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Un cheval de race

Elle est bien laide. Elle est délicieuse pourtant!

Le Temps et l'Amour l'ont marquée de leurs griffes et lui ont cruellement enseigné ceque chaque minute et chaque baiser emportent de jeunesse et de fraîcheur.

Elle est vraiment laide; elle est fourmi, araignée, si vous voulez, squelette même;mais aussi elle est breuvage, magistère, sorcellerie! en somme, elle est exquise.

Le Temps n'a pu rompre l'harmonie pétillante de sa démarche ni l'éléganceindestructible de son armature. L'Amour n'a pas altéré la suavité de son haleined'enfant; et le Temps n'a rien arraché de son abondante crinière d'où s'exhale enfauves parfums toute la vitalité endiablée du Midi français: Nîmes, Aix, Arles,Avignon, Narbonne, Toulouse, villes bénies du soleil, amoureuses et charmantes!

Le Temps et l'Amour l'ont vainement mordue à belles dents; ils n'ont rien diminué ducharme vague, mais éternel, de sa poitrine garçonnière.

Usée peut-être, mais non fatiguée, et toujours héroïque, elle fait penser à ceschevaux de grande race que l'oeil du véritable amateur reconnaît, même attelés à uncarrosse de louage ou à un lourd chariot.

Et puis elle est si douce et si fervente! Elle aime comme on aime en automne; on diraitque les approches de l'hiver allument dans son coeur un feu nouveau, et la servilité desa tendresse n'a jamais rien de fatigant.

Charles Baudelaire (1821- 1867)

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