… et autres choses qui fâchent…
PART ONE
« (…) Dieu sait si mon état m'oblige à regarder des vers ! On m'en adresse chaque jour comme s'il appartenait d'en juger à ceux dont le travail fut d'en faire !
« Il y eut jadis, sans doute, quelques « vérités » ou principes communs, quelques exigences définies qui s'imposaient assez pour qu'une manière de science des vers existât, permît de trier les poèmes et de conseiller les auteurs. On s'accordait entre soi sur diverses finesses du métier et quelques difficultés cruciales. Il existait une convention pour la connaissance du Bien et du Mal.
« Mais tous les arts sont libres maintenant ; personne n'y est plus expert que quiconque. L'antique distinction du Bien et du Mal est remplacée par : Génie ou non ?
« L'art, désormais, dans l'opinion, est si étroitement associé à l'idée de spontanéité ou à une sorte de spiritualisme révolutionnaire, qu'un ouvrage dont l'apparence se distingue de ces critères sera présumé peu intéressant.
« Je n'y vois pas d'objection. Ce n'est après tout qu'une convention de plus (de rupture et d'incommensurabilité) qui se substitue aux anciennes, mais avec cet avantage sur celles-ci qu'elle est simple et unique (…) »
P. Valéry Poèmes chinois - Préface aux Poèmes de T'ao Yuan Ming, 1929
Eh bien ici aussi - siège d'une association théâtrale -, nous devons faire face à beaucoup de courrier.
Nous devons répondre, d'abord, à toute sorte de sollicitations et de requêtes liées à la profession : Demandes d'attribution de salles de spectacle, de lieux de répétition, recherches de cours, de comédiens ou de metteurs en scène… Propositions de services… Puis surtout, surtout, parmi quantité de textes destinés à la représentation ou à la lecture publique, - nous recevons comme Valéry beaucoup de poésie, prose ou vers, jointe souvent à des questions ou à des assertions touchant la qualité littéraire de l'envoi, - car ceux qui écrivent se demandent rarement si l'on a le temps de les lire...
On essaie de répondre à tout le monde, comme on peut. Mais parfois (je l'avoue), plus que la quantité, c'est la naïveté des courriers qu'il faut lire – des questions… prévisibles, des débats… réchauffés, des ressassements… vieille époque – (bref, l'arsenal de toutes les candeurs !!!), c'est cette naïveté qui décourage un peu l'enseignante que je suis. « … On en est encore là … Encore ça... La même chose toujours… Mais comment est-ce possible… »
Les mots de Valéry ne sont pourtant pas jeunes : près de quatre-vingts ans. Et les valeurs qu'ils pointent sont vraiment la leçon, « convention de rupture et d'incommensurabilité », la leçon confirmée, convenue, officielle, ébauchée dès le XVIIIe siècle (même avant), illustrée d'abondance, codifiée au XXe et héritée de lui.
Longtemps il est vrai, la poésie a vécu de remises en cause, de défis lancés à l'ordre littéraire établi. Mais la foison des œuvres prouve assez la vitalité poétique actuelle. Nous n'avons plus besoin des Grands Initiateurs qui nous ont libérés ! Statu quo, consensus, même s'il n'est pas bien vu de le dire sans détour : nous vivons dans le vrai.
COMMENT dès lors expliquer, s'expliquer, que l'idéal esthétique si bien défini du temps de Valéry, accepté, codifié, répertorié, en vigueur, - même quasi déifié depuis au moins cent ans ! – semble encore pour certains, aujourd'hui 2008, une… terre inconnue ? Un lieu de transgression ? Un domaine piégé ? D'où viennent ces yeux candides ?
Sur le terrain, partout, des maisons familières. Des cités établies, des forêts recensées, des peuplades aimables… Des montagnes conquises ! Et des mots d'ordre zen… – Rien qui vaille les bottes d'explorateur, le casque, le fusil ! Tout est colonisé dans la paix valéryenne…
À quoi bon s'inquiéter ?…
S'il est quelque domaine réellement menacé, des pratiques culturelles agonisantes ou mortes, des espèces en voie d'extinction, et d'ultimes spécimens - qui sait - à protéger, (mais, comme curiosités destinées à l'amusement du tourisme poétique), traçons quelques enclos, sortons le fil de fer, rassemblons et parquons ces derniers survivants ! Réserve naturelle - Musée des Choses Défuntes… Visites avec horaires, parcours fléchés et tarifs de groupe !
