poesie Suivez-vous sur Twitter : Facebook :

poeme

Toute La Poésie : Faire vivre la poésie de langue française, informer, publier les poètes au sein d'une communauté de partage.
 

Poésies 1 -Lautréamont

 

Epigraph: Je remplace la mélancolie par le courage, le doute par la certitude, ledésespoir par l'espoir, la méchanceté par le bien, les plaintes par le devoir, lescepticisme par la foi, les sophismes par la froideur du calme et l'orgueil par lamodestie. sont dédiés, une fois pour toutes les autres, les prosaïques morceaux quej'écrirai dans la suite des âges, et dont le premier commence à voir le jour d'hui,typographiquement parlant.

1 Les gémissements poétiques de ce siècle ne sont que des sophismes.

2 Les premiers principes doivent être hors de discussion.

3 J'accepte Euripide et Sophocle; mais je n'accepte pas Eschyle.

4 Ne faites pas preuve de manque des convenances les plus élémentaires et de mauvaisgoût envers le créateur.

5 Repoussez l'incrédulité: vous me ferez plaisir.

6 Il n'existe pas deux genres de poésies; il n'en est qu'une.

7 Il existe une convention peu tacite entre l'auteur et le lecteur, par laquelle lepremier s'intitule malade, et accepte le second comme garde-malade. C'est le poète quiconsole l'humanité! Les roles sont intervertis arbitrairement.

8 Je ne veux pas être flétri de la qualification de poseur.

9 Je ne laisserai pas des Mémoires.

10 La poésie n'est pas la tempête, pas plus que le cyclone. C'est un fleuvemajestueux et fertile.

11 Ce n'est qu'en admettant la nuit physiquement, qu'on est parvenu à la faire passermoralement. O Nuits d'Young! vous m'avez causé beaucoup de migraines!

12 On ne rêve que lorsque l'on dort. Ce sont des mots comme celui de rêve, néant dela vie, passage terrestre, la préposition peut-être, le trépied désordonné, qui ontinfiltré dans vos âmes cette poésie moite des langueurs, pareille à de la pourriture.Passer des mots aux idées, il n'y a qu'un pas.

13 Les perturbations, les anxiétés, les dépravations, la mort, les exceptions dansl'ordre physique ou moral, l'esprit de négation, les abrutissements, les hallucinationsservies par la volonté, les tourments, la destruction, les renversements, les larmes, lesinsatiabilités, les asservissements, les imaginations creusantes, les romans, ce qui estinattendu, ce qu'il ne faut pas faire, les singularités chimiques de vautour mystérieuxqui guette la charogne de quelque illusion morte, les expériences précoces et avortées,les obscurités à carapace de punaise, la monomanie terrible de l'orgueil, l'inoculationdes stupeurs profondes, les oraisons funèbres, les envies, les trahisons, les tyrannies,les impiétés, les irritations, les acrimonies, les incartades agressives, la démence,le splëen, les épouvantements raisonnés, les inquiétudes étranges, que le lecteurpréférerait ne pas éprouver, les grimaces, les névroses, les filières sanglantes parlesquelles on fait passer la logique aux abois, les exagérations, l'absence desincérité, les scies, les platitudes, le sombre, le lugubre, les enfantements pires queles meurtres, les passions, le clan des romanciers de cours d'assises, les tragédies, lesodes, les mélodrames, les extrêmes présentés à perpetuité, la raison impunémentsifflée, les odeurs de poule mouillée, les affadissements, les grenouilles, les poulpes,les requins, le simoun des déserts, ce qui est somnambule, louche, nocturne, somnifère,noctambule, visqueux, phoque parlant, équivoque, poitrinaire, spasmodique, aphrodisiaque,anémique, borgne, hermaphrodite, bâtard, albinos, pédéraste, phénomène d'aquarium etfemme à barbe, les heures soûles du découragement taciturne, les fantaisies, lesâcretés, les monstres, les syllogismes démoralisateurs,les ordures, ce qui neréflêchit pas comme l'enfant, la désolation, ce mancenillier intellectuel, les chancresparfumés, les cuisses aux camélias, la culpabilité d'un écrivain qui roule sur lapente du néant et se méprise lui-même avec des cris joyeux, les remords, leshypocrisies, les perspectives vagues qui vous broient dans leurs engrenagesimperceptibles, les crachats sérieux sur les axiômes sacrés, la vermine et seschatouillements insinuants, les préfaces insensées, comme celles de Cromwell, de Mlle deMaupin et de Dumas fils, les caducités, les impuissances, les blasphêmes, les asphyxies,les étouffements, les rages, - devant ces charniers immondes, que je rougis de nommer, ilest temps de réagir enfin contre ce qui nous choque et nous courbe si souverainement.

