Peut-être que les bons mots sont imparfaits. Je veux toujours changer un mot qui sonne faux, un mot qui dérape, je veux ajouter le mot qui touche, le mot qui interpelle. Mais l’interpellation est imparfaite, tout autant que la fausseté. Le bon mot est celui qui fait transparaître sa profondeur, et sans sol, sans fond pour comparer, il se vide. Il peut être plus ou moins éclairé, plus ou moins éclairant, plus ou moins obscur, plus ou moins lumineux, toujours il est un contenant. Toujours il est imparfait, toujours il fait un chemin, de la bouche vers le cœur, de la main vers la bouche. Et un contenant vide, un chemin qui ne guide personne, c’est un oxymore, c’est un rien. Et la vie à horreur du rien ; et je vis de l’ardeur de l’un ; et mais je néant vide rien ?
Si le mot parfait existait, alors on l’utiliserait dans chaque bout de texte ; il serait ennuyant. La logique est si parfaite qu’elle repousse n’importe qui voulant être parfait. La satiété aura notre peau. Si je mange, je suis repu ; si je bois, je suis (de moi à moi) étanché ; si je parle, je suis fatigué ; si j’écris, je suis imparfait. Pourtant tous nous écrivons ; tous nous parlons ; tous nous buvons ; tous nous mangeons ; tous nous aimons l’imperfection et rien n’est parfait sinon le monde tout entier.
Finalement le mot qui m’écorche est celui qu’il faut, le mot qui me conforte est inutile ; jamais je ne sais quand en enlever un. Alors je couve mes mots comme des trésors, et j’en couve autant que ma maigre posture me stipule. La suppression est une possibilité, je préfère la collection. Et je compte le nombre de mots, le nombre de poèmes. Celui-ci est le 356ème. La belle affaire (on notera la triste contradiction de mon amour pour cette expression parfaite). Et, oui, depuis ma naissance ; ou depuis qu’il me prend d’aimer un peu, de vivre beaucoup. Alors, ce sont beaucoup de mots, presque autant sont mal placés, mal agencés, scabreux, odieux, idiots, vénéneux, puérils. Ce sont bien peu de poèmes, et je suis bien jeune pour cela. Ce sont beaucoup de bons cris, et je suis bien humain comme ça. Mais les mots sont imparfaits alors vive l’imperfection. Et je continuerai d’écrire. Et j’écrirai jusqu’à ce que l’univers en tremble. Et mes mots s’écriront tant que mes yeux y tremblent.