Car ces ultimes chamanes, ces non-civilisés ne menacent eux, personne ! Ni leurs rites, leurs rythmes, leurs rimes - pratiques immémoriales dont nous pouvons sourire -, ne dérangent la paix d'aucune riche nation du domaine de l'esprit…
Je les observe moi comme fait l'anthropologue : dans leurs superstitions, leurs dévotions formelles (à distance bien sûr, respectueuse). Je regarde, j'écoute ; et parfois je prends part au culte de leurs dieux.
Je répète leurs noms, j'écoute les prières : « La maîtrise du mot, la perfection formelle, l'exécution sans faille »… un fatras si l'on veut de vieilles lunes, corsetées, poussiéreuses… Mais dont il est plaisant de jouer l'officiante.
J'en reprends les mantras, recopie les koans :
« Vingt fois sur le métier remettez votre ouvrage » (Boileau, l'Art poétique).
« Le mot juste trouvé, le poème achevé, dieux et démons sont stupéfaits… » (Cheng, L'écriture poétique chinoise.)
Cette vilénie encore :
« La bonne peinture est une musique, une mélodie, un poème, et il n'y a qu'une intelligence très vive qui puisse en sentir la difficulté… » (Dialogue de Michel-Ange avec Francisco da Orlanda).
Ce credo atavique : « Le poème doit être une incantation, un carmen. Déclamé avec la mélopée sacramentelle, sans en modifier une modulation, il produit nécessairement ses effets : une fausse note, une erreur de mesure, l'interversion de deux sons dont elle se compose, et il s'annule… » (Maspero, Etudes de mythologie et d'archéologie égyptiennes.)
Tout ça est bien fini ! Exit les vieux démons… Tout cela n'intéresse que l'étude des langues mortes.
Nos parents sont sortis des sordides entraves. Nous modulons nos vers ainsi que bon nous semble. « Tous les arts sont libres maintenant ; personne n'y est plus expert que quiconque. » Chacun fait comme il veut dans sa propre cuisine. Je ne vois rien, nulle part – aucun auteur, nulle œuvre – manifeste, décret, diktat ni dictateur – excommunicateur, Inquisiteur des Lettres à la André Breton ! pour remettre en question (en péril) la norme… Je ne suis pas inquiète. La poésie touchant enfin la Vérité, j'aimerais qu'à son tour chacun se tranquillise, qu'on cesse de brandir des étendards troués, de voler au secours de la victoire.
Quel instituteur, quel prof des écoles, n'a pas demandé à son CM1 de s'essayer à la rédaction d'une liste cocasse, à la Prévert ? Quelle enseignante n'a pas fait jouer sa classe de collège sur les surprises de l'écriture automatique ? Quel lycéen, n'a pas son cahier de poèmes et ses essais d'Illuminations personnelles dans un tiroir de sa chambre ? N'avons-nous tous sucé avec le lait le vertige de la libération, la levée d'écrou, la rupture des cadres ?
§§§
Les textes que nous recevons tiennent rarement d'un Prévert ! (peut-être trop plaisant, trop léger, il a peu de disciples). Mais souvent en revanche, d'un Rimbaud prosateur – pas toujours trop adroit -, plus encore d'un Eluard, d'un Char, d'un Bonnefoy pour les plus avancés… Puis des rimes aussi, encore et malgré tout, - des vers, dont on voit bien qu'ils s'essaient d'être « réguliers », - mais qui (force est de l'observer) toujours sont défectueux du point de vue formel, du point de vue… chamanique ! rimés et mesurés toujours dans l'à -peu-près… Des défauts inconscients - j'ai pu le vérifier -, aussi involontaires que les caprices d'une orthographe étrangère à la langue française.
