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(Notes sur la création) Herta Müller


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Posté 25 novembre 2019 - 08:55

 

6a00d8345238fe69e20240a4ca4ab8200d-100wiÀ lâoccasion de la parution dâEssais choisis de Herta Müller aux éditions Gallimard, collection Arcades, dans la traduction de Claire de Oliveira, Poezibao propose ici deux courtes citations extraites du premier essai, « Dans chaque langue nichent dâautres yeux », destinées à prolonger la lecture et à courser le sens vertigineux de ce que lâauteur dit aux endroits en question à travers les yeux dâune autre traduction, due à Pierre Drogi.

« Lire, ou même écrire soi-même des livres nâapporte aucun remède. Sâil me faut expliquer pourquoi un livre est pour moi intransigeant et un autre sans relief, je ne peux que renvoyer à la densité des passages qui déclenchent dans la tête lâélan presque fou (Irrlauf) des pensées, passages qui entraînent immédiatement mes pensées là où aucun mot ne peut tenir. Plus ces passages sont densément représentés dans le texte, plus intransigeant est le livre ; plus ils sont rares, plus le texte est sans relief. Le critère de qualité dâun texte sâest pour moi toujours résumé à celui-là : est-ce que cela déclenche ou pas lâélan presque fou des pensées ? Chaque bonne phrase aboutit dans la tête en un lieu où ce quâelle libère parle autrement avec soi-même quâavec des mots. Et quand je dis que des livres mâont transformée, câest pour cette seule raison-là. Il nây a dâailleurs, en dépit de tout ce quâon répète si souvent, aucune différence à ce sujet entre la Poésie et la Prose. La prose doit obtenir la même densité, même si elle se doit, parce que sur une longue distance, de mettre en Åuvre, pour ce faire, dâautres procédés. »

Herta Müller, Der König neigt sich und tötet, Fischer Taschenbuch Verlag, Frankfurt am Main, 2009 ; « In jeder Sprache sitzen andere Augen » / « Dans chaque langue nichent dâautres yeux », p. 20 (trad. et cité par Pierre Drogi, « Folie du récit, folie du livre », Secousse n° 8, octobre 2012, repris dans Fiction : la portée non mesurée de la parole, Passage d'encres, 2016, p. 112-113).

âžÉlucidationâ figurant en note (P. Drogi, op. cit.,  p 113):
Une précision de traduction : on peut rendre Irrlauf parâ course folleâ, âélan fouâ, âdivagationâ, ou le gloser aussi par âsortie des railsâ voire âlibre cours laissé à la folieâ. Quoi quâil en soit, dans âélan presque fouâ le âpresqueâ est de trop mais le passage tiré de son contexte aurait pu paraître brutal et peu clair. Herta Müller élucide elle-même le sens quâelle attribue au mot et au phénomène quâil recouvre dans le reste de lâessai par lequel sâouvre le volume. « Dans la langue du village - ainsi me semblait-il enfant - et pour tous ceux qui mâentouraient, les mots reposaient directement sur les choses quâils désignaient. Les choses sâappelaient exactement comme elles étaient, et elles étaient exactement comme elles sâappelaient. Une évidence et un pacte conclus pour toujours. Il nâexistait pour la plupart des gens aucune ouverture à travers laquelle il ait fallu regarder entre mot et objet pour fixer le rien comme si on avait glissé hors de sa propre peau dans le vide. »

Herta Müller, op. cit., p. 39.
« La langue nâa jamais été et nâest jamais sans conséquence politique car elle ne se laisse pas séparer de ce que lâun fait à lâautre. [â¦] Dans son inséparabilité dâavec lâacte, elle devient légitime ou inacceptable, belle ou haïssable, on peut aussi dire : bonne ou mauvaise. Dans chaque langue, je veux dire dans chaque façon dont on en fait usage, nichent dâautres yeux. »

(Trad. et cité dans Le français aujourd'hui, n° 179, Armand Colin, décembre 2012, dans le cadre dâun entretien avec Serge Martin, p. 153, repris dans le n° 14 de la revue Sarrazine, 2014, p. 232).


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