Il y a un monde en gestation, en travail, en déploiement, en envol, comme il y a mille brisures, mille mendicités, mille cris, mille plaintes, en filigrane de ces mots : « je t’aime ». Ils résonnent comme le bourdon de la vielle, ils sont les piliers de l’invisible, ils sont semblables aux premiers pas dont le « Tao te King » dit qu’ils commencent « le plus grand voyage du monde », ils sont semblables aux premiers hiéroglyphes, dont le déchiffrement a permis d'élucider une écriture inconnue, ils décident de la mise en mouvement de tout, depuis les astres des plus lointaines galaxies, jusqu’au chant de l’oiseau, en passant par la main qui calligraphie ce poème : ces mots sont en filigrane de tout ce que je t'écris, ils sont la pierre d'angle de mes phrases.
Je suis, désormais, semblable au peintre utilisant une seule couleur, au musicien s'exprimant à l’aide de quelques notes, j'ai choisi de prendre tous les risques, de m’exprimer de la façon dont on crie dans la forêt, quand on craint de s’être perdu à la tombée de la nuit, d’écrire comme on lance une fusée de détresse, comme on dit son espérance, comme on récite une prière quand on craint que ne se lève plus le soleil.
Tous les dictionnaires du monde portent en eux ces mots de lumière, comme un creuset qui se prête à toutes les alchimies. Par ces mots, on donne à voir, on jette en pâture son âme, on exprime l’accord majeur, on désigne la clef des clefs, la torche de résine qui brûle dans le labyrinthe des jours, les trompettes de Jéricho au pied des plus infranchissables murailles, le soupirail « au coin de la voûte », d’où nous parvient un filet de lumière. En les murmurant, en les écrivant, on donne écho à ces milliers de cris qui retentirent au seuil de la mort, à tous ces messages enregistrés sur des messageries électroniques et qui contenaient ces mots ultimes, prononcés quelques secondes avant que ne s’effondrent les tours jumelles, à New-York.
28/11/20
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