( A la mémoire de Clotilde L. )
elle l'avait perdu, lui aussi,
son second fils, Jean, son préféré,
alors même qu'elle le croyait sauvé,
au dernier jour de la guerre
Armand, était mort deux ans avant,
et résignée, presque consentante,
-horreur!- elle avait demandé à Dieu
simplement de lui en laisser un,
d'épargner l'autre
depuis lors, les cloches de la Victoire
s'arrêtaient tous les 11 novembre
aux volets de sa chambre,
définitivement clos
et tous les après-midi, elle mourait
un peu plus, là, dans la pénombre,
les veines de son cou gonflées
à se rompre, son cœur battant la charge
comme au combat
* * *
aussi, quand. en 1942, la Kommandatur
avait logé chez elle un tout jeune soldat,
loin de haïr l'enfant de l'ennemi,
elle l'avait aimé comme un fils retrouvé,
et quand on l'avait envoyé
sur le Front Russe, elle l'avait pleuré
lui aussi, comme son propre fils
qu'elle perdait pour la seconde fois
et depuis, plus inconsolable que jamais
d'avoir perdu deux fois ses fils
dans l'une et l'autre guerre,
elle n'était plus qu'une Mater Dolorosa
pour qui le carillon de la Victoire
n'était rien d'autre qu'un sombre glas,
le son des cloches de la Mort