Tout cela, pas bien grave ! Ici personne ne juge. Celui de nous le plus concrètement impliqué dans la res poetica dit que « rien n'est plus « bourgeois » que de se donner pour juge d'œuvres où les auteurs ont mis tout ce qu'ils pouvaient d'art et d'eux-mêmes, et que nous n'avons que la peine de lire ». Et il n'a pas trop tort.
MAIS ce qui déconcerte… Mais ce qui use, désagrège l'agrégée valéryenne en moi ! bref ce qui saoule un peu,– comme saoule la diffusion grande surface des rengaines-jingles de la pub… Ce qui use l'accusatrice-réceptrice l'éplucheuse du courrier, c'est que toujours toujours ! les commentaires des auteurs-expéditeurs, qu'ils avouent modestement être à sa recherche, qu'ils pensent l'avoir trouvée, qu'ils revendiquent de l'avoir illustrée, - toujours les commentaires des poètes parlent de cette « libération-liberté » comme de la Déesse-Mère !
Incompréhension de ma part – pourquoi ce ressassement, quel étrange besoin, comme d'une justification, autojustification de productions littéraires dont on pressent (peut-être ?), dont on craint, craindrait et chercherait à prévenir d'éventuelles imperfections… ? Cela semble incroyable car rien n'oblige aux vers, ni à la rime ni à l'assonance ni à la mesure… Qui est fort qui est faible ? Et qui donc peut juger ? Et sur quels critères ? Et par rapport à qui ? Et qui s'occupe de ça ?
Liberté, s'affranchir de, créer à son gré … Tout cela formulé de façon si obsessionnelle. Ritournelle inconsciente, martèlement du propos, doxa névrotique – le poète aveuglé forge ses propres chaînes !
D'où débarquez-vous donc ? « Tous les arts sont libres maintenant ; personne n'y est plus expert que quiconque. » Vos justifications-revendications sont tout anachroniques, elles ne s'imposent nullement, pas du tout, plus du tout ni en rien.
Si quelqu'un des rimeurs tient à se corriger qu'il se calme d'abord ; qu'il se soigne ; se libère de soi seul…
PART TWO
Pour ma part : Oui bien sûr, je ne m'en suis jamais cachée ; je suis capable de comprendre et de ressentir intérieurement, comme Maspero, que la connaissance intime de la ligne formelle, la conscience des possibilités de ses micro-variations, les tensions dues aux écarts de la rigueur initiale, peuvent renforcer le charme, le « carmen », de la séquence des mots qui forment le poème… Je comprends également les surprises du travail inlassable. Et l'émotion, et la commotion même qu'engendre la sensation d'un texte singulièrement achevé… Mais cela m'appartient, c'est ma forme de corps – ma caution si l'on veut, plutôt ma concession, à la vieille école. Je peux l'accompagner mais n'y peux rien changer… Je n'en peux rien transmettre. Elle n'engage personne que moi.
Bien sûr encore, et sans se vouloir pour autant spécialement liberticide, je trouve que l'on peut regretter que des lois soient enfreintes – quand c'est par ignorance. Le moyen en effet de transgresser des règles que l'on ne connaît pas (lorsque créer souvent, tient à la transgression…) Bien des poèmes reçus me font l'effet d'un Rubik's cube que le joueur croirait fini, ou dont il se contenterait d'avoir réussi deux ou trois faces… Mais nommer « liberté » l'état involontaire de l'inachèvement ?... C'est créer un lecteur plus difficile que soi, « libre » oui, mais de modifier, compléter, de reprendre et de pousser le jeu au-delà de ce qui satisfait l'auteur.
