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(Note de lecture) Revue Senna Hoy, par Eric Houser


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Posté 17 janvier 2020 - 10:07


Wozu des revues ?

6a00d8345238fe69e20240a4b4a672200c-100wiJe parodie la célèbre question (Wozu Dicher in dürftiger Zeit) dont on connaît la fortune (même si on lâa oubliée). Pourquoi des revues, pourquoi « encore » des revues ? La réponse est dans la parution, car comme la rose la revue est sans pourquoi. Et câest peut-être à condition dâêtre sans pourquoi quâelle a des chances de toucher à quelque chose qui touche à la vérité. À une vérité. À une vérité politique notamment. Ce nâest pas en se posant en justicier ou en militant que lâon peut ébranler quelque chose de ce registre dans la conscience, justement parce que cette posture fait comme si on pouvait sâadresser impunément à des êtres conscients et responsables, qui au vu de ce quâon leur adresse seraient susceptibles de « prendre position ». Des consommateurs en somme. Non, ce quâil faut plutôt, câest tester des voies et des voix duplices. Duplice, ce nâest pas complice (de lâordre établi ou de son inverse apparent).

Cela, il me semble que SENNA HOY, « une revue de poésie en anglais et en français, publiée par Luc Bénazet et Jackqueline Frost », dont le numéro 1 est sorti en décembre de lâannée dernière, lâa compris et en joue. Câest un bien joli objet, comme on dit, bien imprimé en noir et avec un peu de rouge (en couverture), dans un petit format qui a lâair bien sage. A lâair. Pas sage du tout, en fait. Ça me fait penser un tout petit peu au clip dâAngèle, « oui ou non » (vous lâavez vu ?), en plus subtil bien sûr et avec une autre visée. Que veut, que fait la poésie ? Elle bouge quelque chose dans le langage, dans la convention à laquelle les êtres parlants obéissent pour se comprendre, pour échanger, soit disant. Je dirais ça, dâabord. Et aussi que lâémotion quâelle crée nâest pas dâordre sentimental, ça câest bien fini (ou pas, dâailleurs). De lâaffect et du sens, il y en a toujours, mais pas « en se payant de mots ». Ici, on fait de la poésie un peu à coups de marteau, même si le marteau nâest pas forcément en acier inoxydable. Peut-être plus en caoutchouc dur, et ça peut faire mal quand même.

Alors pour dire quelques mots des textes qui sont dans ce n° 1 (Christina Chalmers, Nat Raha, Victoria Xardel, avec les traductions vice-versa des deux maîtres de la revue, mais attention ce nâest pas une revue bilingue, tous les textes sont uniques : faux miroir), je reprends en ajoutant un peu ce que jâai écrit à Luc Bénazet sur Messenger :
(jâoubliais : lâordre de présentation fait comme un Rorschach, un dessin plié par le milieu instaurant une symétrie ; câest Victoria Xardel qui ouvre la marche et la ferme)
Il y a des choses qui me plaisent beaucoup, des éclats :
dans le premier texte « you feign surviving the miserable talk of those who had so wanted to be modern » ;
dans le deuxième « la haine de classe est comme des symboles à flou de la révolte morte » : câest très beau et bizarre et lucide et comme bancal ;
dans le troisième (de Nat Raha), le noyau du Rorschach, partiellement traduit en français par LB, « dentelle jolie nous femmes divines, pas ici pour disséquer vos abus » et « avons été le vol aux yeux [pieds-]de-biche » ;
dans le quatrième « In the night wake the simmering water touches them in the shape of lovers, as though this were novel » ;
dans le cinquième « Après avoir châtré une écrevisse, je lui envie sa dextérité à mourir » et « Ton goût pour le désordre nâest quâune autre forme de maîtrise ».

Jâaime lâaccentuation sur le mot « fascistes », car il y a du fascisme. Ce qui serait le contraire de fascisme, de fasciste, je ne sais pas et je suis triste en y pensant. Il nây a peut-être même pas « artiste » (même surtout pas), les artistes peuvent être de satanés collabos. Non, je dirais plus volontiers : les artisans. Je trouve que lâartisanat câest ce qui est le plus proche du corps, et ce qui est du corps ne ment pas. « But give me a body » (Victoria Xardel). Un corps organique et parlant et animé de gestes, mais pas trop parlant svp, un corps qui produit, qui fait des choses, qui est efficace, qui est pratique (« la poésie doit avoir pour but la vérité pratique », Éluard). Voilà un peu ce que je sens par fulgurances en lisant cette revue.

Éric Houser

Référence :
SENNA HOY (Luc Bénazet et Jackqueline Frost), n° 1 décembre 2019,
4 numéros par an, un numéro 4 â¬, abonnement de soutien 20 â¬, correspondance 15 rue Myrha 75018 Paris.

(1) Senna Hoy est le pseudonyme de Johannes Holzmann (1882-1914), écrivain allemand anarchiste, communiste et libertaire, partisan de lâamour libre, qui a notamment lutté contre la criminalisation de lâhomosexualité. Il a vécu les sept dernières années de sa vie en prison, et a subi la torture. Lâhebdomadaire quâil publie dès 1902, Der Kampf, a été diffusé à 10 000 exemplaires en 1903. En 1903 également, il a publié avec Adolf Brand un essai intitulé Le troisième sexe. Else Lasker-Schüler, poète qui était amoureuse de lui, a essayé dâobtenir sa libération, mais il est mort peu de temps après.


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