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(Note de lecture), Philippe Jaccottet, La Clarté Notre-Dame, par Christian Travaux


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Posté 12 avril 2021 - 09:06

<p class="MsoNormal blockquote" style="line-height: 125%; margin-left: 40px; margin-right: 40px; text-align: justify;"><span style="font-size: 12pt; line-height: 125%; font-family: 'Garamond','serif';"><br /><br /><a class="asset-img-link" href="https://poezibao.typ...2a067200d-popup" onclick="window.open( this.href, '_blank', 'width=640,height=480,scrollbars=no,resizable=no,toolbar=no,directories=no,location=no,menubar=no,status=no,left=0,top=0' ); return false" style="float: left;"><img alt="Philippe Jaccottet La Clarté Notre Dame" class="asset asset-image at-xid-6a00d8345238fe69e202788022a067200d img-responsive" src="https://poezibao.typepad.com/.a/6a00d8345238fe69e202788022a067200d-100wi" style="width: 100px; margin: 3px 15px 5px 5px; border: 1px solid #969696; box-shadow: 8px 8px 12px #aaa;" title="Philippe Jaccottet La Clarté Notre Dame" /></a>Lâinquiétude de ce quâil y a <em>après</em>, qui se rapproche, qui est inéluctable. Câest, sans doute, ce qui frappe le plus quand on ouvre le dernier livre écrit par Philippe Jaccottet. La mort y est partout. On la devine prête à saisir celui dont la vie â écrit-il â est « si près de sâachever » (p.18). Quâil la nomme « manteau déchiré », « corps déchiré » (p.37), « destruction sans aucun remède » (p.37), « mur » (p.32), ou « tonnerre dont le grondement se rapproche » (p.31), être « sans visage et sans main », venant le « lapider à mort » (p.23), ou « tribunal » (p.29), ou encore « port dont le nom rime avec un autre, moins rassurant » (p.29), jamais, semble-t-il, Jaccottet nâa dit aussi intensément la mort quâil sent, quâil sait venir. Qui est venue fin février, quand cet écrit était sous presse.<br /><br />48 pages, dâune prose discontinue, en deux temps, plus un post-scriptum, qui nâest peut-être pas sans rappeler les carnets de <em>La Semaison</em>, <em>Observations et autres notes anciennes</em>, ou <em>Taches de soleil, ou dâombre</em>. Des choses vues, comme le mont Ventoux, les fleurs roses dâun amandier, quelques nuages, des arbres qui jaunissent à peine, et la lumière dâun ciel de mars ou de novembre, vue dâune fenêtre. Mais, surtout, des choses entendues, qui font se souvenir le cÅur, errer les yeux, comme le tintement dâune cloche du monastère de la Clarté Notre-Dame, lors dâune promenade, à Taulignan, à lâheure de vêpres.<br /><br />Une cloche comme un appel, ou comme une parole non dite dans lâespace dâun ciel déserté. Quelque chose comme un écho, ou comme un signe, ou â comme lâécrit encore Jaccottet â comme un rai de lumière, une rosée ailée, une source suspendue en lâair (pp.17-18). Le poète laisse résonner, rêver en lui, cette petite cloche. Et ce sont, soudain, des montagnes, des nuages, des anges, des oiseaux, qui traversent le ciel inquiet de sa mémoire, et font écho à ce qui a fait signe en sa vie et a justifié quâil écrive. Des rencontres. Des épiphanies. Des signes « fragiles », insaisissables, « évasifs, mais très intenses » (p.23). « Tous ces fragments de poésie â écrit-il â venus à lui » (p.29), et qui « aident le ciel » (p.30) à sâouvrir pour y entrevoir le plus haut. <br /><br />Mais, face à cela, le souvenir dâun reportage télévisé sur un journaliste en Syrie, remontant depuis sa cellule un couloir, et y entendant, avant de se retrouver libre, les supplices des prisonniers quâon torturait dans le même temps (p.21). Lâun et lâautre mis en balance. Cette petite cloche comme un appel, à plus haut, à un peu dâespoir. Et, dâautre part, cette vision des damnés de lâEnfer de Dante, qui est aussi, dâabord peut-être, notre terre, notre humanité. Entre deux, cette planche du vivre, qui est notre chemin commun, notre route jusquâà la mort, en équilibre. <br /><br />Alors, que faut-il espérer, sinon croire, ou se raccrocher, à quelques vers appris par cÅur des mêmes poètes, toujours aimés, toujours cités ? Rilke (p.14). Hölderlin (p.26, 29, 30, 33, 36, 43). Leopardi (p.35). Goethe (p.34), ou Claudel (p.34). Repenser à ces textes écrits il y a longtemps, comme <em>Requiem</em> (p.13), « le Livre des Morts » (p.25) publié à la fin de <em>LâIgnorant</em> (1), ou même ce <em>Combat inégal</em> (p.22 et 31), un poème des années 50, republié en 2010 (2). Mais tout cela, dit Jaccottet, est « brindilles », est « filins » jetés « à la surface de lâeau » (p.22). Ecran de mots, qui ne peut faire écran à la mort (p.24). « Rien nây ferait », répète-t-il (id.), entendant un glas, ou comme « une espèce de glas », de « grincement » (id.), dans cette cloche fêlant le ciel. <br /><br />Pourtant, dans