14 Votre esprit est entraîné perpétuellement hors de ses gonds, et surpris dans lepiège de ténèbres construit avec un art grossier par l'égoïsme et l'amour-propre.

15 Le goût est la qualité fondamentale qui résume toutes les autres qualités. C'estle nec plus ultrà de l'intelligence. Ce n'est que par lui seul que le génie est lasanté suprême et l'équilibre de toutes les facultés. Villemain est trente-quatre foisplus intelligent qu'Eugène Sue et Frédéric Soulié. Sa préface du Dictionnaire del'Académie verra la mort des romans de Walter Scott, de Fenimore Cooper, de tous lesromans possibles et imaginables. Le roman est un genre faux, parce qu'il décrit lespassions pour elles-mêmes: la conclusion morale est absente. Décrire les passions n'estrien; il suffit de naître un peu chacal, un peu vautour, un peu panthère. Nous n'ytenons pas. Les décrire, pour les soumettre à une haute moralité, comme Corneille, estautre chose. Celui qui s'abstiendra de faire la première chose, tout en restant capabled'admirer et de comprendre ceux à qui il est donné de faire la deuxième, surpasse, detoute la supériorité des vertus sur les vices, celui qui fait la première.

16 Par cela seul qu'un professeur de seconde se dit: "Quand on me donnerait tousles trésors de l'univers, je ne voudrais pas avoir fait des romans pareils à ceux deBalzac et d'Alexandre Dumas," par cela seul, il est plus intelligent qu'AlexandreDumas et Balzac. Par cela seul qu'un élève de troisième s'est pénétré qu'il ne fautpas chanter les difformités physiques et intellectuelles, par cela seul, il est plusfort, plus capable, plus intelligent que Victor Hugo, s'il n'avait fait que des romans,des drames et des lettres.

17 Alexandre Dumas fils ne fera jamais, au grand jamais, un discours de distributiondes prix pour un lycée. Il ne connaît pas ce que c'est que la morale. Elle ne transigepas. S'il le faisait, il devrait auparavant biffer d'un trait de plume tout ce qu'il aécrit jusqu'ici, en commençant par ses Préfaces absurdes. Réunissez un jury d'hommescompétents: je soutiens qu'un bon élève de seconde est plus fort que lui dans n'importequoi, [même dans la] même dans la sale question des courtisanes.

18 Les chefs-d'oeuvre de la langue française sont les discours de distribution pourles lycées, et les discours académiques. En effet, l'instruction de la jeunesse estpeut-être la plus belle expression pratique du devoir, et une bonne appréciation desouvrages de Voltaire (creusez le mot appréciation) est préférable à ces ouvrageseux-mêmes. - Naturellement!

19 Les meilleurs auteurs de romans et de drames dénatureraient à la longue la fameuseidée du bien, si les corps enseignants, conservatoires du juste, ne retenaient lesgénérations jeunes et vieilles dans la voie de l'honnêteté et du travail.