Ce travail, si tentant, n'est (je le regrette) que rarement fécond. La maladresse d'un premier jet peut bien être reprise : la fraîcheur, la spontanéité, le génie appartiennent en propre au seul premier auteur. Le lecteur-correcteur ne peut finalement, dans les meilleurs cas, que déplorer le mélange de don et d'ignorance qui a créé l'objet… « Qu'eût-il fait, ce surdoué ! en connaissance de cause… Mais voilà qu'il délaisse la partie commencée. Mais voilà que le fou se déplace en ligne droite – l'échiquier se dissout, toutes les pièces sombrent. »
Les commentaires ingénieux ou candides n'y font rien… Avec le temps d'ailleurs, l'œuvre n'a plus qu'elle-même pour se défendre : les « vieilles règles poétiques » observées ou non n'y font pas davantage, elles ont même contre elles toute la tradition libératrice... Les « chefs-d'œuvre » classiques qu'ont-ils de si fameux, sinon ce qui échappe à tout l'enseignement, a fortiori celui dont ils sont le modèle…
PART THREE
… Il est mille manières de jouer un même jeu – Et la plus sérieuse, et la plus efficace relève de l'enfance, - « le génie retrouvé à volonté » ; l'enfance qui nous apprend à tenir notre rôle, à croire au cavalier, au roi, à la princesse – assez intensément, suffisamment longtemps pour enfiévrer la partie. Celui qui n'y croit pas déçoit un peu les autres. Celui qui lâche l'affaire on ne le dit pas « libre » !... on le dit « mauvais joueur ».
La « liberté » d'ailleurs… (si ce mot garde un sens en philo), la liberté me semblerait plutôt moi de m'affranchir de l'écriture même. D'aller plutôt respirer parmi les arbres. Les lignes de leur écorce valent bien mes gribouillis (ceci en est la preuve ô patient Lecteur) !
La liberté encore, ce serait l'instauration de la notion d'anonymat en art… S'enlever la manie d'attacher son nom à une œuvre. Quelle respiration.
Poésie est partout, dont hors de l'écriture hors de la signature –
De Virgile à Celan, d'Homère à Jabès, d'Euripide à Lorca… Poésie est partout, bien ailleurs que chez eux les « Grands », hors des écrits, des paroles, des livres des objets ! Un moment de silence, une maladresse, la trame de nos jours et tout ce qu'on voudra, qui nous aura touché, ou même pas touché, recèle la Poésie au moins autant et plus qu'un sonnet de Shakespeare.
« J'ai envie de dire que quand tu ris, tu es poète. »
(Je souris au passage, malgré le mal de tête : Voilà bien cinquante ans que les poètes écrivent pour dire « Le lieu de poésie est… » et « La poésie c'est… », sans recul sans humour… C'est cela qui est drôle.)
Poésie est partout ; et comme « langue des hommes » elle est même bien plus partout, aujourd'hui en 2008, plus intensément partout qu'Orphée Byron Kerouac et tous les junkies de l'Ancien Monde n'ont cru, ou pu l'imaginer :
« Quelques clics sur la toile, et quelques heures de vol... Voici l'Afrique, l'Inde, la Chine et cent contrées, cent mondes nous offrant leurs poètes, leurs chantres virtuoses, leurs shamans exaltés - naïfs, conscients, lucides, maîtres de leurs moyens, inspirés dans leur art.
« Leurs langues, classiques, dialectales, leurs styles secs ou fleuris y portent aussi bien à l'émotion intime qu'à l'introspection ou à la transe collective. Les fioritures extrêmes du kriti, le « récitatif aux huit timbres », le « chant chuchoté » - tant d'extraordinaires particularités de tous les arts du monde, les uns traditionnels, les autres récents (y compris les concerts de l'art pop, l'art vidéo, les « performances », la « culture urbaine »…) vivent manifestement hors cadre… rimbaldien, mallarméen, mais saisissent le rapport au monde et rythment l'action bien plus sensiblement qu'un poème dans son livre.
« La leçon n'est pas tendre. Notre religion n'est plus la bonne. Notre Terre n'est plus le centre de l'Univers.
