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(Note de lecture), À propos de quelques livres d’Alexis Pelletier : notes déclassifiées, par Pierre Drogi


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Posté 15 janvier 2021 - 10:38


À propos de quelques livres dâAlexis Pelletier : notes déclassifiées


6a00d8345238fe69e20263e98886d8200b-100wiCette prose balancée relève-t-elle du vers ? Ce qui respire chez Alexis Pelletier est-il vers ou prose ? On y entend une pensée martelée, cherchant un rythme, cherchant « quelques mesures dans lâépoque », cherchant son temps. Tentant dâoffrir ce souffle, cette course au long cours, à son lecteur.

« Une parole dans le temps » : câest la définition simple et mystérieuse que Machado donne du poème.
Mais quâest-ce qui rend une parole audible « dans le temps » ?

Force de frappe. Elle tient à la justesse : le poème est conçu (quasi intenté) comme lâexpression dâune vérité, cherchée, mouvante mais toujours proposée comme un aimant à la parole â qui suit.
Intenté souvent comme une action en justice : il exprime alors une colère authentique et donc « vraie ».

De la sorte, on est toujours tout à la fois dehors et dedans, dans la parole et au-dehors, dans le souffle et dans la référence.

Avec Moires et Slamlash, lâéditeur offrait un Pelletier de poche à la parole réversible, au tournant des tons et des voix, en plus dâun grand moment de jubilation portative. Réversibilité de lâobjet, avec ses deux textes, tête-bêche ; et une parole en deux tons : tragique â polémique jusquâau trivial.
Sur une face, la macaronade, dans lâexacte lignée des mazarinades dâautrefois.
Sur lâautre, les échos des chÅurs antiques, redevenus tempestifs, et faisant résonner lâannonce du « charnier qui vient ».
Part sérieuse et part dégingandée ? Mises ensemble.

Dans le dernier livre paru, Le Présent du présent, ce qui se dit se fait en même temps entendre « sous nos yeux » dâoreillesâ¦
Par un trait dâhumour typique, dès son titre â Le Présent du présent précédé de Il faut que tu me suives â le livre sâenroule sur lui-même, se fait bande de Moebius. Elle ne sera pas sans issue.
La parole se décolle dâabord du silence (et du rien), se désengluant de ce dernier sous ses différentes espèces (positives ou négatives), aux prises avec le rien de la parole qui se dissipe en laissant tout au plus la trace dâune haleine et cet autre, celui du nihilisme, que la parole vient contredire par sa propre rémanence, son sillage mental, sa trace. Entre annihilation et relation établie sur fond de néant, entre Mallarmé et Guillaume IX dâAquitaine, le fil se tend pour indiquer un pont.
La parole vient habiter la voix. Elle le dit.

Sâinterroge aussi une « identité » qui résulterait de la parole, explicitant comment on sâinvente en même temps quâon écrit et quâon lit. Identité toujours en suspens, pendante, lâchée : identité de retrait, de témoignage, de danse. Identité comme interrogation et qui, se retirant derrière la parole, derrière la « voix », laisse témoignage, séparé, adressé. Point en fuite, point de fuite : point optique situé, par le texte, hors du texte.

Celui qui parle, thématise, nâhésite jamais à thématiser, mais sape le thème, ou le met à lâépreuve de la parole en train de se dire, dâadopter un rythme, dâépouser une cadence, une scansion, un souffle.
Vagues dâune mer joueuse. Le thème ? On le baigne de souffle.

Lâhumour enveloppe la possibilité de la palinodie, de la virevolte ou de la « ritournelle » (« La parole est réversible car nous pouvons la reprendre quand nous voulons », Nichita StÄnescu). Dâoù la prégnance du refrain, presque systématique dans les derniers textes. Obsessive jusquâà en perdre son sens premier, jusquâà en perdre le sens dans Il faut que tu me suives.

Car « Quâest-ce quâun poème ? » Et que fait-on quand on sâimmerge en « lui » ?
Le livre poursuit ses raisons tout en tâtonnement des enjeux, des conséquences, des effets, des points de départ (désignés comme « références ») ; se fait parole vive, tourbillonnante, qui prend et sitôt déprend, nâhésite pas à reprendre ensuite, à revenir sur ses pas, frôle la prose, parfois sâoublie â mais revient.

Le livre agite les questions, procède par rebonds.
Hors les mots même : car Alexis Pelletier se dit et se désigne, avec insistance ces derniers temps, comme un « poète sans mots ». Dont les mots comme une pelure, peut-être, tomberaient à mesure ?

Ce livre dénoue bien des nÅuds qui touchent au poème et à la « poésie », sans esbroufe, sans en avoir lâair.
Il le donnerait plutôt, lâair, afin de respirer.

Pierre Drogi

Quelques mesures dans lâépoque, Voix dâencre, Montélimar, 2008.
Slamlash, Vincent Rougier, Soligny La Trappe, 2018.
Le Présent du présent précédé de Il faut que tu me suives, Tarabuste, Saint-Benoît-du-Sault, 2020.
« Sans mots », Sarrazine, n° 17 (Esprit dâescalier), Nantes, 2017.



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