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(Note de lecture) Rouge convalescent, de Marcel Migozzi, par Eric Eliès


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Posté 09 mars 2020 - 10:01


6a00d8345238fe69e20240a4f01642200d-100wiCe recueil, composé de deux parties distinctes inscrites respectivement au cÅur de lâHistoire et au cÅur de lâexpérience quotidienne du sentiment amoureux, rougeoie de lâéclat des braises dâune vie ardemment vécue, dont la chaleur persiste et rayonne à travers les mots. Il se démarque nettement des récents textes poétiques de Marcel Migozzi, souvent intimistes et hantés, comme écrits à lâombre du glacier malgré le soleil qui brille haut dans le ciel de Méditerranée, par la perspective du vieillissement et de la mort, et résonne dâaccents qui font écho aux premiers recueils de lâauteur, qui bruissaient dâune rumeur de révolte...
En effet, le rouge omniprésent dans la première partie est avant tout celui des passions qui ont porté lâengagement, à la fois social et politique, de Marcel Migozzi dont la poésie fut longtemps considérée (cf Robert Sabatier dans son encyclopédie des poètes du XXème siècle) comme une poésie de lutte et de témoignage sur la condition ouvrière. Cette dimension, pleinement assumée et presque revendiquée par Marcel Migozzi lorsquâil évoque ses parents et grands-parents, sâest rapidement nuancée et enrichie dâéchos suscités par le rapport au temps, aux êtres aimés, aux choses ordinaires, aux heures jardinières, etc. tous ces presque rien quâon tient pour négligeables mais qui tissent la densité dâune vie. Dans « Rouge convalescent », Marcel Migozzi, qui fut communiste et sâest engagé dans les luttes politiques, retrouve lâélan des espoirs et des colères qui ont fait battre son cÅur dans la fièvre dâune campagne électorale (meetings, collages dâaffiches, etc.) conclue par la défaite dans les urnes qui sonnait comme le glas dâun idéal déchu bientôt tombé en poussières, parmi les rêves et les doutes, avec les statues déboulonnées :
Ca venait de très loin
Dâune chambre à plusieurs lits.

Et ça allait jusquâà revanche et foi, promesses
Et dâautres mots ayant pour vocation dâaimer

Ca ira jusquâaux déceptions

---

(â¦)
Quâon avançait, quâun millimètre dâidéal
Etait gagné chaque matin sur les soupirs
On le croyait.
                               Ce fut vertige
Et puis lâarrêt.
                               Grêle dâéchecs.
---
(â¦)
De toi à moi : tant de journées à vÅux pour obtenir la confiance dâun homme sur dix ?
Contraint, tu devais boire dans les silences mouillés de sourires de tes rivaux.
Dans la pâleur de ton visage, comment sauver tes lèvres ?

Lâurne au pied de la table. Sa paisible cruauté.


En contrechant du deuil imposé par la déroute de lâidéal communiste, Marcel Migozzi décrit en trois tableaux, comme pour justifier la nécessité du rêve quâil portait et peut-être instiller lâespoir quâil ne fut pas vain et conjura lâhorreur, lâatrocité de la seconde guerre mondiale qui déchira le XXème siècle : le camp de concentration du Struthof, les ruines dâOradour-sur-Glane, le quotidien dâun soldat depuis les combats de 39 jusquâà la libération des camps de prisonniers⦠Par la puissance dâévocation de la mémoire et par lâemploi du présent narratif (dans « Temps morts », les vers sont lapidaires comme les notes dâun carnet de campagne tenu au jour le jour), les poèmes, en vers libres dâune grande densité, retrouvent les accents terribles des textes écrits pendant les temps de guerre (je songe bien plus à « Ma civilisation » de Gilbert Lély et à « Exorcismes » dâHenri Michaux quâaux poèmes dâAragon, polis par lâalexandrin et la rime, malgré lâengagement communiste qui le rapproche de Marcel Migozzi). Car ce siècle fut terrible et les vers sont jonchés de cadavres et hantés de spectres. Ici, contrairement aux poèmes de ses recueils précédents, Marcel Migozzi nâévoque pas son enfance dans les années 40 et les privations des années de guerre : il se confronte à lâhorreur des combats, de lâenfermement et de la mort violente, quâelle soit meurtre ou agonie. Et cette volonté, presque militante, dâentretenir le souvenir dâune réalité insupportable me fait songer à un recueil tel que « Dans la gueule dâombres » dâYves Heurté qui, avec véhémence et un réalisme presque cruel, interrogeait également lâhorreur et la banalité de la guerre. Dans cette évocation, le rouge (incarnation de la vie et de lâespoir, comme sur la gorge dâun oiseau) est éclipsé par le bleu, double symbole du ciel inaccessible et de la mort imminente :
Sur la terre condamnée
Cette petite fleur de rien - si bleue

Etait leur seul espoir â le ciel

Mais ils ne pouvaient la cueillir

(â¦)

Les bas adhèrent à la chair cloquée
Un sang inconnu arrive à nos chevilles ulcérées

Bleu maigre épuisé
Le ciel â appelons-le ainsi â nous ressemble
Détenu
Par des nuages gris-vert

Ce doigt bleu à vif
Ces autres bleus ces autres doigts
A qui appartiennent-ils

Maintenant le bleu occupe toutes les mains
Au secours
Même le désespoir appelle au secours

Mais lèvres bleuies ne parlent pas

Cet arbre on dirait un chêne
Cet oiseau
Le rouge-gorge qui sautillait sous la fenêtre de notre cuisine

La deuxième partie du recueil, intitulée « Lâinvisible donation », reprend, avec dâimportants ajouts et retouches, un recueil initialement publié en 2000 chez Télo Martius (éditeur toulonnais disparu). Rompant avec lâévocation des grandes luttes historiques et renouant avec un thème essentiel dans lâécriture poétique de Marcel Migozzi, il évoque lâamour de lâêtre aimé, amour total assumant sa dimension charnelle (esprit et corps) quâavive le sentiment de la séparation, celle temporaire suscitée par lâabsence (la section sâouvre sur le départ dâun train) et celle définitive quand la mort viendra (le recueil sâachève sur lâobscurité de la tombe). Et le rouge subsiste, non plus comme un idéal politique mais comme un idéal dâamour qui ne meurt pas :
Enfin, un soir on appellera du jardin :
Regarde
Les rosiers offrent à nouveau leur rouge.
Un couple

Va prononcer ses vÅux.
La règle dâor :
Aimer.
Câest la dernière donation.

Eric Eliès

Marcel Migozzi, Rouge convalescent, Tarabuste, 2019, 127 p., 13â¬


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