cela qui sâannonce comme lâapocalypse imminente dâune vie qui fut « abritée », ou « protégée » (p.21-22), ces appels résistent encore. Au moment de cette promenade â écrit Jaccottet dans la note ajoutée en juin 2020, dictée plutôt (4) â un ruisseau muré par des pierres lui revient alors en mémoire. Un ruisseau, comme fut celui dont Jaccottet note la présence dans la <em>Vita Nuova</em> de Dante (3). Mais, pour lui, ce fut comme un signe quâune chapelle, un temple, un verger, sont source dâun même sacré, lieux dâune même foi. Et, repensant à Hölderlin (pp.42-43), Jaccottet y voit ce qui fait lâimportance de la poésie : nous donner â à nous, qui mourrons, qui allons mourir câest certain, vivre puis mourir â une eau et des ailes pour passer sans encombre de lâautre côté, sur lâautre rive.<br /><br />« (Le chant aura été chanté tout de même, et rien ne pourra faire quâil ne lâait pas été, risqué à voix basse ou même quelquefois, rarement certes, clamé à pleine gorge comme une explosion de soleil sous les voûtes de pierre.) » (p.27)<br />            <br />Câest sur ces mots que jâaimerais que ma lecture sâarrête un peu, et rêve longtemps, les yeux ouverts. Tout finit. Tout passe et tout fuit. Tout part et sâen va vers lâordure, vers la cendre, vers le néant. Et nous, qui serons bouche ouverte, tête vide, dents éclatantes, nous qui serons couchés dans lâencre et dans lâombre dâune nuit froide, saurons-nous que nous avons joui de la lumière, dâun peu dâété, de nuages entraperçus, de fleurs, dâun verger, dâune source, si nous nâavons pas cultivé ces moments en nous si précieux, si légers, si évanescents ?<br /><br />Notre vie nâa pas dâautre sens.<br /><br /><strong>Christian Travaux<br /></strong><strong><br /></strong>Philippe Jaccottet, <em>La Clarté Notre-Dame</em>, Gallimard, 2021, 48 pages, 10⬠<br /><strong><br />Extrait (p. 25) :</strong> <br />Mais voici, tout de même, en ce premier jour de mars, que la lumière â qui va vers son élargissement, sa croissance, son ascension â revient me réchauffer à travers la fenêtre, aussi indubitablement <em>réelle</em> quâen moi la montée et la croissance de la mort. De telle sorte quâune fois de plus, elle semble me conduire la main, si fatiguée que soit celle-ci désormais ; et que me revient, quoique flou, le souvenir dâun moment de lâ<em>Antigone</em> de Sophocle â comme tant dâautres moments qui auraient le même son et la même résonance â, encore une autre sorte de tintement de cloche dans le ciel intérieur ?<br />Quoiquâil en soit, ce souvenir dâun vieillard guidé par un enfant, ou une jeune femme, vers ce qui pourrait être son dernier refuge, elle pouvant être dite « lumière de mes yeux », est ici à sa place, même si le guide est la lumière elle-même, la fidèle, la silencieuse et la bienveillante.<br /><br /><br />1. <em>Requiem</em>, Lausanne, Mermod, 1947 ; réed ; augmentée de « Remarques », Montpellier, Fata Morgana, 1991 ; <em>LâIgnorant</em>, <em>poèmes 1952-1956</em>, Gallimard, 1958 ; « Le Livre des morts » est la dernière section de <em>LâIgnorant</em>, cf. Philippe Jaccottet, <em>Åuvres</em>, Gallimard, collection de la Pléiade, pp.170-174. <br />2. <em>Le Combat inégal</em>, proses et poèmes (1994-2008), lus par lâauteur, CD, inclus dans le livre portant le même titre paru à lâoccasion du Grand Prix Schiller 2010, La Dogana, 2010. <br />3. Jaccottet évoque la <em>Vita Nuova</em> de Dante, et surtout ce petit ruisseau croisé par Dante, dans la <em>Seconde Semaison</em>, et il remarque : « A un moment donné, Dante note quâen passant par un chemin qui longe « <em>un ruisseau très clair</em> », lui vient une violente « <em>volonté de dire</em> » ; et aussitôt après, comme dâeux-mêmes, lui sont donnés les premiers mots de la canzone « <em>Donne châavete intelleto dâamore</em> » quâil note « <em>avec une grande joie </em>». Comme si câétait le « <em>ruisseau très clair</em> » qui lâavait incité à parler, et que son parler lui-même imitât ce ruisseau, « <em>uno rivo molto chiaro</em> ». (<em>Åuvres</em>, <em>op.cit</em>., 928). <br />4. José-Flore Tappy a rappelé les circonstances particulières dâécriture de ce dernier livre dans un article du journal <em>Le Temps</em>, le 5 mars 2021. <br /><br />NDLR : on peut lire <a href="https://poezibao.typepad.com/poezibao/2021/03/note-de-lecture-philippe-jaccottet-le-dernier-livre-de-madrigaux-par-christian-travaux.html">cette autre note</a> de Christian Travaux, à propos du <em>Dernier livre de Madrigaux</em>, de Philippe Jaccottet, paru en même temps que <em>La Clarté Notre-Dame</em><br /><br /><br /><br /></span></p><img src="http://feeds.feedburner.com/~r/typepad/KEpI/~4/9lHICAq1EKc" height="1" width="1" alt=""/>

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