20 En son nom personnel, malgré elle, il le faut, je viens renier, avec une volontéindomptable, et une ténacité de fer, le passé hideux de l'humanité pleurarde. Oui: jeveux proclamer le beau sur une lyre d'or, défalcation faite des tristesses goîtreuses etdes fiertés stupides qui décomposent, à sa source, la poésie marécageuse de cesiècle. C'est avec les pieds que je foulerai les stances aigres du scepticisme, qui n'ontpas leur motif d'être. Le jugement, une fois entré dans l'efflorescence de son énergie,impérieux et résolu, sans balancer une seconde dans les incertitudes dérisoires d'unepitié mal placée, comme un procureur général, fatidiquement, les condamne. Il fautveiller sans relache sur les insomnies purulentes et les cauchemars atrabilaires. Jeméprise et j'exècre l'orgueil, et les voluptés infâmes d'une ironie, faite éteignoir,qui déplace la justesse de la pensée.

21 Quelques caractères, excessivement intelligents, il n'y a pas lieu que vousl'infirmiez par des palinodies d'un goût douteux, se sont jetés, à tête perdue, dansles bras du mal. C'est l'absinthe, savoureuse, je ne le crois pas, mais, nuisible, qui tuamoralement l'auteur de Rolla. Malheur à ceux qui sont gourmands! A peine est-il entrédans l'âge mûr, l'aristocrate anglais, que sa harpe se brise sous les murs deMissolonghi, après n'avoir cueilli sur son passage que les fleurs qui couvent l'opium desmornes anéantissements.

22 Quoique plus grand que les génies ordinaires, s'il s'était trouvé de son temps unautre poète, doué, comme lui, à doses semblables, d'une intelligence exceptionnelle, etcapable de se présenter comme son rival, il aurait avoué, le premier, l'inutilité deses efforts pour produire des malédictions disparates; et que, le bien exclusif est,seul, déclaré digne, de par la voix de tous les mondes, de s'approprier notre estime. Lefait fut qu'il n'y eut personne pour le combattre avec avantage. Voilà ce qu'aucun n'adit. Chose étrange! même en feuilletant les recueils et les livres de son époque, aucuncritique n'a songé à mettre en relief le rigoureux syllogisme qui précède. Et ce n'estque celui qui le surpassera qui peut l'avoir inventé. Tant on était rempli de stupeur etd'inquiétude, plutôt que d'admiration réfléchie, devant des ouvrages écrits d'unemain perfide, mais qui révélaient, cependant, les manifestations imposantes d'une âmequi n'appartient pas au vulgaire des hommes, et qui se trouvait à son aise dans lesconséquences dernières d'un des deux moins obscurs problèmes qui intéressent lescoeurs non-solitaires: le bien, le mal. Il n'est pas donné à quiconque d'aborder lesextrêmes, soit dans un sens, soit dans un autre. C'est ce qui explique pourquoi, tout enlouant, sans arrière-pensée, l'intelligence merveilleuse dont il dénote à chaqueinstant la preuve, lui, un des quatre ou cinq phares de l'humanité, l'on fait, ensilence, ses nombreuses réserves sur les applications et l'emploi injustifiables qu'il ena faits sciemment. Il n'aurait pas dû parcourir les domaines sataniques.

23 La révolte féroce des Troppmann, des Napoléon Ier, des Papavoine, des Byron, desVictor Noir et des Charlotte Corday sera contenue à distance de mon regard sévère. Cesgrands criminels, à des titres si divers, je les écarte d'un geste. Qui croit-on tromperici, je le demande avec une lenteur qui s'interpose? O dadas de bagne! Bulles de savon!Pantins en baudruche! Ficelles usées! Qu'ils s'approchent, les Konrad, les Manfred, lesLara, les marins qui ressemble au Corsaire, les Méphistophélès, les Werther, les DonJuan, les Faust, les Iago, les Rodin, les Caligula, les Caïn, les Iridion, les mégèresà l'instar de Colomba, les Ahrimane, les manitous manichéens, barbouillés de cervelle,qui cuvent le sang de leurs victimes dans les pagodes sacrées de l'Hindoustan, leserpent, le crapaud et le crocodile, divinités, considérées comme anormales, del'antique Egypte, les sorciers et les puissances démoniaques du moyen âge, lesProméthée, les Titans de la mythologie foudroyés par Jupiter, les Dieux Méchants vomispar l'imagination primitive des peuples barbares, - toute la série bruyante des diablesen carton. Avec la certitude de les vaincre, je saisis la cravache de l'indignation et dela concentration qui soupèse, et j'attends ces monstres de pied ferme, comme leurdompteur prévu.

