Deux Rois
I
Le roi, triomphateur du géant philistin,
Oint d’huile et de dons au jour de sa naissance,
Œuvrant à libérer le pays en souffrance
Coiffé par le diadème ou le casque d’airain,
Devant le tabernacle orné du chérubin
Fait preuve face aux siens de crainte et de méfiance,
Lui qui venait alors en toute indifférence
Tuer l’Amalécite autant que le Hettien ;
Aux jours durs d’Absalom comme à ceux du prophète
Qui posa sur son crime une question muette
David reste fidèle à ses commandements,
Ephèbe, rêvait-il, tout en rythmant sa lyre
Aux cotés de Saül qui livre ses tourments
Et de sol qui s’effondre et d’azur qui délire ?
II
Père des peuples, vojd, ogre rouge, assassin !
La Pologne à ta voix soutient la batterie
Déversant ses obus sur son peuple qui crie
Et tu bois ton alcool assis sur un coussin !
En toute impunité ton tribunal enceint
Le koulak, l’ouvrier, le soviet, la patrie
Envoyés par paquets crever en Sibérie,
Pareil au Belzebuth libérant son essaim.
Autrefois à Tiflis, des bancs du séminaire,
Vis-tu pleurer Jésus cheminant au calvaire
Et s’affermir les saints dans l’or de leurs tableaux ?
Ou peut-être appris-tu chez les braqueurs de banque,
Ecrivant au parti des poèmes nouveaux,
Que le vrai monstre point quand tout un public manque ?
Le Lion et le Bœuf
I
Parmi les acacias et une avoine jaune
Le félin affamé se déplace sans bruit,
En ses grands yeux ambrés où l’âpre soleil luit
Vient défiler la mort de la placide faune,
Un bond et les bosquets de piaillements résonnent,
Un buffle maladif subitement s’enfuit,
Quelques vautours, plus haut, circulant dans l’ennui
Observent ces longs crocs qui laisseront l’aumône,
La nature brûlante annonce un triste sort,
L’animal affaibli, sans grand espoir, ahane,
– N’a-t-il jamais voulu que brouter la savane ? –
Le fauve s’en saisit dans un dernier effort ;
A l’image des rois dont on grava le marbre
Le lion vient protéger du pillage chaque arbre.
II
Le bœuf a parcouru les herbages d’été
Et mugit dans le froid lorsque l’hiver s’étale
Et savouré parfois des fleurs chaque pétale
Ou plongé dans un lac son pelage maté,
Fermes maîtres des loups, des hommes l’ont dompté
Et ceux qui sont restés sur leur terre natale
Contemplent des vieux prés le monde qui s’installe
En arasant ces lieux pour un plaisir gâté ;
La plupart à présent sont regroupés en bande
Et du fond des enclos où palpita la lande
Attendent sans regret leur ultime départ,
La vigueur retranchée en quelques regards mornes,
Leurs vits émasculés et leurs têtes sans cornes,
Antique amant d’Europe et figures d’Ishtar.