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(Anthologie permanente), Pierre Présumey, Tout ce qu'on peut


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Posté 27 mars 2020 - 09:36


6a00d8345238fe69e20240a4f62f94200d-100wiEn complément de sa note de lecture sur Pierre Présumey et à la demande de Poezibao, Jean-Nicolas Clamanges a bien voulu composer cette « anthologie permanente ».

LES FEUILLES
(extrait)

Sonnet sur un blanc dans le dictionnaire

Avez-vous remarqué quâil nây a pas de nom,
Dans notre langue et beaucoup dâautres sur la terre,
Pour dire cet état du père et de la mère
Dont un enfant est mort, alors quâexiste un nom

Pour dire « veuf » ou « orphelin », avec leur féminin ?
La jeune fille morte en couche, et le fils à la guerre,
Leur perte fut longtemps un malheur ordinaire,
Mais le français nâa pas hérité du latin,

Ni cherché en soi-même, un nom pour cette chose
Étrange tellement que la langue sâoppose
À la dire en un mot. Câest que lâengendrement

De tout enfant forme une phrase transitive
Qui nâa le choix que du silence ou de lâesquive,
Le jour où vient à lui manquer le complément.

*

Sonnet sur la traversée

Je prononce le e muet ;
Je lui donne un peu dâimportance.
Je me bats contre le silence
Qui serre la langue de près.

Un nom, la nuit, me fait passer
Dans des tempêtes dâapparences ;
Je me dis que jâai de la chance :
Il pouvait me faire sombrer.

Le e muet ressemble aux pierres
Quâon jette dans lâeau des rivières.
Elles sâaccrochent mal au fond

Mais permettent la traversée.
Le e muet ressemble au nom
Au flanc dâune barque échouée.

*

LE GRAND GARÇON (Extraits)

Le malheur est un géant
Et le poème est minuscule.
Il faut hisser le poème
Sur les épaules du malheur.

*

(Avec lâAsparizione de Caproni)

Chaque fois que tu es là
Je sais que tu nâes pas là.
Câest la froide vérité :
Pour la dire il faut passer
Par le ciel et par le froid,
Par la neige et par le vent.

*

Le soleil est revenu,
Mais ton ombre sur la neige
Y dépose sa lumière.

*

Lâamour nâefface pas la mort,
Le grand garçon le sait.
Le grand garçon sait-il
Que la mort nâefface pas lâamour ?

*

Tout ce quâon peut

On ne peut pas tenir entre ses mains la vie
Dâun homme comme on tiendrait une valise pleine,
Comme on tiendrait un fagot de branches mortes,
Comme on tiendrait une pile de draps blancs,
Un panier de cerises, une corbeille de reines-claudes,
Comme on tiendrait dans son regard du haut
De la montagne tout un pays avec ses fleuves,
Avec ses collines désirables, ses plaines
Bien tracées ; on ne peut pas tenir entre
Ses mains la vie dâun homme tout entier,
De sa chute dans le temps, à sa chute
Hors du temps, de son entrée dans la lumière
À sa sortie de la lumière
À sa sortie de la lumière on ne peut pas.
Tout ce quâon peut câest
Redire deux ou trois mots quâil avait coutume
De dire au moment de se jeter dans le vent,
Manger les miettes du pain quâil mangeait en partant,
Repasser son regard entre les rives où
Son regard passait, parce que câétait là
Que ses mains tenaient le pays tout entier,
Comme un fagot de branches sèches,
Comme une pile de draps blancs bien repassés,
Comme un panier de cerises, câétait là que,
Tombé dans le temps, il mettait sa vie
Dans ses mains comme on remplit toute
Une corbeille de reines-claudes, cela
Câest tout ce quâon peut pour le moment.

Pierre Présumey, Tout ce quâon peut, Éditions Hauteur dâHomme, 2015, 12 â¬.


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