24 Il y a des écrivains ravalés, dangereux loustics, farceurs au quarteron, sombremystificateurs, véritables aliénés, qui mériteraient de peupler Bicêtre. Leurs têtescrétinisantes, d'où une tuile a été enlevée, créent des fantômes gigantesques, quidescendent au lieu de monter. Exercice scabreux; gymnastique spécieuse. Passez donc,grotesque muscade. S'il vous plaît, retirez-vous de ma présence, fabricateurs à ladouzaine, de rébus défendus, dans lesquels je n'apercevais pas auparavant, du premiercoup, comme aujourd'hui, le joint de la solution frivole. Cas pathologique d'un égoïsmeformidable. Automates fantastiques: indiquez-vous du doigt, l'un à l'autre, mes enfants,l'épithète qui les remet à leur place.

25 S'ils existaient, sous la réalité plastique, quelque part, ils seraient, malgréleur intelligence avérée, mais fourbe, l'opprobre, le fiel, des planètes qu'ilshabiteraient la honte. Figurez-vous-les, un instant, réunis en société avec dessubstances qui seraient leurs semblables. C'est une succession non interrompue de combats,dont ne rêveront pas les boule-dogues, interdits en France, les requins et lesmacrocéphales-cachelots. Ce sont des torrents de sang, dans ces régions chaotiquespleines d'hydres et de minotaures, et d'où la colombe, effarrée sans retour, s'enfuit àtire-d'aile. C'est un entassement de bêtes apocalyptiques, qui n'ignorent pas ce qu'ellesfont. Ce sont des chocs de passions, d'irréconciliabilités et d'ambitions, à traversles hurlements d'un orgueil qui ne se laisse pas lire, se contient, et dont personne nepeut, même approximativement, sonder les écueils et les bas-fonds.

26 Mais, ils ne m'en imposeront plus. Souffrir est une faiblesse, lorsqu'on peut s'enempêcher et faire quelque chose de mieux. Exhaler les souffrances d'une splendeur nonéquilibrée, c'est prouver, ô moribonds des maremmes perverses! moins de résistance etde courage, encore. Avec ma voix et ma solennité des grands jours, je te rappelle dansmes foyers déserts, glorieux espoir. Viens t'asseoir à mes côtés, enveloppé dumanteau des illusions, sur le trépied raisonnable des apaisements. Comme un meuble derebut, je t'ai chassé de ma demeure, avec un fouet aux cordes de scorpions. Si tusouhaites que je sois persuadé que tu as oublié, en revenant chez moi, les chagrins que,sous l'indice des repentirs, je t'ai causé autrefois, crebleu, ramène alors avec toi,cortège sublime, - soutenez-moi, je m'évanouis! - les vertus offensées, et leursimpérissables redressements.

27 Je constate, avec amertume, qu'il ne reste plus que quelques gouttes de sang dansles artères de nos époques phtisiques. Depuis les pleurnicheries odieuses et spéciales,brevetées sans garantie d'un point de repère, des Jean-Jacques Rousseau, desChâteaubriand et des nourrices en pantalon aux poupons Obermann, à travers les autrespoètes qui se sont vautrés dans le limon impur, jusqu'au songe de Jean-Paul, le suicidede Dolorès de Veintemilla, le Corbeau d'Allan, la Comédie Infernale du Polonais, les yeux sanguinaires de Zorilla, et l'immortel cancer, Une Charogne, quepeignit autrefois, avec amour, l'amant morbide de la Vénus hottentote, les douleursinvraisemblables que ce siècle s'est créées à lui-même, dans leur voulu monotone etdégoûtant, l'ont rendu poitrinaire. Larves absorbantes dans leurs engourdissementsinsupportables!

