poesie Suivez-vous sur Twitter : Facebook :

poeme

 

Enfance



I
Cette idole, yeux noirs et crin jaune, sans parents ni cour, plus noble que la fable,mexicaine et flamande; son dormaine, azur et verdure insolents, court sur des plagesnommées, par des vagues sans vaisseaux, de noms férocement grecs, slaves, celtiques.
A la lisière de la forêt, - les fleurs de rêve tintent, éclatent, éclairent, - lafille à lèvres d'orange, les genoux croisés dans le clair déluge qui sourd des prés,nudité qu'ombrent, traversent et habillent les arcs-en ciel, la flore, la mer.
Dames qui tournoient sur les terrasses voisines de la mer; enfantes et géantes, superbesnoires dans la mousse vert-de-gris, bijoux debout sur le sol gras des bosquets et desjardinets dégelés - jeunes mères et grandes soeurs aux regards pleins de pèlerinages -sultanes, princesses de démarche et de costume tyranniques, petites étrangères etpersonnes doucement malheureuses.
Quel ennui, I'heure du "cher corps" et "cher coeur".

II
C'est elle, la petite morte, derrière les rosiers. - La jeune maman trépassée descendle perron. - La calèche du cousin crie sur le sable. - Le petit frère - (il est auxIndes !) là, devant le couchant, sur le pré d'oeillets. - Les vieux qu'on a enterréstout droits dans le rempart aux giroflées.
L'essaim des feuilles d'or entoure la maison du général. Ils sont dans le Midi. - Onsuit la route rouge pour arriver à l'auberge vide. Le château est à vendre; lespersiennes sont détachées. - Le curé aura emporté la clef de l'église. - Autour duparc, les loges des gardes sont inhabitées. Les palissades sont si hautes qu'on ne voitque les cimes bruissantes. D'ailleurs il n'y a rien à voir là-dedans.
Les prés remontent aux hameaux sans coqs, sans enclumes. L'écluse est levée. ô lescalvaires et les moulins du désert, les îles et les meules !
Des fleurs magiques bourdonnaient. Les talus le berçaient. Des bêtes d'une élégancefabuleuse circulaient. Les nuées s'amassaient sur la haute mer faite d'une éternité dechaudes larmes.

III
Au bois il y a un oiseau, son chant vous arrête et vous fait rougir.
Il y a une horloge qui ne sonne pas.
Il y a une fondrière avec un nid de bêtes blanches.
Il y a une cathédrale qui descend et un lac qui monte.
Il y a une petite voiture abandonnée dans le taillis, ou qui descend le sentier encourant, enrubannée.
Il y a une troupe de petits comédiens en costumes, aperçus sur la route à travers lalisère du bois.
Il y a enfin, quand l'on a faim et soif, quelqu'un qui vous chasse.

IV
Je suis le saint, en prière sur la terrasse,-comme les bêtes pacifiques paissentjusqu'à la mer de Palestine.
Je suis le savant au fauteuil sombre. Les branches et la pluie se jettent à la croiséede la bibliothèque.
Je suis le piéton de la grand'route par les bois nains; la rumeur des écluses couvre mespas. Je vois longtemps la mélancolique lessive d'or du couchant.
Je serais bien l'enfant abandonné sur la jetée partie à la haute mer, le petit valetsuivant l'allée dont le front touche le ciel.
Les sentiers sont âpres. Les monticules se couvrent de genêts. L'air est immobile. Queles oiseaux et les sources sont loin ! Ce ne peut être que la fin du monde, en avancant.

V
Qu'on me loue enfin ce tombeau, blanchi à la chaux avec les lignes du ciment en relief -très loin sous terre.
Je m'accoude à la table, la lampe éclaire très vivement ces journaux que je suis idiotde relire, ces livres sans intérêt.-
A une distance énorme au-dessus de mon salon souterrain, les maisons s'implantent, lesbrumes s'assemblent. La boue est rouge ou noire. Ville monstrueuse, nuit sans fin !
Moins haut, sont des égouts. Aux côtés, rien que l'épaisseur du globe. Peut-être lesgouffres d'azur, des puits de feu. C'est peut-être sur ces plans que se rencontrent luneset comètes, mers et fables.
Aux heures d'amertume je m'imagine des boules de saphir, de métal. Je suis maître dusilence. Pourquoi une apparence de soupirail blêmirait-elle au coin de la voûte ?

Arthur Rimbaud (1854 ; 1891)

Poèmes de Arthur Rimbaud