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(Note de lecture), Guy Perrocheau, D'un phrasé monde, par Alexis Pelletier


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Posté 25 novembre 2020 - 10:27

 

POUR LE PRÉSENT DâUN PHRASÉ MONDE


6a00d8345238fe69e2026bdea7ecf3200c-100wi« Avec toi, un jour ». Lâouvrage sâouvre par cette citation en allemand (« Mit dir, irgendwann, ») sans quâil soit précisé si elle vient dâun autre livre ou de ce que jâappellerai la fantaisie de Guy Perrocheau. Mais sâil sâagit de fantaisie, ce mot doit tout de suite faire signe vers la musique, ou plus exactement vers le sens mélodique et rythmique du poète. Lâamplitude versifiée de ces poèmes, dans lâirrégularité assumée de la versification, de 2 à 15 syllabes, sâappuie sur une écoute de la langue qui met en avant une voix lyrique faite dâaffirmations, dâhésitations, de retour sur soi : « da capo / ou pas / mes formes de vie vont le / mouvement continu quâelles sont / seules à connaître » (p.46). Ainsi, ce sens (mélodique et rythmique) de ce qui fait le poème permet des jeux dâéchos ou de suspens avec les mots. Et si le poème liminaire constate que « le temps final sâest fripé », ce rapport au temps est illuminé (le rôle de Rimbaud est essentiel dans ce recueil) par une rupture rythmique qui lance lâénergie du livre : « on y prend le large jusquâà / plus rien que la lumière » (p.9) Car la lumière est omniprésente dans ce livre. La lumière ou plutôt les variations sur celle-ci. Les six poèmes qui composent lâouvrage les placent très régulièrement en évidence : « Comme une enfance en Colchide », « Voyageurs du comment dire », « Ce chant est tout notre voyage », « Des voix prennent leurs couleurs de la nuit », « Sans lieu sans cesse » et « La vie ne se ressemble pas ». Outre les références que drainent ces titres, ils disent également ce souci musical de lâécriture.

La comparaison avec lâenfance en Colchide â la terre des Argonautes et le pays des Amazones â dit lâeffroi comme une sorte dâarrière-monde à lâécriture : « tant je suis semé de mers à lâintérieur de moi je ne / reconnais plus la forme de mes mots » (p.14). Mais câest pour partir vers une quête (impossible, aurait pu écrire Georges Bataille) vers le soleil qui « nâa pas encore / repris son nom » (p.15). Pareillement « Voyageurs du comment dire » dit lâerrance, la pénurie, le manque pour se heurter aux mots et affirmer à la fin du poème : « la fonte du printemps / dans le passage du sombre à la lumière on sây mêle / comme lâeau dans lâeau / parleurs volubiles / la nuit le jour / vers le tout-présent / qui nous réveille un en deux / deux en un » (p.49). Un chant est trouvé par cette écoute du monde qui vient dans le poème. Un chant qui est bien une variation ou une variante lumineuse. Câest ce que le premier poème de « Ce chant est tout notre voyage » exprime à son tour, par lâanalogie avec « le soleil ou la pluie / jusquâà cette matière dââme / qui met de la chimère dans la vie » (p.53).

Il sâagit bien, alors, dâune quête de lâimpossible dans les mots. Et elle sâinscrit avec la lumière. « Ce chant qui est notre voyage » passe par lâimage dâun cadran qui me semble, évidemment solaire : « tu me demandes quel grand pré va / suivre le cadran / continuer dâêtre du silence / par le sentier qui craque / ou le luxe des lilas / je suis un gué / et je passe » (p.67). Ici, la figure du passeur â plus que celle du créateur â vient comme façonner la poétique de Perrocheau. Et les diverses citations quâon vient de lire conduisent à comprendre que celle-ci sâinscrit dans un lyrisme assumé et sans concession. Il ne sâagit pas dâexprimer des sentiments intimes avec exaltation mais de manifester la présence indispensable et discrète de lâautre dans cette quête du sens. « tu me demandes » est bien une reprise de la citation en exergue du livreâ¦