28 Allez, la musique.

29 Oui, bonnes gens, c'est moi qui vous ordonne de brûler, sur une pelle, rougie aufeu, avec un peu de sucre jaune, le canard du doute, aux lèvres de vermouth, qui,répandant, dans une lutte mélancolique entre le bien et le mal, des larmes qui neviennent pas du coeur, sans machine pneumatique, fait, partout, le vide universel. C'estce que vous avez de mieux à faire.

30 Le désespoir, se nourrissant avec un parti pris, de ses fantasmagories, conduitimperturbablement le littérateur à l'abrogation en masse des lois divines et sociales,et à la méchanceté théorique et pratique. En un mot, fait prédominer le derrièrehumain dans les raisonnements. Allez, et passez-moi le mot! L'on devient méchant, je lerépète, et les yeux prennent la teinte des condamnés à mort. Je ne retirerai pas ceque j'avance. Je veux que ma poésie puisse être lue par une jeune fille de quatorze ans.

31 La vraie douleur est incompatible avec l'espoir. Pour si grande que soit cettedouleur, l'espoir, de cent coudées, s'élève plus haut encore. Donc, laissez-moitranquille avec les chercheurs. A bas, les pattes, à bas, chiennes cocasses, faiseursd'embarras, poseurs! Ce qui souffre, ce qui disseque les mystères qui nous entourent,n'espère pas. La poésie qui discute les vérités nécessaires est moins belle que cellequi ne les discute pas. Indécisions à outrance, talent mal employé, perte de temps:rien ne sera plus facile à vérifier.

32 Chanter Adamastor, Jocelyn, Rocambole, c'est puéril. Ce n'est même que parce quel'auteur espère que le lecteur sous-entend qu'il pardonnera à ses héros fripons, qu'ilse trahit lui-même et s'appuie sur le bien pour faire passer la description du mal. C'estau nom de ces mêmes vertus que Frank a méconnues, que nous voulons bien le supporter, ôsaltimbanques des malaises incurables.

33 Ne faites pas comme ces explorateurs sans pudeur, magnifiques, à leurs yeux, demélancolie, qui trouvent des choses inconnues dans leur esprit et dans leur corps!

34 La mélancolie et la tristesse sont déjà le commencement du doute; le doute est lecommencement du désespoir; le désespoir est le commencement cruel des différentsdegrés de la méchanceté. Pour vous en convaincre, lisez la Confession d'un enfant dusiècle. La pente est fatale, une fois qu'on s'y engage. Il est certain qu'on arrive à laméchanceté. Méfiez-vous de la pente. Extirpez le mal par la racine. Ne flattez pas leculte d'adjectifs tels que indescriptible, inénarrable, rutilant, incomparable, colossal,qui mentent sans vergogne aux substantifs qu'ils défigurent: ils sont poursuivis par lalubricité.

35 Les intelligences de deuxième ordre, comme Alfred de Musset, peuvent pousserrétivement une ou deux de leurs facultés beaucoup plus loin que les facultéscorrespondantes des intelligences de premier ordre, Lamartine, Hugo. Mous sommes enprésence du déraillement d'une locomotive surmenée. C'est un cauchemar qui tient laplume. Apprenez que l'âme se compose d'une vingtaine de facultés. Parlez-moi de sesmendiants qui ont un chapeau grandiose, avec des haillons sordides!

36 Voici un moyen de constater l'infériorité de Musset sous les deux poètes. Lisez,devant une jeune fille, Rolla ou les Nuits, les Fous de Cobb, sinon les portraits deGwynplaine et de Dea, ou le Récit de Théramène d'Euripide, traduit en vers françaispar Racine le père. Elle tressaille, fronce les sourcils, lève et abaisse les mains,sans but déterminé, comme un homme qui se noie; les yeux jetteront des lueursverdâtres. Lisez-lui la Prière pour tous, de Victor Hugo. Les effets sontdiamétralement opposés. Le genre d'électricité n'est plus le même. Elle rit auxéclats, elle en demande davantage.

