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(Note de lecture), Maxime Actis, Les paysages avalent presque tout, par Laurent Albarracin


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Posté 11 novembre 2020 - 02:15

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<p class="MsoNormal blockquote" style="line-height: 125%; margin-left: 40px; margin-right: 40px; text-align: justify;"><span style="font-size: 12pt; line-height: 125%; font-family: 'Garamond','serif';"><br /><a class="asset-img-link" href="https://poezibao.typ...654bc200b-popup" onclick="window.open( this.href, '_blank', 'width=640,height=480,scrollbars=no,resizable=no,toolbar=no,directories=no,location=no,menubar=no,status=no,left=0,top=0' ); return false" style="float: left;"><img alt="Maxime Actis les paysages avalent presque tout" class="asset asset-image at-xid-6a00d8345238fe69e20263e97654bc200b img-responsive" src="https://poezibao.typepad.com/.a/6a00d8345238fe69e20263e97654bc200b-100wi" style="width: 100px; margin: 3px 15px 5px 5px; border: 1px solid #969696; box-shadow: 8px 8px 12px #aaa;" title="Maxime Actis les paysages avalent presque tout" /></a>        Voici un livre qui bat en brèche tous les attendus du « poétique », du type signe ascendant ou révélations sur lâêtre. Câest un texte presque entièrement narratif, composé de fragments accumulés au fil dâune errance dans la géographie européenne : Grèce, Balkans, etc. Le narrateur, puisquâil y a bien récit, fût-il morcelé en autant de moments quâil y a de paysages traversés, consigne ce qui ne constitue pas vraiment des impressions mais plutôt les menus faits et gestes du quotidien, des propos rapportés et parfois des réflexions désabusées. Ce qui frappe dâemblée, câest la banalité de la remarque dont est fait le poème : à mille lieux du pittoresque et de lâexotique, la note de voyage tend vers la platitude et le trivial, lâanecdote <em>a priori</em> insignifiante. Mais cette banalité, assumée et volontaire, interpelle. Le banal, étymologiquement, câest ce qui est mis à disposition (par le suzerain) de tous : on parle de four banal, ici câest le voyage qui est banal et dont câest lâuniversel lieu commun du quotidien qui est partagé. Il faut dire que lâauteur a manifestement choisi la pérégrination comme mode de vie : existence semi-nomade dont on devine quâelle nâest pas un loisir touristique chez lui, mais une façon dâêtre au monde avec ce que cela implique dâaléas et de précarité. <br />         Cette précarité, on la perçoit dans la manière de voyager (en stop, car ou train) et dâhabiter (campements de fortune ou caravane déglinguée), mais aussi par la façon dont lâauteur fait se superposer les deux plans de lâexpérience humaine : lâespace et le temps, et plus précisément lâhorizontalité et la mémoire, ou plus justement encore la platitude et cette version inversée de la mémoire quâest lâoubli. Car il y a comme une adéquation qui sâopère entre lâétendue et la disparition. Lâun des personnages évoqués très succinctement comme ils le sont tous, dans le lacunaire même du rendu textuel, est affecté de troubles cognitifs et de pertes de mémoire : cela semble faire écho à lâaplatissement généralisé et troué en quoi consiste lâexpérience du monde pour lâauteur. Les poèmes ne cherchent pas ce qui fait saillie ou relief, mais sâattachent à répertorier le banal, la contingence des allées et venues, le trivial et la pauvreté à quoi la vie nous confronte, ou encore il vise à cartographier et à mapper â pour employer un anglicisme qui dit bien lâenvahissement de notre rapport au monde par le numérique â les lieux communs du monde, ses zones de partage obligé. Ils ne cherchent pas à conserver ce qui le mériterait (au nom de quoi ?) mais à ramasser tout ce qui nâa pas dâintérêt <em>a priori</em>, lâanecdotique et lâinsignifiant du quotidien, et non pour les sauver mais pour les rendre à leur véritable nature qui est de tisser très lâchement, et presque fantômatiquement, nos vies. Car les fantômes gisent dans lâinsignifiant ; la vie sâéprouve et se perd dans ses lacunes. Câest ce que, me semble-t-il, dit le titre : « les paysages avalent presque tout ». Ils sont comme faits dâoubli, ils sont comme modelés dans la pâte de la disparition. Au fond de leur abondance est une bonde où leur particularité sâévacue. <br />         À travers ces scènes de vie ou de survie quotidienne en milieu précarisé, à travers ces instants réduits à presque rien où se bricole, à coups dâexpédients et de débrouillardise, une manière de sâaccommoder de leur insignifiance, câest un portrait de la vieille Europe comme atteinte dâAlzheimer qui est brossé, dâune civilisation comme