Pourquoi fallait-il que ce jour de mai prenne soudain
un goût d’octobre —
cette odeur de feuilles mortes,
ce froid qui flirte avec nos os,
et la brume sur la mer ?
Casquette baissée à la Marines pour cacher mon visage
et m’approcher des pierres—un joli cadre !
où elle venait d’écrire son nom…
amour d’enfance…
Ton nom ?
Et soudain le sable prend une autre couleur.
Les goémons fleurent le kérosène
dans l’acouphène sinistre du ressac,
sous des lumières ambrées.
STÈLE
La marée basse a découvert
des traces de sanglots, de
drôles de bouquets,
les cheveux d’Ophélie,
d’autres noms effacés et brûlants,
pourtant,
encore.
Elle trésaille aux écailles sur mon bras —
voudrait s’enfuir si ce n’était
la curiosité qu’on n’a qu’à son âge.
J’ai baissé ma manche.
Et si j’osais, si je n’écrivais pas
de la poésie,
je lui dirais, comme tu disais souvent
que malgré tout j’ai quand même
« le cul bordé de nouilles ».
Mais je n’écris pas de la poésie… alors.
« C’est comme ça que tu t’appelles aussi ? »
…
Non… Oui… Peut-être…
J’aurais pu.
Je voudrais bien, parfois.
Elle décore le i d’un coquillage.
Ce sera mon nom un jour.
Le jour où je te rejoindrai et alors là,
je te f’rai pas de cadeaux. Tes vérités
tu les entendras toutes. Et pas que quatre !
« C’est ton amoureux ? »
Une vague sur les galets ou son rire.
La transparence soudain d’un alto de soleil.
« Mais non ! C’est mon frère. »
Je ne suis d’un seul coup pas sûr
Que les choses soient aussi claires.
« Que tu es bête ! »
J’ai haussé les épaules. Pourquoi moi ?
Dis, mais pourquoi moi ? Et crois-tu qu’ils m’en veulent ?
Comme elle m’a détesté, la tête sur mon épaule.
Comme ses mains ont serré la mienne en espérant…
Et encore, des années plus tard.
« Tu t’es fait quoi ? »
pardon
Pensive. L’index dans la bouche. Elle ne perd pas le nord.
« Je suis un Triton… »
La partition se brouille et s’envole l’alto
à en faire frissonner la brume,
comme je m’attelle à un carrosse imaginaire
et bondis, pieds-joints…
Un carrosse ou un char ? Une autre danse.
« Que tu es bête ! »
Tu l’as déjà dit, petite fille…
Oui, je suis bête de toutes ces choses
qui soudain me font rire et me transportent ailleurs ;
je suis bête du merveilleux, de l’étrange
et des absurdités…
Un triton excentrique. Hurluberlu potache.
Et pourquoi pas ?
Quand le sérieux nous bouffe de l’intérieur
qui a rendu
caves mes yeux taraudés, friables
mes mâchoires violées, qui a
foré mes épaules et ne veut pas recoudre
refuse de reclouer ces ponts entre nous…
Et a dit au mouton de dévorer la rose. Parce que…
Ça a faim, un mouton. C’est basique. La beauté,
il s’en fout, le mouton. Il a faim.
Et bien sûr absorbé par le moteur, le pilote
n’y avait pas pensé. Lui son problème,
c’était surtout la soif.
Et de boire goutte à goutte l’eau du radiateur.
Y aurais-tu songé, toi ? Et quel mirage
t’est apparu ce jour, avant l’effondrement ?
Pourquoi n’as-tu rien dit ?
Est-ce après coup seulement comme un volcan caché
soudain crache sa lave et fait hurler le ciel
qu’on se rend enfin compte que la terre a tremblé ?
Je sursaute à un cri.
« Je dois rentrer. »
Les secondes s’écartèlent ou sont-ce des années ?
Le brouillard s’accroche à mes cils. Elle se baisse,
ramasse le coquillage. « Tiens ! »
Puis elle a disparu.
La fin des contes est évidente, n’est-ce pas ?
C’est pour ça qu’on les aime et pour ça qu’ils rassurent.
Car ici les dieux et les mortiers préfèrent
le hasard.