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ELEGIES AU REVOIR

Vous ne me voulez plus... qu' ils en cherchent la
cause !
Je ne chercherai pas. Vous ne me voulez plus...
ainsi des doux romans effeuillés : ils sont lus.
Vous avez cru me lire, et cette page est close.
Pourtant, je l' ai marquée avec un signet noir,
cette page éternelle où s' arrête ma vie.
La vôtre, quelque jour, de mémoire suivie,
tressaillera d' un mot qui s' y cache : au revoir !
Mot sans faste, mot vrai, lien de l' âme à l' âme,
rappelant tôt ou tard l' homme où pleure la femme.
Avec étonnement vous vous en souviendrez,
et, sans l' avoir prévu, ni su, vous reviendrez !

Et ce ne seront plus les parfums de la terre,
les aveux échangés dans un tremblant mystère,
les serments... tu vois bien ce qu' ils sont, les
serments !
Je ne t' en ai point fait dans nos enchantements.
Non ! Ce ne sera plus ce rêve à deux, le même !
Qui fait vivre, qui vit d' un mot, d' un seul : on
m' aime !
Ni les bouquets perdus, broyés sous tes genoux,
attiédis du bonheur qui s' étendait sur nous ;
ni ces heures sans nom dans le temps balancées,
dont les ailes pliaient d' un tel bonheur lassées,
alors que je laissais pour unique entretien,
mon regard ébloui s' abriter sous le tien,
cherchant, ne trouvant pas les mots de mes pensées
pour te les faire voir, lorsqu' en moi trop pressées,
elles voulaient passer de mon coeur à ton coeur
et fondre dans tes yeux quelque doute rêveur.
Toi, ton doux cri : pardon ! Qui brisait ma colère,
à qui le diras-tu, qu' il sache tant lui plaire ?
Une autre, une autre, et puis une autre l' entendra ;
mais sur des coeurs fermés ce vain cri frappera.
N' en cherche plus l' écho, c' est moi qui le recèle !
Moi, je t' aimai sans borne et de tous les amours !
Le seul que tu poursuis est le seul qui chancelle ;
celui-là dit : " demain, " les miens disent : " toujours ! "
mais attenter une heure à ton indépendance,
mais te créer l' effroi de ma fidélité,
acheter de la vie avec ta liberté,
demander des égards pour payer ma constance ! ...
ils rêvent. Toi, je t' aime... oh ! Tu n' en eus jamais,
jamais d' un baiser faux tu ne compris l' outrage,

quand tu serrais ma main dans tes mains, tu m' aimais,
et puis ce fut la mort... merci de ton courage !
Vois ! J' en ai ; vois ! Je dis : " nous ne nous aimons
plus.
Ainsi des doux romans effeuillés : ils sont lus. "
moi, je mens ! Au revoir, après ce rêve étrange
que tu rêveras, toi, sous l' aile d' un autre ange.
De ce qui fut à nous emporte le bonheur !
Je n' en avais besoin que quand j' avais un coeur ;
c' est là que je souffrais, c' est là que je suis morte.
Va ! Nos songes vivants te serviront d' escorte...
ces doux songes appris à travers tant d' espoir.
Ce n' est donc jamais vrai pour ce monde ! ... au revoir !
Tu viendras ! Ce soir-là, ce sera le silence,
d' un passé mal éteint la vague ressemblance,
ce qu' on a ressenti d' amer et de profond
au jardin dévasté qui versa de l' ombrage
sur les jours haletants et doux du premier âge,
jours fiévreux, pleins de bruits, que nuls bruits ne
défont !
Tu viendras, tu verras ! Nous pleurerons ensemble :
c' est là le sort de tout ce que le temps rassemble,
comme l' ombre de nous, tu me regarderas,
tu verras mieux mon âme : alors tu pleureras !
Ma plus profonde vie, hélas ! Que Dieu te garde !
à travers mon regard que le ciel te regarde,
comme tu regardais à travers mes cheveux,
que je laissais déjà retomber sur mes yeux !
à deux pas de mes jours que le sort vous entraîne,
l' invisible au revoir dans mon sort vous ramène.

Allez ! Midi n' est pas l' heure du souvenir ;
cette heure sur vos pas vous fera revenir.
Chacun a ses douleurs et vous aurez les vôtres,
et vous direz mon nom en cherchant dans les autres ;
s' il en est un qui reste aux jours abandonnés,
oh ! Ce sera le mien qui répondra : venez !

Marceline Desbordes-Valmore (1786 - 1859)

Poèmes de Marceline Desbordes-Valmore