lacunaire, envahie de ces zones commerciales et autres parkings où lâon sâarrête pour dormir ou, très prosaïquement, « pour acheter à manger ». On est perpétuellement en transit, comme si le transitoire était le véritable état des lieux de ce monde trop âgé, ce qui fait lâessence de ces paysages-là. Sillonner lâEurope est comme lui siphonner la mémoire en empruntant ses voies de délestage et de perdition, ces no manâs land de la folie ordinaire, zone grise du monde peuplée guère que de fêtards inconsistants. <br />         Dès lors le poème nâest pas le temps de lâexception, mais au contraire le moment de lâinsertion dans la trame prosaïque du temps, une vacance désÅuvrée, une errance dans les lambeaux dâun monde usé. Nulle bohème romantique ici, mais une poésie de bouts de ficelle et de brins de mémoire avec lesquels rafistoler ce qui sâeffiloche de lâordinaire du voyage. Sécheresse de lâécriture, ellipses, phrases nominales et pauvreté de la syntaxe, platitude stylistique, familiarité du lexique, tout concourt à rendre compte froidement du réel dans sa brutalité insignifiante. De lâaveu même de lâauteur : « câest sans goût, ça ressemble à lâennui / câest ça que je recherche / la phrase calquée sur ce tous les jours sans relief (...) » (p. 39) Mais alors, quâest-ce qui fait lâintérêt de cette écriture poétique si elle nâest quâennui et déréliction ? Peut-être son aspect élégiaque, élégiaque non pas au sens où elle chanterait une perte, celle de la beauté du monde ou de son sens, mais au sens où elle perd jusquâà son chant même, devenant lâinstrument désincarné mais dâautant plus fin et sensible quâil sâajuste parfaitement à la réalité dont il rend compte. Lâuniversel reportage que dénonçait Mallarmé reconquiert ici la dignité du poème, lâordinaire banal étant ce qui fait le fonds commun à tout et à tous, partout et tout le temps, et dont le poème aussi peut chercher la vérification. Le poème ne sauve rien de la beauté du monde mais câest ainsi, en collant (le terme coller revient souvent dans ces pages) à la platitude des choses quâil nous la fait regretter et par là même, comme en creux, en absence, retrouver. Élégie paradoxale où il sâagit dâabsenter le chant pour chanter le désarroi, où il faut faire <em>déchanter</em> le poème pour que ce qui y chante ne soit plus le chant autocélébrant du poème mais bien un chant du cygne de la réalité. Notons quâil y a là sans doute une évolution marquante de la poésie la plus contemporaine. Tout se passe comme si le poème se débarrassait de ses oripeaux trop clinquants, de ses pouvoirs considérés comme imposteurs par nature, quâil se dépoétisait en quelque sorte délibérément afin de mieux parler du réel. Le poème se dévaloriserait comme poème pour se rendre capable dâenregistrer ce qui nous entoure. Nâétant plus « littéraire », ou en tout cas refusant un niveau de langue élevé, il tente de coller au plus près, au plus brutal et au plus trivial du réel. Bizarrement câest comme si cet arasement et ce nivellement de tout disait quelque chose de profondément triste à propos du monde, par quoi la poésie (élégiaque donc) réussissait à sâinfiltrer. Chassez le poème du poème et il revient par la bande du réel. Après tout, pourquoi la beauté, surtout celle des souvenirs, ne résiderait pas dans un « linoleum moisi » sur lequel on a dormi ou dans des « verres Astérix » dans lesquels jadis on a bu. On sait bien que la mémoire ne sélectionne pas selon des critères hiérarchiques de valeur, mais en piochant dans lâamas brouillon des choses.<br />         Le poème colle au concret du réel autant quâil se décolle du poétique. En adoptant un langage parlé, le plus naturel et familier qui soit, il adhère à lâanecdotique, au banal et au circonstanciel qui sont les plus communes dimensions du réel, et il se désolidarise du poétique et de ses enjolivements fallacieux. Mais puisquâil se donne malgré tout comme poème, câest toute la réalité évoquée qui semble alors se dissocier dâelle-même et redevenir pour le coup, par le coup porté, poétique. Sa banalité même semble nouvelle, étrange  (« cheloue » comme il est dit), parfois inquiétante et parfois comique. Rien peut-être de très nouveau en définitive. Les haïkistes japonais lâavaient déjà aperçu : quand le trivial surgit dans le poème, câest lui qui est le plus poétique et réalise le poème.<br /><br /><strong>Laurent Albarracin<br /></strong><br />Maxime Actis, <em>Les paysages avalent presque tout, </em>Poésie/Flammarion, 2020, 275 p., 19,50 â¬<br /><br /><br /></span></p><img src="http://feeds.feedburner.com/~r/typepad/KEpI/~4/1ELmh8kM66M" height="1" width="1" alt=""/>

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