37 De Hugo, il ne restera que les poésies sur les enfants, où se trouve beaucoup demauvais.

38 Paul et Virginie choque nos aspirations les plus profondes au bonheur. Autrefois,cet épisode qui broie du noir de la première à la dernière page, surtout le naufragefinal, me faisait grincer des dents. Je me roulais sur le tapis et donnais des coups depied à mon cheval en bois. La description de la douleur est un contre-sens. Il faut fairevoir tout en beau. Si cette histoire était racontée dans une simple biographie, je nel'attaquerais point. Elle change tout de suite de caractère. Le malheur devient augustepar la volonté impénétrable de Dieu qui le créa. Mais l'homme ne doit pas créer lemalheur dans ces livres. C'est ne vouloir, à toutes forces, considérer qu'un seul côtédes choses. O hurleurs maniaques que vous êtes!

39 Ne reniez pas l'immortalité de l'âme, la sagesse de Dieu, la grandeur de la vie,l'ordre qui se manifeste dans l'univers, la beauté corporelle, l'amour de la famille, lemariage, les institutions sociales. Laissez de côté les écrivassiers funestes: Sand,Balzac, Alexandre Dumas, Musset, Du Terrail, Féval, Flaubert, Baudelaire, Leconte et laGrève des Forgerons!

40 Ne transmettez à ceux qui vous lisent que l'expérience qui se dégage de ladouleur, et qui n'est plus la douleur elle-même. Ne pleurez pas en public.

41 Il faut savoir arracher des beautés littéraires jusque dans le sein de la mort;mais ces beautés n'appartiendront pas à la mort. La mort n'est ici que la causeoccasionnelle. Ce n'est pas le moyen, c'est le but, qui n'est pas elle.

42 Les vérités immuables et nécessaires, qui font la gloire des nations, et que ledoute s'efforce en vain d'ébranler, ont commencé depuis les âges. Ce sont des chosesauxquelles on ne devrait pas toucher. Ceux qui veulent faire de l'anarchie enlittérature, sous prétexte de nouveau, tombent dans le contre-sens. On n'ose pasattaquer Dieu; on attaque l'immortalité de l'âme. Mais, l'immortalité de l'âme, elleaussi, est vieille comme les assises du monde. Quelle autre croyance la remplacera, sielle doit être remplacée? Ce ne sera pas toujours une négation.

43 Si l'on se rappelle la vérité d'où découlent toutes les autres, la bontéabsolue de Dieu et son ignorance absolue du mal, les sophismes s'effondrerontd'eux-mêmes. S'effondrera, dans un temps pareil, la littérature peu poétique qui s'estappuyée sur eux. Toute littérature qui discute les axiomes éternels est condamnée àne vivre que d'elle-même. Elle est injuste. Elle se dévore le foie. Les novissima Verbafont sourire superbement les gosses sans mouchoir de la quatrième. Nous n'avons pas ledroit d'interroger le Créateur sur quoi que ce soit.

44 Si vous êtes malheureux, il ne faut pas le dire au lecteur. Gardez cela pour vous.

45 Si on corrigeait les sophismes dans le sens des vérités correspondantes à cessophismes, ce n'est que la correction qui serait vraie; tandis que la pièce ainsiremaniée, aurait le droit de ne plus s'intituler fausse. Le reste serait hors du vrai,avec trace de faux, par conséquent nul, et considéré, forcément, comme non avenu.

46 La poésie personnelle a fait son temps de jongleries relatives et de contorsionscontingentes. Reprenons le fil indestructible de la poésie impersonnelle, brusquementinterrompu depuis la naissance du philosophe manqué de Ferney, depuis l'avortement dugrand Voltaire.

