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Le Galant Tireur

Comme la voiture traversait le bois, il la fit arrêter dans le voisinage d'un tir,disant qu'il lui serait agréable de tirer quelques balles pour tuer le Temps. Tuerce monstre-là, n'est-ce pas l'occupation la plus ordinaire et la plus légitime dechacun? - Et il offrit galamment la main à sa chère, délicieuse et exécrable femme, àcette mystérieuse femme à laquelle il doit tant de plaisirs, tant de douleurs, etpeut-être aussi une grande partie de son génie.

Plusieurs balles frappèrent loin du but proposé l'une d'elles s'enfonça même dansle plafond; et comme la charmante créature riait follement, se moquant de la maladressede son époux, celui-ci se tourna brusquement vers elle, et lui dit: "Observez cettepoupée, là-bas, à droite, qui porte le nez en l'air et qui a la mine si hautaine. Ehbien! cher ange, je me figure que c'est vous." Et il ferma les yeux et illâcha la détente. La poupée fut nettement décapitée.

Alors s'inclinant vers sa chère, sa délicieuse, son exécrable femme, son inévitableet impitoyable Muse, et lui baisant respectueusement la main, il ajouta: "Ah! moncher ange, combien je vous remercie de mon adresse!"

Charles Baudelaire (1821- 1867)

Poèmes de Charles Baudelaire  

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