« Mais nous vivons ce temps où sous toutes latitudes, de toutes nations, toutes langues, - mieux instruits des visages multiples de leur art, éclairés des progrès des sciences du langage, les poètes peuvent enfin comparer leurs approches, leurs efforts respectifs, mesurer fertilement les chemins déjà faits, œuvrer de conséquence, en conscience plus grande. »
L.Latourre, Les Dessous du langage - Société Française des Etudes Byroniennes, mars 2008
« Les poètes peuvent, pourraient… » !!! Ce sont là des vœux pieux. Quoi qu'en disent Valéry et au moins quelqu'un d'autre la tradition de juger existe, perdure, n'est pas près de s'éteindre. Et quand je dis « juger »… On sait que le reproche, l'anathème, l'injure viennent encore et toujours aux lèvres du censeur, et même plus souvent que le charme du chant.
PART FOUR – (In cauda venenum)
Aujourd'hui que tout le monde écrit, compose (sculpte, peint, fait des vers, de la danse, de la poterie etc.) ; aujourd'hui qu'à peu près tout le monde publie – ne serait-ce que sur le Net... le petit monde des « élus par l'argent et la caste sociale », détenteur des tribunes, instructeur des masses, le petit monde du Savoir ne s'en maintient pas moins comme il peut. J'en partage malgré moi quelques commodités.
Mais c'est peau de chagrin que cet espace vital : l'autopromotion, la pratique autoréférentielle, l'admiration narcissique, les renvois d'ascenseur « donnez-moi une heure de France-Culture, je vous en donne deux de Sorbonne » n'occupent plus la totalité des espaces culturels, et moins encore celle des esprits curieux de savoir – en tout cas je l'espère. Heureux décloisonnement !
La noze la plus destroy rejoint l'art de l'Ircam. Prigent comprime ses phrases comme Mc Jean Gab'1… Joey Starr a des moments vocaux dignes des meilleures mesures des Études de Debussy… (Je peux montrer lesquels.) Relisons Valéry : « … tous les arts sont libres maintenant ; personne n'y est plus expert que quiconque… »
Reprenons tous ses mots, retenons les paroles, apprivoisons-nous bien pour ne plus y trouver que truisme, évidence. Rien en tout cas, je le répète, qui vaille de sortir le fusil !
Ensuite, une fois cet effort fait, patience prise sur nous-mêmes, état des choses admis, ensuite…, supposons que quelqu'un, quelques-uns, sans méchanceté, sans mauvais esprit, poussent la liberté à quelque paradoxe ;
Supposons que quelques-uns poussent la liberté, le « chacun fait comme il veut » (Valéry toujours) jusqu'à s'essayer encore aux formes fixes reproductibles de leur vieille culture, mais pis encore : supposons qu'ils le fassent
1) - en connaissance intime, chamanique, des règles ;
2) - avec un relatif bonheur, c'est-à -dire parvenant à tirer un jus un peu nouveau de cette vieille salade – (ce qui est tout autre chose que de se couler sans effort dans un moule préétabli) ;
… et surtout :
3) - au point que leur travail soit associé à l'actu (pas seulement artistique), annoncé commenté et promu par la presse écrite, audio et télévisuelle, soutenu par de grands organismes subventionnés etc., donc… se rendent médiatiquement visibles, l'espace d'un instant…
À supposer ce triomphe de l'Improbable…
Quel genre alors de réaction, quelle manifestation sensible, de quel ordre de sentiment, pourra bien saluer en connaissance de cause, ce que l'on pourrait dire « prouesse » ou « performance » singulière (au sens de « solitaire »)…
(J'en propose quatre ou cinq… mais la liste est ouverte
- admirer, s'enchanter, se réjouir sans préjugé
- s'étonner (ou s'en ficher) un peu… ce qui est l'un comme l'autre assez sage
- en sourire - avec condescendance ce qui n'est pas gentil mais … bah !... somme toute légitime (puis l'amour-propre est parfois en jeu)
- ranger dans le casier « réaction », « littératures-formes à contraintes » « esthétisme » « néo-classicisme » ou pire (l'invention le classement la datation par catégories résume ce que l'école peut nous enseigner de la poésie – via les constructions de l'Histoire de l'Art)
- soit… soit s'en fâcher.
S'en fâcher ! Voilà . J'en voulais venir là .