47 Il paraît beau, sublime, sous prétexte d'humilité ou d'orgueil, de discuter lescauses finales, d'en fausser les conséquences stables et connues. Détrompez-vous, parcequ'il n'y a rien de plus bête! Renouons la chaîne régulière avec les temps passés; lapoésie est la géométrie par excellence. Depuis Racine, la poésie n'a pas progresséd'un millimètre. Elle a reculé. Grâce à qui ? aux Grandes-Têtes-Molles de notreépoque. Grâce aux femmelettes, Châteaubriand, le Mohican-Mélancolique; Sénancourt,l'Homme-en-Jupon; Jean-Jacques Rousseau, le Socialiste-Grincheur; Anne Radcliffe, leSpectre-Toqué; Edgar Poë, le Mameluck-des-Rêves-d'Alcool; Mathurin, leCompère-des-Ténèbres; Georges Sand, l'Hermaphrodite-Circoncis; Théophile Gautier,l'Incomparable-Epicier; Leconte, le Captif-du-Diable; Goethe, le Suicidé-pour-Pleurer;Saint-Beuve, le Suicidé-pour-Rire; Lamartine, la Cigogne-Larmoyante; Lermontoff, leTigre-qui-Rugit; Victor Hugo, le Funèbre-Echalas-Vert; Misçkiéwicz,l'Imitateur-de-Satan; Musset, le Gandin-Sans-Chemise-Intellectuelle; et Byron,l'Hippopotame-des-Jungles-Infernales.

48 Le doute a existé de tout temps en minorité. Dans ce siècle, il est en majorité.Nous respirons la violation du devoir par les pores. Cela ne s'est vu qu'une fois; cela nese reverra plus.

49 Les notions de la simple raison sont tellement obscurcies à l'heure qu'il est, que,la première chose que font les professeurs de quatrième, quand ils apprennent à fairedes vers latins à leurs élèves, jeunes poètes dont la lèvre est humectée du laitmaternel, c'est de leur dévoiler par la pratique le nom d'Alfred de Musset. Je vousdemande un peu, beaucoup! Les professeurs de troisième, donc, donnent, dans leur classesà traduire, en vers grecs, deux sanglants épisodes. Le premier, c'est la repoussantecomparaison du pélican. Le deuxième, sera l'épouvantable catastrophe arrivée à unlaboureur. A quoi bon regarder le mal? N'est-il pas en minorité? Pourquoi pencher latête d'un lycéen sur des questions qui, faute de n'avoir pas été comprises, ont faitperdre la leur à des hommes tels que Pascal et Byron?

50 Un élève m'a raconté que son professeur de seconde avait donné à sa classe,jour par jour, ces deux charognes à traduire en vers hébreux. Ces plaies de la natureanimale et humaine le rendirent malade pendant un mois, qu'il passa à l'infirmerie. Commenous nous connaissions, il me fit demander par sa mère. Il me raconta, quoique avecnaïveté, que ses nuits étaient troublées par des rêves de persistance. Il croyaitvoir une armée de pélicans qui s'abattaient sur sa poitrine, et la lui déchiraient. Ilss'envolaient ensuite vers une chaumière en flammes. Ils mangeaient la femme du laboureuret ses enfants. Le corps noirci de brûlures, le laboureur sortait de la maison, engageaitavec les pélicans un combat atroce. Le tout se précipitait dans la chaumière, quiretombait en éboulements. De la masse soulevée des décombres - cela ne ratait jamais -il voyait sortir son professeur de seconde, tenant d'une main son coeur, de l'autre unefeuille de papier où l'on déchiffrait, en traits de soufre, la comparaison du pélicanet celle du laboureur, telles que Musset lui-même les a composées. Il ne fut pas facile,au premier abord, de pronostiquer son genre de maladie. Je lui recommandai de se tairesoigneusement, et de n'en parler à personne, surtout à son professeur de seconde. Jeconseillai à sa mère de le prendre quelques jours chez elle, en assurant que cela sepasserait. En effet, j'avais soin d'arriver chaque jour pendant quelque heures, et cela sepassa.

51 Il faut que la critique attaque la forme, jamais le fond de vos idées, de vosphrases. Arrangez-vous.

52 Les sentiments sont la forme de raisonnement la plus incomplète qui se puisseimaginer.

53 Toute l'eau de la mer ne suffirait pas à laver une tache de sang intellectuelle.

 

Accueil du site Toute La Poésie