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(Notes de lecture) Eliot Weinberger, 19 manières de regarder Wang Wei, par Camille Loivier


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Posté 05 juin 2020 - 09:43


6a00d8345238fe69e20263e94e6391200b-100wiCâest un livre remarquable que les éditions Ypsilon nous offrent, une fois de plus ; je voudrais le relire cent cinquante fois. Rien ne mâa plus enthousiasmée que de lire dix-neuf fois le même poème sans pourtant avoir lâimpression dâen avoir fait le tour, mais au contraire, de chaque fois le découvrir, lâapprofondir, câest cela lâart de la traduction. Elle permet de multiplier à lâinfini nos sensations, de les creuser, de les enrichir sans pourtant jamais épuiser nos ressources. Elle crée par multiplication sans copier, ni imiter, sans cloner, ni dupliquer ce que les techniques savent seulement faire. La traduction est par définition en marge de notre monde et la première phrase du livre « la poésie est ce qui mérite dâêtre traduit » devrait être peinte sur tous les murs. Elle remet les pendules à lâheure, on pourrait sâarrêter là, mais ce serait quand même dommage. Ce livre ne sâadresse pas aux érudits, il y a tellement dâhumour et dâesprit dans ce livre, mais à tous ceux qui aiment écrire, lire, traduire, écouter, rêver, il doit en outre rendre accessible la poésie classique en mandarin à ceux qui lâignorent encore.

Wang Wei est un des poètes les plus célèbres du VIIIe siècle, « regarder Wang Wei » nous indique dâemblée quâétant poète et peintre, il est question, dâailleurs, plus que de regarder, de « voir », donc dâexpérience. Jâai lu la vingtaine de propositions de traduction du chinois classique vers lâanglais (français, allemand, espagnol) et sa restitution en français, (il faut saluer au passage la traductrice Lise Thiollier, car câest une gageure) avec délectation, sans pourtant trouver, Octavio Paz sâen approche le plus, ce que je croyais y chercher, mais nâen est-il pas toujours ainsi ? Je me permets donc dâajouter ma propre conception de la chose, qui vaut ce quâelle vaut, et qui est redevable aux traductions de François Cheng sans pourtant quâelles disent non plus ce que jâaie compris grâce à elles. Si dans le poème, il doit y avoir un « Åil du poème », comme le pensaient les lettrés, autour duquel le reste tourne, ce serait pour moi le mot « fan » retourner, dont il est souvent question, avec son corolaire opposé et complémentaire au vers suivant « fu ». Octavio Paz souligne lâimportance du parallélisme dans la poésie classique, il a raison, même si ici son rôle est ténu. « Fan », doit correspondre à une expérience liée au bouddhisme chan (zen) qui est un bouddhisme teinté de taoïsme, en outre approprié aux artistes, qui donc nâest pas que religion mais tout autant, expérience esthétique. Il me semble que le poème se comprend à partir de ce mot, seul. Et donc par un vécu ; je conseillerais donc à tout lecteur, en ce moment particulier mais en tout autre également, dâaller se promener dans une forêt quand il fait soleil, je pense quâil comprendra parfaitement ce quâa voulu dire Wang Wei avec sa lumière, ses ombres sur la mousse qui semblent poser tant de problèmes aux traducteurs, et quâau retour, non seulement il appréciera mieux ce poème, mais il sera capable de composer une nouvelle traduction, car comme le dit si bien Eliot Weinberger « la grande poésie vit dans un état de perpétuelle transformation, de perpétuelle traduction : le poème meurt quand il nâa plus dâendroit où aller. » (p. 7)

Eliot Weinberger, 19 manières de regarder Wang Wei, traduction Lise Thiollier, Ypsilon-éditeur, Paris, 2020, 104 p., 16â¬.

Camille Loivier

extrait
« Poésie parfaitement objective, impersonnelle, très loin du mysticisme dâun Saint Jean de la Croix, mais non moins profonde et authentique que celle du poète espagnol. Transformation de lâhomme et de la nature devant la lumière divine, quoique dans le sens inverse de celui de la tradition occidentale. Au lieu dâhumaniser le monde qui nous entoure, lâesprit oriental sâimprègne de lâobjectivité, de la passivité et de lâimpersonnalité des arbres, des herbes et des rochers, afin de recevoir, de manière impersonnelle, la lumière impartiale dâune révélation tout aussi impersonnelle. » p. 40


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