Je pense à un jardin que je n’ai pas su préserver de la destruction, celui-là même qui était peuplé de ces êtres silencieux, les arbres, parmi lesquels, au printemps, le magnolia donnait à voir sa noblesse princière, où le seringa diffusait ses fragrances, où, à chaque saison, les mirabelliers, les mûriers, les noyers, offraient généreusement leurs fruits. Tous les jardins du monde renvoient au premier jardin, le paradis perdu.
Je pense à une maison qui a été vendue, une maison dont les hortensias illuminaient la façade et dont les propriétaires ne sont plus, mais qui y ont laissé leurs reflets dans les miroirs.
Je pense à mon jardin, à la profusion des saules, dont les hautes silhouettes veillent sur cette rivière qui parle de la luminosité du ciel, et où vivent poissons, colverts, poules d'eau, hérons, et même le martin-pêcheur dont le vol rapide ressemble à un éclair d'un bleu étincelant.
Je pense aux fruits des mirabelliers savoureux avant même d'être tout à fait mûrs, à l'aulne si frêle que j'ai vu grandir à même la rivière et devenu un arbre dans toute son ampleur, aux feuilles du charme, solaires, en automne, au chêne qui devrait vivre encore, dans un siècle, aux si belles fleurs de l'acacia près du kiosque, où j'ai installé mon écritoire.
Je pense aux tiges rouges du cornouiller, aux merisiers apportés par les oiseaux et spontanément sortis de terre, au houx, près du vieux puits, où l'eau , certains jours, chante la chanson de la pluie, au vieux cerisier dont des branches se meurent, aux fruits du pommier à la saveur nonpareille, au figuier qui prend appui sur les hauts vitrages de la véranda, aux baies de Goji, au rosier de Provins dont les éclatantes fleurs pourpres se déploient sur fond de ciel.
Je pense à ce que deviendra mon jardin après moi, à mes traces qui s’effacent, aux mots auxquels je me confie, espérant un miracle. La destruction est à l’œuvre, en nous, à chaque instant, et nous n’avons pas d’autre magie que l’amour pour arracher au néant d’infimes instants de nos vies.
8/8/22