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(Note de lecture), Michele Mari, Toi, sanglante enfance, par Marc Blanchet


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Posté 25 novembre 2019 - 10:14

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<p class="MsoNormal blockquote" style="line-height: 125%; margin-left: 40px; margin-right: 40px; text-align: justify;"><span style="font-size: 12pt; line-height: 125%; font-family: 'Garamond','serif';"> <a class="asset-img-link" href="https://poezibao.typ...f0369200b-popup" onclick="window.open( this.href, '_blank', 'width=640,height=480,scrollbars=no,resizable=no,toolbar=no,directories=no,location=no,menubar=no,status=no,left=0,top=0' ); return false" style="float: left;"><img alt="Michele mari toi sanglante enfance" class="asset asset-image at-xid-6a00d8345238fe69e20240a4ef0369200b img-responsive" src="https://poezibao.typepad.com/.a/6a00d8345238fe69e20240a4ef0369200b-100wi" style="width: 100px; margin: 3px 15px 5px 5px; border: 1px solid #969696; box-shadow: 8px 8px 12px #aaa;" title="Michele mari toi sanglante enfance" /></a>Parler dâune culture populaire à partir dâune maturité littéraire est une gageure. Beaucoup sây risquent sans succès. La complaisance sâenglue dans lâanecdotique ; le souvenir dâun objet, déjà saisi par le fétichisme, devient un signe de ralliement adressé tacitement à ceux qui le reconnaîtront et affaiblit lâexigence intellectuelle. Il y a un glissement à opérer, un aveu parfois à faire : une distance est apparue, la mémoire doit avouer des perturbations, des préférences confier des origines un rien douteuses, des enthousiasmes formuler un hier qui se tenait dans des illustrés, des jouets, des curiosités ou des croyances, que le savoir a fini par ratisser, et surtout dépasser, apparemment, par des élections plus fortes, plus profondes, sinon des valeurs â en somme : le grand Art. <br />Aussi la suite de nouvelles de lâitalien Michele Mari, né en 1955, et dont trois romans furent également traduits par Jean-Paul Manganaro, est-il autant un livre de jeux quâune forme masquée dâessai littéraire. Lâécrivain parvient, avec une habileté qui repose, pourrait-on dire, sur du vertige, à convier ce monde de lâenfance où le langage vient buter sur la matière des livres, où le héros est dâabord un personnage de couleurs et de formes, où les figures du père et de la mère hantent successivement ces tentatives dâêtre qui perdurent dans la vie adulte. De même, le livre inscrit dans sa prose, à la fois instruite et malicieuse, des états au monde qui dépassent ceux de lâenfance pour faire de la vie adulte lâécho des premières acquisitions, des premiers émerveillements. Il sâagit pour le narrateur, qui a le visage de lâauteur, de partager sans trahir lâexpérience dâune enfance au beau milieu de digestions troubles, de compréhensions opaques, pour ensuite nous apprendre à rire du fait quâadulte rien ne sâétablit clairement, que nous faisons finalement que déplacer les problèmes, voire pervertir les interprétations. Dâun père qui prend conscience de devenir prochainement géniteur et sâempresse de soustraire au futur enfant ses illustrés précieusement cachés, du géniteur qui parvient jusquâà la culpabilité à récupérer dans le temps, et dans son dos, les jouets ou autres objets précieux de son fils pour les lui rapporter, à la recension des couvertures de la collection Urania et à la mythologie personnelle quâelle engendre, ou à la réalisation de puzzles dont le nombre de pièces sâaccroît et serait prêt à se confondre à lâéchelle du monde (plus encore constituer une forme dâélaboration mentale qui grossit une peinture pour sombrer dans ses détails), Michele Mari met en scène lâenfance et ses héritages, lâadulte et ses boucles dans le temps, et construit une formidable architecture cérébrale peuplée dâélévation, avec les soubassements nécessaires, croisée à une foultitude dâallusions à laquelle participe dâabord son maniement dâun langage égal aux excès de son raisonnement. Parmi cette enfance dépliée en nouvelles, parmi cet engagement dâun individu dans les possibles dâune réflexion, Michele Mari est autant du côté des suppositions borgésiennes que des labyrinthes manganelliens. Toutefois, il possède sa propre inventivité, et parvient à sous-tendre ce monde hypothétique dâune simplicité alerte, qui est celle-là même qui se tient dans les univers artistiques populaires de lâenfance : ici les cow-boys sont à deux doigts dâaffronter Plutarque, les monstres de passer du mythe au cinéma avec la plus