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A cassandre- Louise labé


Poèmes de Louise Labé


L'absence, ny
Poubly, ny la course du jour
N'ont effacé le nom, les grâces ny l'amour
Qu'au cœur je m'imprimay dés ma jeunesse tendre,
Fait nouveau serviteur de toy, belle
Cassandre,
Qui me fus autrefois plus chère que mes yeux,
Que mon sang, que ma vie, et que seule en tous lieux
Pour sujet éternel ma
Muse avoit choisie,
A fin de te chanter par longue poésie.

Car le trait qui sortit de ton regard si beau,
Ne fut l'un de ces traits qui deschirent la peau,
Mais ce fut un de ceux dont la poincte cruelle
Perse cœur et poumons, et veines et mouëlle.

Ma
Cassandre, aussi tost que je me vy blessé,
Jeune d'ans et gaillard, depuis je n'ay pensé
Qu'à toy, mon cœur, mon ame, à qui tu as ravie
Absente si long temps la raison et la vie.

Et quand le bon destin jamais n'eust fait revoir
Tes yeux si beaux aux miens, le temps n'avoit pouvoir
D'enlever une esquierre ou d'amoindrir l'image
Qu'Amour m'avoit portraite au vif de ton visage;
Si bien qu'en souvenir je t'aimois tout ainsi
Que dés le premier jour que tu fus mon souci.
Et si l'âge, qui rompt et murs et forteresses,
En coulant a perdu un peu de noz jeunesses,
Cassandre, c'est tout un! car je n'ay pas esgard
A ce qui est présent, mais au premier regard,
Au trait qui me navra de ta grâce enfantine,
Qu'encores tout sanglant je sens en la poitrine.

Bien-heureux soit le jour que tes yeux je revy,
Qui m'ont et près et loin de moy-mesme ravy !
Et si j'estois un
Roy, qui toute chose ordonne,
Je mettrois en la place une haute colonne
Pour remerque d'amour, où tous ceux qui viendroient,



En baisant le pilier, de nous se souviendraient.

Je devins un idole aux rayons de ta veuë,
Sans parler, sans marcher, tant la raison esmeue
Me gela tout l'esprit, loin de moy m'estrangeant,
Et vivois de tes yeux seulement en songeant.
Tousjours me souvenoit de ceste heure première
Où jeune je perdy mes yeux en ta lumière,
Et des propos qu'un soir nous eusmes, devisant,
Dont le seul souvenir, non autre, m'est plaisant.
Ce fut en la saison du
Printemps qui est ores ;
En la mesme saison je t'ay reveuë encores :
Face
Amour que l'Avril où je fus amoureux
Me face aussi content que l'autre malheureux.