S'en fâcher… Nous y sommes. Fâcherie ?!... Vraiment inexplicable… Je sais de quoi je parle. Tout incompréhensible si ce n'est, à mon sens, par la dose d'humour-conséquence de tout ce que je viens d'essayer de faire un peu sentir…
La fâcherie-2008 – 2008 !!! – en matière d'esthétique me semble une attitude ludique, à la Abbott & Costello ! – gentiment déjantée joliment décalée – plaisamment diachronique. Ceux qui font les fâcheux ne croient pas plus que ça à leur fâcherie. Ils ne peuvent pas y croire.
Apporter cette aigreur ! et ces sourcils froncés, dans un domaine qui a la réjouissance pour objet, un domaine sans autre nécessité que celle des règles d'un jeu (si l'on veut s'amuser… sérieusement ! pour de bon), sans nulle obligation de participation… Quatre-vingts ans après les anathèmes excommunications oukases surréalistes ! On dirait Abbott & Costello go to Mars. On dirait les Simpson ! Ou le tatouage de Julien Doré : J'endors mes sons. C'est comme se fâcher que quelqu'un n'ait pas la même couleur de cheveux qu'un autre – Hellzapoppin… De toutes les réactions c'est la plus incongrue, c'est … C'est la plus… poétique.
Une vraie mise en abyme avec ou sans « y » : Se fâcher, insulter, libérer sur un jeu des instincts ludicides ! Le sérieux du censeur semble si hors sujet que j'en viens à me dire : « Après tout oui, cette fâcherie est peut-être la plus poétique qui soit, elle répond jeu pour jeu ; et relève même de l'ordre de la poésie pure… Toute l'invention consiste à faire quelque chose de rien écrit Racine : de là à faire tout un poème pour … un poème ! Les miroirs sont jumeaux, le puits va de soi-même. La pente est souriante, agréable et facile…»
La Fontaine a bien fait d'un fromage une fable. Pourquoi pas le contraire ? L'attitude poétique change l'aigreur en sourire. Le sourire domine. « Comment ne pas juger un poème – Du moyen de ne pas se fâcher »…
EPILOG
« Nos cerveaux sont trop faits de la pâte grise des livres » souriait Valéry.
On peut bien ajouter : De la foi dans les mots…
L'invention des fameuses règles ?... Rétrospectivement : je la crois due au temps, à la lassitude et à la pudeur de notre condition verbale (Qu'avons-nous fait de nos langues humaines, qu'avons-nous fait de nos paroles durant ce dernier million d'années)...
Mais prospectivement, n'eût-elle pas fait son temps : je la vois liée à l'hyper-conscience sceptique de poètes sensibles, sans illusion, type Malherbe revisité par Hiroshima… Elle peut je pense produire encore… sous couvert d'applications très fines si elle veut inventer ; plus fines, plus délicates, plus choisies que jamais. Invention éclairée des progrès des sciences du langage ; et consciente des visages multiples de la Muse…
C'est même plus dur encore que du temps de Malherbe !
Ce type de conscience a ses naïvetés. La « pudeur » que je dis, de notre condition verbale, concerne seulement ceux d'entre nous heurtés, ceux d'entre nous blessés
1) - des limites d'expression de notre langue dite natale ;
2) - de l'étrangeté foncière du procédé d'échange que représente la parole, – et du ridicule qui s'attache à ce bruit comme à tout ce qui fait l'humaine fragilité…
Sauf accident c'est vrai, ou sauf choix d'ascétisme, nous n'avons d'autre loi que celle de parler. C'est notre prison 1. C'est aussi le couloir vers le jour – dont certains choisissent de tailler la forme et la matière – pourquoi leur en vouloir, leur reprocher le corps de l'entreprise ? Il se peut qu'ils en fassent une chambre d'écho, un lieu de résonance ou dissonance heureuse... Bénéfice du doute.
Qu'est-ce que parler ? Qu'est-il possible à l'homme d'exprimer ? Creusés dans ces deux questions radicales, les chemins frayés hors de nos ethnocentrismes (lieux et temps) sont peut-être aussi féconds que ceux courus sur nos prés familiers.