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(Note de lecture) Le Secret de ma jeunesse et Maurice Blanchard, vie supposée et choix de textes, de Pierre Peuchmaurd, par Marc Blanchet


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Posté 16 décembre 2019 - 09:35

 

6a00d8345238fe69e20240a4a9b91c200c-100wiDeux poètes, lâun approché à travers une « vie supposée », croisant lâHistoire et affirmant des nécessités qui lâemmèneront jusquâà être méconnu des siens, lâautre parlant du premier, écrivant lui-même une poésie sujette à toutes les métamorphoses, et qui a en commun de ne transiger sur rien. La figure du poète passe-t-elle par un absolu dont la révolte serait le moteur et la marginalité la preuve irréfutable dâun refus de soumission au nombre ? Il nâexiste pas de vérité en ce domaine ; toutefois il apparaît dans le livre sur Maurice Blanchard de Pierre Peuchmaurd*, et dans les manuscrits posthumes de ce dernier successivement révélés par les éditions Pierre Mainard et lâOie de Cravan, combien la figure du poète sâest modifiée. Câest bien notre société moderne, qui après avoir reconnu le poète maudit du dix-neuvième siècle puis consacré le poète du vingtième entre révolution surréaliste et résistance effective, intériorité et recherche formelle, a divisé les poètes en une fragmentation dâîlots, dâindividus, qui après avoir été racontés dans des mouvements littéraires ou célébrés pour leur originalité, sont devenus de nos jours des auteurs suivis, souvent dans une grande indifférence, par telle ou telle maison dâédition, et rien de plus. Pierre Peuchmaurd, qui ne lâignore jamais puisque sans cesse il interroge cet héritage, sait ce quâil doit au surréalisme â un goût du rêve qui nâest pas imagerie, une pensée du monde qui nâest pas raison. Il a constitué une Åuvre qui nâa jamais prétendu en être une, où la métamorphose dirige la perception, où la vision sâimprègne de la réalité pour la dépasser, sinon la subjuguer, quitte à devenir méduse, changer toute manifestation du temps en paroles, ou se décapiter soi-même au milieu des miroirs et sâécrouler en fragments. Cette poésie cousue de simplicité ouvre sur un monde qui nâimpose pas ses étonnements ; elle jouit de miracles soudains, dâincongruités sincères, avec des corps dâanimaux ici et là, de vives attentions, des étreintes sans bavardage. Non pas une poésie de lâadmiration, plutôt une parole heureuse dâêtre là, parfois en elle-même, non sans fragilité quoiquâun rien jouisseuse de ses apparitions, toujours prête à les délaisser pour nous rejoindre ou côtoyer lâempreinte des saisons : « Sur la terre il y a du beau temps / la table penche / Par terre il y a des filles, / il y a tout un ossuaire. » écrit Pierre Peuchmaurd dans Le Secret de ma jeunesse (suivi dans ce volume de Jours de rangement, deux des sept manuscrits laissés à sa mort, publiés ici par les éditions Pierre Mainard, qui, à tort, pensent avoir « échoué » pour faire reconnaître cet auteur). La poésie de Pierre Peuchmaurd intrigue par un jeu subtil de retenues délicates et de visions fracassantes, tout à fait admissibles et finalement troublantes par lâusage qui est fait dâune réalité à la fois insuffisante et riche dâelle-même : « Grand ciel de mars avec des plumes / et des bâtons dans ses roues noires, / la terre revient la langue pendante / elle plante ses filles et ses décors / elle plante des trous dans la mémoire. » Pas plus quâil nâexistât vraisemblablement une Laure, il y a dans la poésie de Pierre Peuchmaurd une puissance du féminin qui parvient toujours à sâincarner. Cette chair a un goût. De même, la vie courante est irriguée de flux secrets, quâil sâagit de montrer du doigt ; libre à chacun de recevoir une sorte de révélation, qui est le sentiment en soi dâune beauté qui défie le dédain contemporain. Dès lors, on reconnaît ses pairs. La traversée poétique de Maurice Blanchard a bien sûr la franchise 6a00d8345238fe69e20240a4f78885200b-100widâun