Le poème ou la partie « Des voix prennent leurs couleurs de la nuit » donne naissance à cette trouvaille : « notre ciel est le ciel / non pas citerne à souvenirs / mais surplus de / résonances / confluant avec / la matière dâun monde / et les routes en marche » (p.73). Faut-il remarquer, dans le titre comme dans la citation, la présence simultanée de la musique (« voix », « résonances ») et des variations (variantes) lumineuses (« couleurs de la nuit », « notre ciel est le ciel ») ?
Tout se passe comme si Perrocheau proposait à celles et ceux qui le liront une quête du sens qui, à défaut de faire entrer la totalité du monde, parle de la totalité du sien : « la matière dâun monde » peut devenir plus loin : « des souvenirs de soleils en feu » (p.81). Et cela fonctionne comme une sorte dâarchipel qui contient aussi bien les références prégnantes aux Illuminations de Rimbaud, quâun vers de Serge Ritman, et les notes placées à la fin du recueil de lâexpliquer, avec un renvoi, également à James Sacré.
Ce paysage personnel â peut-on le désigner ainsi ? â touche à un poème qui est comme sans commencement ni fin. Il nây a dâailleurs aucune majuscule et aucun point (aucun signe de ponctuation) dans ce livre, comme pour souligner discrètement cet infini du dire ou plutôt cette quête de lâinfini du dire en tant que point dâapplication du poème, en lui-même, si je peux risquer cette phrase un peu lourde.

On ne sâétonnera pas de lire dans « Sans lieu sans cesse », presque de manière prosaïque (mais la découpe du vers est toujours maîtrisée) : « mettons que je suis confus mais / pour ces drôles de mots qui vont / dâune aube à lâautre / et combien et comment / câest à chacun selon son envie » (p.99). La lecture nous embarque, dâun jour à lâautre, en passant par les couleurs de la nuit, vers un pays qui nâexiste pas et qui pourtant est peut-être plus réel que ce que lâépoque voudrait faire passer pour réel. Câest en tout cas un pays marqué par â au terme dâune lutte contre lâeffroi â le fait que « jamais dans le souvenir / les fleurs ne se fanent » (p.99).
Lâultime étape de ce parcours â « La vie ne se ressemble pas » â conduit au titre de lâouvrage et rappelle que, dans la complexité commune de la relation au sens, le poème fait entrer musicalement un sens du phrasé dans lâécrit, câest-à-dire une manière de faire surgir le rythme et la mélodie comme expression « dâun phrasé monde ». Ce sont les derniers mots du recueil et ils confirment que la fin et le commencement sont un même terme ou en tout cas un même but, une même quête.
Il faudrait mentionner en outre comme lâécriture de Perrocheau sait à la fois se contraindre et lâcher prise.
La contrainte, câest la poursuite dans tout le recueil dâun même point dâapplication. Le lâcher-prise, câest la mise à distance qui pointe régulièrement non pour détendre lâatmosphère mais pour faire revenir encore à plus de réalité dans lâécrit : « jusquâoù cette voix se met-elle en scène / et jusquâoù se prolonge-t-elle en son propre chant » (p.77).

Dâun phrasé monde
est donc un livre du et pour le présent : la voix lyrique est aujourdâhui ce qui ne peut pas lâcher : « Mit dir, irgendwann ». On a un besoin absolu de cette voix, maintenant, de cette voix qui tient la main des celles et ceux qui lisent.

Guy Perrocheau, Dâun phrasé monde, Tarabuste Editeur, 132 pages, 14â¬.


sans doute une voix
nâest-elle plus rien qui se chiffre
tellement par elle en elle
câest comprendre vite
qui se dissout
dans son propre élan
sa propre légende
une illumination sans cesse
happe plans et niveaux je vois
des souvenirs soleils en feu
et lâocéan leur ventre
anomalies nâouvrant sur rien
linge sur le fil ou cerf-volant
flottements comment
filtrer ce dire
en canaliser lâappel tu voudrais
que je nâen sois pas transformé
même à des siècles de distance
on sây rafraîchit les mains
dâune eau douce souterraine
et caressante en nous
par le bougé des mots dans leur
bref emmêlement de syntaxe
prorogée sans trêve
avec aussi le plus de
marge possible
entre un sourire
et rien
ce chantonnement suranné
donnerait-il tant soit peu le change
au divisé du jour je
ne connais pas ma prison
mes chaînes tiennent à un fil
                                                                                (p.81-82)

dâun seul vieux fond de ténèbres câest
miracle quâun chemin se prolonge
et quâil soit passé joueur
et sans encombre
et quâil soit passé
comme une plage lisse
susurre à la robe de lâair
un jour longtemps peut-être toujours
des départs nâauront compté pour rien
la joie parlera toute seule
auréolée des lointains complices
dans le raccordement
des souvenirs inventés
parlera toute seule
dâun souffle
un bout
de ritournelle
au plus court instant
recommencé
même un mur
même un arbre
au doigt et à lâÅil
lâauront suivie jusquâà
reprendre en nous les parcours
dâun phrasé monde
                                                                                (p.125)



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