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(Note de lecture) Ce qu'à d'autres, de Monique Domergue, par Isabelle Baladine Howald


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Posté 13 mars 2020 - 10:41

 

Propos dâune dénuée

6a00d8345238fe69e20240a5161ed3200b-100wiLâÅuvre de Monique Domergue est rare, peu de livres en trente ans, mais une écriture qui a la force de la terre (la Savoie) à laquelle elle est restée très attachée. Ce quâà dâautres, son dernier livre, est édité chez Jacques Brémond cet hiver sur « de mauvais papiers italiens, ces anciens papiers dits de boucherie » (toujours lire les achevés dâimprimer, autres poèmes, chez Jacques Brémond, ou dates-signes-envois de naissance comme le « 17 décembre jour de la mort de Günther Anders » qui clôt la nouvelle et complète traduction des Journaux de Kafka par Robert Kahn chez Nous, à lire absolument) qui sont comme lâécho du texte.

Quelques pages, un texte par page, rien en face, quelques dessins à la craie grasse de Jean-Paul Domergue, sculpteur, des langues de feuilles ou de sable, non loin de la calligraphie arabe parfois, autres échos du texte également.
Dénuement, comme toujours, déjà si attentif dans Propos de vieilles femmes, ce livre très impressionnant.
Dédicace à Rimbaud, notre fugace étoile de terre, qui sây connaissait en chemins, voyages, aridité des campagnes ou désert du Harar.
Dédicace aux visages, pas de noms, mais des visages⦠quoi de plus aimé, de plus doux quâun visage : « tous les visages que je nâai pas croisés et qui me/manquent le dehors est on dedans », en effet le pauvre, lâégaré, le réfugié sont ici autant de stèles vivantes sous nos yeux, dans nos mémoires et nos passages trop souvent si rapides.
Un texte par page, donc,  sous le signe de la citation qui le précède à chaque fois : Kapuscinsky, Alexievitch, Spinoza, Dostoïevski, Newton, Psaume de David, Vian, Évangile de Jean, Molière, Billie Holiday, Yourcenar, Laupin, autant dâéchos, autant de compagnies, dâabsences aussi fortes quâune présence que chaque texte qui répond à chaque nom « commente » à sa façon, dans un « je » qui nâest ni masculin ni féminin (oh ce neutre que jâaime tant et que peu savent faire exister en français!).
Un poète nâécrit jamais seul. Et ces compagnies sont le monde tel quâil le voit, fluctuant y compris dans sa physique, minéral, musical, sage ou éparpillé, spirituel ou païen, humaine ou inhumaine :

« toute extase est sacrée jusque dans le tremblement dâun pétale ou sa lueur il ne suffit pas de le reconnaître ».

La patience de lâattente, la géographie intérieure, les pierres, les fleurs, les oiseaux, les insectes, la montagne plutôt que la campagne, mais sans aucune naïveté : juste les regarder vivre. Les arbres comme autant de racines dâun poème. Mais aussi la violence du monde : « laisser le crime habillé de draps clairs choc du cou sous la hache cri du crâne sur le roc chaloupes renversées grappes dâhumains comme des chats ». Il y a une profonde douceur, lâamour :

« je vois à ton nom sur ma peau comme autre peau je sédimente »

comme une profonde impuissance, comme une profonde stupéfaction : « qui peut haïr ? ».
Une naissance est toujours possible, « petite fille petite fleur de merisier toutes deux sauvages sauvées dans la confiance et ce savoir frêle et têtu dâune vie à lâautre suspendue », « un jeune veau saute lâenclos », la simplicité est toujours là pour qui sâarrête un peu.
Le livre est adressé : ce quâà dâautres je dois.
A peu près à tous ceux que je viens de nommer dont Monique Domergue évoque la force en elle mais il faut que cette adresse nous traverse, nous enchante, nous déchire, nous porte, là encore il peut sâagir aussi de cette nature si présente, des écrivains lus, des « musiciens bateleurs magiciens mangeurs de verbe et de couleurs épouseurs de feu coureurs de rue », des « mains aimées. »

« Baissons la garde et tenons-nous près des commencements » écrit Monique Domergue.

Ce nâest pas le virus, ce ne sont pas les élections, ni les réseaux sociaux, rien, rien, rienâ¦
Câest la neige qui tombe tout à coup quelques heures comme si lâhiver existait encore et que le printemps allait encore venir, comme cité en dédicace :

« Ô saisons Ô châteaux »

Le voyant le venteux lâépouvanté des chemins de campagne a toujours raison.
Ce quâà lui nous devons.


Isabelle Baladine Howald

Monique Domergue, Ce quâà dâautres, Ed Jacques Brémond, 2020 20 euros 13 p.
Lire ces extraits du livre.


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