Poezibao publie aujourdâhui la huitième contribution dâune nouvelle série autour du thème « A quoi bon éditer et vendre encore de la poésie » grâce à Jean-Pascal Dubost qui en a eu lâidée et qui en a assuré la réalisation.
Disputaison n°2
« À quoi bon éditer et vendre encore de la poésie ? »
8. François Boddaert, Editions Obsidiane
François-Xavier Jaujard, (1946-1996) qui fut en son temps un excellent traducteur de lâanglais, et lâéditeur de Granit (Kh. Raine, J de Boschère, J. Mambrino, Pichetteâ¦), assenait deux convictions intimes :
1/ Quand on se fait éditeur, câest pour la vie car, en vérité, on a choisi cette voie faute de savoir faire autre choseâ¦
2/ Quand on a eu lâidée étrange de créer un beau matin une revue littéraire, on en crée dâautres ensuite (étant assurée que cet objet singulier est rarement appelé à durer) car le virus qui touche le « revuiste » (beau mot !) est incurableâ¦
Inutile dâépiloguer sur la véracité invérifiable de ces apophtegmes qui ressortaient du fort goût de François-Xavier pour le bon mot et la formule tranchante. Il nâen reste pas moins quâen ces temps où les livres de poésie sont devenus des ectoplasmes (dans lâattente dâune épiphanie improbable), pour ne pas dire invisibles, on ne maintient le cap (entre deux eaux) que guidé par la boussole des propos jaujardiens !
Mais ce qui mâétonne encore, et ne laisse pas de mâinterroger sur lâégotisme mortifère du monde présent, câest dâouvrir chaque jour ma boîte aux lettres et dây trouver immanquablement un manuscrit de poèmes dâun (très souvent) inconnu. Et ce depuis trente ans, alors que parallélodoxalement les ventes de livres ont fondu de moitié (chiffres en main). Et comme je ne suis pas (hélas) le seul dans ce cas, jâen déduis quâon veut bien être édité mais pas lire ses contemporains. Dont acte â je nâouvre plus les envois qui sâentassent dans mon bureau à proportion des livres invendusâ¦
Et il est temps de faire litière du fantasme de lâInternet dont « on » nous promettait monts et merveilles quant à la curiosité des lecteurs gourmands de poésie éparpillés sur la planète â et aussitôt des achats massifs de livres ! Les promesses nâengagent que ceux qui les croient, et lâon ne voit pas pourquoi ceux qui ne lisent pas les livres brochés-collés, grecqués-reliés les dévoreraient soudain électroniquement ! La révolution culturelle en cours advient sans lâappui de lâobjet livre, et de moins en moins de lâécrit, câest ainsi.
Cela dit, et qui nâest certes pas bien réjouissant, lâouverture aux pays de lâEurope orientale autorise à imprimer aujourdâhui pour des factures moitié moindre que nos imprimeurs nationaux ; il paraîtra donc encore quelques livres dans lâavenir proche ; ensuite, et pour ce qui me concerne, je disparaîtrai sous la montagne papivore des manuscrits et des invendus, certain cette fois dâavoir été éditeur faute dâavoir su « faire autre chose »â¦ CQFD !
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