grande aisance. <br />Au cÅur de lâouvrage, deux nouvelles sâimposent comme des chefs-dâÅuvre : <em>Huit écrivains</em> et <em>La Flèche noire</em>, sans diminuer le plaisir aigu des autres. <em>Huit écrivains</em> est une nouvelle qui une fois lue est à partager comme une évidence : la découvrir, câest reconnaître quâelle manquait auparavant à la Littérature. Partant du principe que huit auteurs vénérés pour leurs récits dâaventure (Joseph Conrad ; Daniel Defoe ; Jack London ; Herman Melville ; Edgar Allan Poe ; Emilio Salgari ; Robert Louis Stevenson et Jules Verne) sont peut-être la même et seule personne, Michele Mari nous fait éprouver quâavec le temps, le doute, né de lâexpérience du lecteur, peut se porter sur lâun dâentre eux, le révéler comme moins pertinent, moins « essentiel », et enclencher une diminution de cet être multiple jusquâà lâélection dâun seul auteur (et peut-être dâun seul livre). Cette nouvelle est un coup de génie narratif et surtout lâhistoire de nos lectures confondues à notre exigence, la puissance de la Littérature quand dâelle-même elle appelle à des sélections, des évictions, en miroir dâun esprit qui se forme, et passe de plus par lâacquisition dâune écriture littéraire. La nouvelle <em>La Flèche noire</em> serait à rapprocher de ces nouvelles exemplaires qui parlent de traductions (<em>Le</em> <em>Traducteur cleptomane</em> de Dezsö Kosztolanyi en premier). Michele Mari accroît ici lâexpérience de la traduction, ce langage multiple quâune langue étrangère peut placer devant une langue dâorigine, elle-même soumise à la polysémie et à des ramifications syntaxiques intransmissibles, et la confond à la figure du père. <br />Lâauteur italien fait preuve dans cet ouvrage dâune inventivité constante qui sous ses dehors aimables, ses postulats séduisants et son désir de convertir à des étonnements, des admirations, et de profondes références, nous aspire vers des conflit plus douloureux quâil ne semble, des profondeurs qui sont autant la fidélité à une remémoration que les méandres savants, tout autant sensibles, quâun esprit épris de Littérature peut transmettre quand il sâagit de parler de lâenfance, de cette sanglante enfance, à laquelle, le titre en témoigne, lâauteur sâadresse, et à laquelle il convient de sâadresser pour que lâécriture naisse, que la pensée traverse lâécriture et que la Littérature devienne chair, fût-elle blessée, du moins ouverte de par la vérité de ses expériences à lâinévitabilité de ses blessures. <br /><br /><strong>Marc Blanchet<br /></strong><br />Michele Mari, <em>Toi, sanglante enfance</em>, traduit de lâitalien par Jean-Paul Manganaro, coll. « fragile », Ypsilon, 2019, 144 p., 17 â¬<br /><br />Extraits : <br /><em>Huit écrivains</em> p. 53<br />Il était une fois huit écrivains qui étaient un seul et même écrivain. Tous écrivaient à propos de la mer et de ses terribles aventures, tous employaient des mots merveilleux comme bastingage et beaupré, tous connaissaient la géographie la plus lointaine, les vents, les faunes, les flores, les constellations, le calcul de la position, puisant dans cette connaissance de très profonds soucis ; ils me faisaient brûler de la même soif et du même délire, frissonner pour la même tempête, sombrer dans le même flot identique. La cale dont ils parlaient avait les mêmes ténèbres, le secret du capitaine ne se résolvait jamais, les mots et les choses passaient interchangeablement dâun livre à lâautre avec une continuité fantastique, et la carte⦠la carte était morcelée en plusieurs fragments distribués dans chacun de ces livres, il fallait les avoir tous lus, se souvenir de tous, les confondre tous.<br /><br /><em>Là-bas</em> p. 129<br />Moi jâavais un père qui mâemmenait visiter lâéglise de San Bernardino alle Ossa, et lâédicule du Fopponino plein de crânes avec un écriteau en latin qui, traduit, disait : « Ne nous raille pas, ô passant, car un jour tu seras semblable à nous ». Je les regardais longuement et je pensais : « Oh non, je ne vous raille pas. »<br /><br />Le mien, au contraire, mâadressa de Palerme une carte postale de la Crypte des Capucins, et de Turin la photographie dâune momie du Musée égyptien. En les voyant dans ma chambre, ma grand-mère sâexclama : « Est-ce que ce sont des choses que lâon montre à un enfant ? », et je me dis en moi-même : « Évidemment que oui ».<br /><br /><br /><br /><br /></span></p><img src="http://feeds.feedburner.com/~r/typepad/KEpI/~4/TqSpwJOyVU4" height="1" width="1" alt=""/>

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