Aller au contenu

Photo

(Note de lecture), Johannes Kühn , J’ai mesuré ma vie à l’aune de l’herbe, par Frédéric Dieu


  • Veuillez vous connecter pour répondre
Aucune réponse à ce sujet

#1 tim

tim

    Administrateur

  • Administrateur principal
  • PipPipPipPip
  • 5 689 messages

Posté 13 novembre 2019 - 10:40

 

Johannes Kühn ou la joie simple

6a00d8345238fe69e20240a49c7f91200c-100wi« Lâhomme, ses jours sont comme lâherbe » dit le Psalmiste (Psaume 103). Symbole de la finitude et de la précarité, figure de la condition mortelle, lâherbe qui grandit avant de sécher et dâêtre coupée pourrait être prise en mauvaise part. Elle ne lâest pourtant pas par Johannes Kühn, poète allemand né en 1934 dans le Land frontalier (pour nous) de la Sarre et dont lâÅuvre est aujourdâhui largement reconnue en Allemagne (il a notamment reçu le prix Hölderlin en 2004).
Lâhomme écrit chaque jour trois poèmes, sauf le dimanche, nous disent ses éditeurs et préfaciers. Son écriture manifeste un consentement plénier à cette finitude quâannonce si bien la fragile beauté de lâherbe. Et ce consentement apparaît finalement plus grand que son objet, comme sâil disait, de la façon la plus humble et secrète, quelque chose dâuniversel et dâinfini. Un abandon confiant à plus grand que soi :

« Câest une telle nature quâil me faudrait,
herbe rase, jâaimerais lâêtre,
ayant entière confiance
dans lâaide du ciel
qui jamais ne tarit ».

Lâhumilité semble être pour Johannes Kühn la condition du poète, au double sens de ce terme : exigence préalable ; état et destinée. Double sens et double conséquence : le poète doit porter son regard et son écriture sur ce qui est humble et ce quâil voit ainsi, il doit le dire humblement, dans un langage simple.
Cette humilité est sÅur de lâétonnement, de lâémerveillement qui invitent à contempler sans sâapproprier, à recevoir sans emporter :

« Vous, fleurs au bord du chemin,
vous, toujours menacées,
vous, dont lâéclat me comble chaleureusement
â¦
Naïvement je vous honore,
ne vous cueillerai au grand jamais
et resterai un Juste. »

Le poète ne cherche ainsi dâautre gloire que celle des lys des champs, dont lâéclat de la parure est plus riche que celle du roi Salomon disent les Évangiles. Humilité du poète, confessée franchement et gaiement, dans un ton qui rappelle Robert Walser :

« Je lève mon verre
faisant signe de tous côtés,
pour saluer mes amis.
Que lâun dâeux connaisse encore mon nom,
ce serait bienveillance de sa part.
De telles choses, je les dis
en toute modestie. »

Humilité quâalimente certes la conscience de sa précarité, chaque jour plus vive, lââge venant. Il y a dans la vieillesse en effet la solitude (« Aucune lettre nâarrive, / des visiteurs qui pourraient se présenter, / peut-être avec des paroles de consolation, / je les attends en vain »). Il y a aussi le constat de sa propre décrépitude (le poète constate que sâil veut danser maintenant, câest « en faisant sâentrechoquer mes os ») et la proximité de la mort : celle de lâêtre aimé (Froid, ce mois de mai) et celle qui sâapproche du poète comme le chasseur traque le lièvre (Ne suis-je pas semblable au lièvre ?).
Il y a enfin la mémoire des horreurs traversées, comme celle de la guerre :

« Jâai tiré
en vérité sur un étranger,
qui tomba, muet, sans un cri.
â¦
me reviennent alors à lâesprit bien des hommes,
que mes coups de feu
ont abattu dans le sable. »

Pourtant, câest bien lâesprit dâenfance qui souffle sur les poèmes de Johannes Kühn et les traverse. On le voit ainsi, comme un enfant, se réjouir de ses nouvelles chaussures de marche : « Du bonheur rythme mes pas ». Lâamour de ce qui est simple et sobre sâoppose chez lui à la défiance vis-à-vis de ce qui est démesuré et qui sâavère dâailleurs encore plus fragile et périssable. Qui dans sa démesure même porte la promesse de sa chute.
Le poème Le Building, écrit plus dâun an avant les attentats du World Trade Center, décrit ainsi de façon presque prophétique la fin possible dâun immeuble « qui fait lâeffet dâagripper le ciel » :

« Sidéré, je me rends à ses pieds,
en maudissant la bombe,
qui pourrait lâatteindre,
me prend alors lâangoisse de la guerre.
Celle qui fait poindre un avion
volant encore plus haut
que ne se dresse le building,
pure frénésie pleine dâun vacarme
de fusée
au ciel de midi. »

Câest ainsi quâà sâattacher aux petites choses, à dire leur primauté, lâon aiguise son regard jusquâà apercevoir ce que ne voient pas ceux qui se consacrent aux grandes.
La seule démesure qui vaille et veuille du bien nâest-elle pas celle de la joie ?

« Ma conscience me dit de contempler
cette contrée avec joie,
je nây applique nulle mesure, ce serait trop,
ou pas assez. »


Frédéric Dieu

Johannes Kühn, Jâai mesuré ma vie à lâaune de lâherbe, LâÉchappée belle éditions, 2018, 82 p., 15â¬

Sur le site de lâéditeur :
La poésie de Johannes Kühn n'est ni abstraite, ni hermétique.Tout artifice, toute affectation lui sont étrangers. Il fait au contraire place aux mots de tous les jours et élargit ainsi le champ poétique. On pourrait lui appliquer la formule de Mireille Gansel, traductrice et poéte : "Savoir remettre ses pas dans ceux qui mènent à la source des choses simples".
Johannes Kühn est né en 1934 à Bergweiler (Sarre) dans une famille de mineurs. Son Åuvre poétique est abondante, tardivement reconnue. Il a reçu de nombreuses distinctions, parmi lesquelles le prix H Lenz (2000) le prix Hölderlin (2004).
Vincent Joël est né à Château Thierry en 1944. Il traduit de la poésie allemande depuis plus de 30 ans. Il a notamment traduit Joachim Sartorius, Johannes Kühn, Robert Gernhardt, Peter Härtling, Dieter Gräf, Durs Grünbein, etc...


52GnqwBTamQ

Voir l'article complet