miroir tendu à soi, non pour quelque exercice dâadmiration qui viendrait compléter lâautoportrait de Pierre Peuchmaurd, mais parce que parler dâun poète est une manière dâagir, de secouer par la parole dâun autre les conventions, de donner un visage sincère à une pensée du monde quâun homme incarna par la poésie, ou fit incarner au poème. Maurice Blanchard est cela, ancré dans lâHistoire par une vie dâaviateur et de combattant, avant que cette vie scientifique ne glisse dans une vie poétique, avec la même vitesse, en se doublant hélas dâune vie professionnelle épuisante. Il plaît à Peuchmaurd, cet homme intraitable, épris tardivement de poésie, qui avance jusquâà nâêtre plus visible de ses contemporains, nâétaient dâessentiels : Joë Bousquet, René Char, André Pieyre de Mandiargues, ou plus tard, Georges Henein et Edmond Jabès. Dans son isolement progressif, Maurice Blanchard atteint une force dâécriture comme de caractère que Pierre Peuchmaurd, en dâautres termes, dâautres états, a dû éprouver, et sâil nâétait, lui, ni « fauve » ni « guerrier », on distingue dans son propos une clairvoyance qui, par ce poète vu en amitié, mène à lui : « Blanchard, pendant toutes ces années, ne fut véritablement « personne ». Il ne voyait presque personne â et pour être quelquâun, il faut en voir quelques-uns (beaucoup). Il ne tenait rubrique nulle part, nâexerçait aucune fonction éditoriale, ne fréquentait aucun cercle littéraire, pas même les surréalistes. Il ne demandait rien â et câest impardonnable. Ajoutons à cela que son métier est de ceux qui rencontrent le plus dâincompréhension et suscitent donc le plus de suspicion dans la gent littéraire, et lâon comprendra que cet homme mettait vraiment toutes les chances de son côté. Qui sème la dignité récolte le silence. » À lâécriture dâun Blanchard, presque colérique devant lâinanité de lâhomme, en tout cas capable dâun lyrisme grandiose (jamais grandiloquent) comme de très belles crudités, répond, si différente, joueuse et éprise de pas de côté, la poésie de Peuchmaurd. Mais leurs chemins se rejoignent aujourdâhui par une solitude qui, si elle ne fut jamais fatale, dessinait clairement une séparation avec la séduction des images, lâexplicitation du propos, le bienfondé des idées qui sont les formes faciles de la littérature. De lâun comme de lâautre, leurs poésies ne cherchent pas à charmer, elles demandent simplement à être vues, suivies, pistées même, tant elles convainquent par un sens de lâirrespect allié à un instinct qui évite tout formalisme, éconduit tout procédé. « Creva la rose / Pour une rose elle était obscure / mais câétait un hachoir dans la main dâun enfant / Tout de suite ce fut lâautomne » : à la poésie de Peuchmaurd, où le vers élude les émotions pour en découvrir de neuves en dâautres territoires, se regarde également en face celle de Maurice Blanchard, dans son désir nullement vain de fraternité, sa foi intacte, sa révolte sans vieillissement : « Je tiens lâarbre au feuillage renaissant, je tiens le galet qui fait le poing dur, je tiens le mépris par les rênes claquantes entre mes doigts prises, entre mes doigts de granit et là où nous sommes passés, lâherbe pousse entre les pavés. »
 
Marc Blanchet

Pierre Peuchmaurd, Le secret de ma jeunesse, Pierre Mainard, 106 p., 15 ⬠; Maurice Blanchard, vie supposée et choix de textes, Pierre Mainard, 202 p., 17 â¬

Extraits :

Pierre Peuchmaurd, Le Secret de ma jeunesse, p. 21

Passé le feu,
le feu revient
Avec sa laine et ses épines
avec les fleurs du marronnier
avec la mer au bout des branches
Passé le feu,
le bleu répond pour la brûlure
une boule dâivoire au bout des doigts


Le Secret de ma jeunesse, p. 64

Lâeau quâon jette aux poissons
la terre sur les vers noirs
lâair où tu tiens lâoiseau
des dernières volontés,
toutes ces roues dans le soir
et les poutres du ciel
on les secoue aussi


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