conseil pratique », « Courrier du cÅur »).
Lâéditorial du numéro 32 demandait à ses lecteurs dâêtre attentifs aux « gestes dâart » qui, « comme des secousses », communiquent des « respirations », des « chances de déliaison ». Une note de bas de page signalait lâallusion à Walter Benjamin, dont lâentièreté du propos était rapportée : « Dans la distraction, lâÅuvre dâart crée de la secousse et même le cas échéant nâest rien que le prétexte à un comportement actif des sujets. »  On peut sans se tromper lire dans ces mots de Benjamin lâambition de TXT nouvelle formule.
Secouer, délier, être le prétexte deâ¦, dans le refus deâ¦, au nom deâ¦, sans souci du performatif, loin du spectaculaire.
Droit de réponse inventif.
Expression intarissable dâune « liberté polémique dans la modernité » (Verheggen).
           
Olivier Penot-Lacassagne

TXT, n° 32, 2018, 95 p. ; TXT, n° 33, septembre 2019, 143 p. (éditions Nous)



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