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(Anthologie permanente) Philippe Beck, Traité des sirènes suivi de Musiques du nom


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Posté 23 novembre 2020 - 10:16


6a00d8345238fe69e20263e979fdc9200b-100wiPhilippe Beck publie Traité des sirènes, suivi de Musiques du nom aux éditions Le Bruit du Temps.

Traité des sirènes, deux extraits :

Dignité 2. Sirène est un énoncé illimité, une résonance dans le discours, un discours qui se fait bruit à travers l'espace que rien ne comprime ; l'écho lyrique de la parole qui vibre de sa plainte
charmante ou rugueuse est un défi à l'entendement du héros attaché au mât. Elle, ce peuple tressé, lance un défi pour ravoir les ailes qui aident à rejoindre l'absolu lointain. Le dirigeant tenu au mât du retour, et au principe des voiles qui emploient le vent à cet effet, se montre aux dominés, aux rameurs interdits comme un mélomane, un fou de la liane des sons, qui fouille la jungle des signes. Sourd au désir des dominés, il est appelé au secours des cris flottants qui deviennent des sons : la choriste dansante et fuyante, ondoyante, enchaînée au choral de la vérité unie dans sa différence, est un défi à ce que l'oreille dominante peut penser, à ce que la pensée dirigeante et dirigée perçoit du monde tremblant. Le mât de la Raison doit écouter l'étrange vibration qui affecte les mots rendus à leur lointain ; le pavillon des sentiments ne peut accueillir l'étrange promesse plaintive sans suggérer un changement de cap. Ainsi s'élabore ou s'esquisse un nouveau contact avec le réel inquiet, pareil à celui des ébats qui veulent et ne veulent pas de la lumière et de la retombée, et qu'un chÅur aigu figure et promet comme l'entrelacs des sons enveloppés dans le toucher à terre.

*

Dignité 6. Le clairon de l'eau ou de l'île est l'indice d'une prairie voilée, retirée a priori comme un fond où battent des blés muets. Dans le mot Sirène, l'oreille lectrice cherche sourdement à comprendre qu'une chorale de femmes abstraites claironne subtilement la loi d'un murmure sans fond, l'énigme du chant qui hante le silence où la pensée affronte sa matière nue. Molpé, au chant étrange, est la sirène-symbole, l'ironie de la communauté des âmes étrangères ou des oiseaux lointains. Cependant, chacune des âmes chanteuses, aglaophone, est un clairon sans clairon, et la bataille, la résistance attirée a lieu en dessous. Oiseau-poisson, le clairon promet un savoir-mélodie qu'un suspens de la musique tient à distance. Or, le cercle de la Sirène est bien aussi le cercle de la Muse, qu'Orphée défend en se vouant à la lyre infinie : il devient le chant d'une tête seule qui répète ou serine la leçon (l'harmonie) prochaine.



Musiques du nom, deux extraits.

VI. Les noms intenses
Comment les noms découpants (qui attachent aux silhouettes), les noms silhouettants, les faiseurs d'aspects, de formes regardées ou longées, gagnent-ils en intensité ? Comment font-ils naître l'intensité de la reconnaissance ? Reconnaître une intensité spacieuse et pour ainsi dire adhérente, qui apparaît aux autres et s'offre à leur attention pour apporter, c'est livrer l'Åil qui écoute à sa propre intensité oubliée. La gratitude que fait naître la chance de voir apparaître dans l'attache est une avec la connaissance qui recommence dans la lumière. Toute intensité nommée est un recommencement, une naissance continuée.

*

VII. La chance
Le nom est la chance intense de voir apparaître. Faire voir ce qui est déjà là dans la grisaille de l'oubli, nettoyer les portes bigarrées de la perception, c'est une tâche de l'enfant vrai en chacun, l'occasion de se tendre exactement, qu'il est tenté de saisir, en respirant, au risque de mal dire le prix du manège des noms côte à côte, de la lumière et de l'apparaître, où rien ne commence, où tout est commencé et recommencé diversement. L'enfant vrai dessine, danse (et dessine sa danse), remue les atomes rencontrés en compliquant sa propre densité atomique : il persiste et signe comme un principe d'agitation et d'inquiétude à même la force de nommer, de faire et défaire les noms des entités rencontrées. L'intensité est l'occasion et la cause de la chance de faire apparaître en sentant qu'il y a, là, un réel particulier et porté. La possibilité de nommer désigne la rencontre. Aller vers ou recevoir, c'est être nommé en nommant, être silhouetté en regardant ce que découpe le bain de lumière. La lumière du paradis des différences compossibles n'est ni blanche ni grise, ni incolore : ses chromatismes ne sont pensés qu'à les rencontrer chaque fois. La venue en présence de l'être nommé est l'apparition singulière de la chance.

Philippe Beck, Traité des sirènes, suivi de Musiques du nom aux éditions Le Bruit du Temps, 2020, 128 p., 16â¬, pp. 11, 15, 76, 77.


Sur le site de lâéditeur :
« Le Chant des Sirènes attire et inquiète les hommes depuis long- temps, comme sâil mariait étrangement la Berceuse, le charme qui endort périlleusement, et le Clairon, la puissance du réveil nécessaire pour échapper au péril. Mais ce Chant est un Discours, et dâabord celui du poème dâHomère, et sa mélodie vivante et mortelle est la musique dâune promesse de savoir. Tout se passe comme si la musique conservait en sa force irrésistible et insuffisante exactement lâambiguïté du Chant des Sirènes : tantôt elle affaiblit et apaise celui qui en subit lâeffet, lui promettant lâirrespirable cohérence du Savoir Absolu, tantôt elle le renforce et le relance dans la vie qui cherche son rythme et son sens pour ne pas en finir. Le langage même, qui occulte et rappelle les séductions de sa forme pleine de signification, est ce poème chanté où les noms contractent déjà le rêve ambigu dâun son où naîtrait le sens qui se dérobe. Chaque fois que nous parlons (énonçant, nommant) et écoutons, nous rejouons la scène du Chant XII de lâOdyssée : nous nous confions aux promesses des sons que lâhumanité a organisés en langues et en musiques, sans jamais savoir pourquoi elles nâen finissent pas dâattirer et de nous engager à ne pas nous y abandonner.
En 1959 Maurice Blanchot avait placé en ouverture de son Livre à venir un très beau texte où il lisait le mythe conté dans lâOdyssée comme une allégorie du destin de la littérature. Philippe Beck poursuit, dâune tout autre manière, en lâapprofondissant, cette réflexion sur le chant des sirènes, sâinterrogeant sur ce qui est au cÅur du mystère de la musique et de la poésie. Le miracle, ici, câest que sa prose, à la fois lumineuse et obscure, parsemée de magnifiques citations-cigales de Jean-Paul Richter, de Nietzsche, de John Donne... â un peu comme dans les symphonies de Mahler où surgissent des échos de Beethoven de Schubert ou de Chants populaires â, reste toujours à lâimage de son sujet, séduisante et profonde comme la musique âsavanteâ. Ces 46 âDignitésâ, ainsi que les textes plus brefs de Musique du nom, sont autant de poèmes en prose, autant de âvariations symphoniquesâ ».


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