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Poésies 2 - Lautréamont


Epigraph: Je remplace la mélancolie par le courage, le doute par la certitude, ledésespoir par l'espoir, la méchanceté par le bien, les plaintes par le devoir, lescepticisme par la foi, les sophismes par la froideur du calme et l'orgueil par lamodestie. sont dédiés, une fois pour toutes les autres, les prosaïques morceaux quej'écrirai dans la suite des âges, et dont le premier commence à voir le jour d'hui,typographiquement parlant.
1 Les gémissements poétiques de ce siècle ne sont que des sophismes.
2 Les premiers principes doivent être hors de discussion.
3 J'accepte Euripide et Sophocle; mais je n'accepte pas Eschyle.
4 Ne faites pas preuve de manque des convenances les plus élémentaires et de mauvaisgoût envers le créateur.
5 Repoussez l'incrédulité: vous me ferez plaisir.
6 Il n'existe pas deux genres de poésies; il n'en est qu'une.
7 Il existe une convention peu tacite entre l'auteur et le lecteur, par laquelle lepremier s'intitule malade, et accepte le second comme garde-malade. C'est le poète quiconsole l'humanité! Les roles sont intervertis arbitrairement.
8 Je ne veux pas être flétri de la qualification de poseur.
9 Je ne laisserai pas des Mémoires.
10 La poésie n'est pas la tempête, pas plus que le cyclone. C'est un fleuve majestueuxet fertile.
11 Ce n'est qu'en admettant la nuit physiquement, qu'on est parvenu à la faire passermoralement. O Nuits d'Young! vous m'avez causé beaucoup de migraines!
12 On ne rêve que lorsque l'on dort. Ce sont des mots comme celui de rêve, néant de lavie, passage terrestre, la préposition peut-être, le trépied désordonné, qui ontinfiltré dans vos âmes cette poésie moite des langueurs, pareille à de la pourriture.Passer des mots aux idées, il n'y a qu'un pas.
13 Les perturbations, les anxiétés, les dépravations, la mort, les exceptions dansl'ordre physique ou moral, l'esprit de négation, les abrutissements, les hallucinationsservies par la volonté, les tourments, la destruction, les renversements, les larmes, lesinsatiabilités, les asservissements, les imaginations creusantes, les romans, ce qui estinattendu, ce qu'il ne faut pas faire, les singularités chimiques de vautour mystérieuxqui guette la charogne de quelque illusion morte, les expériences précoces et avortées,les obscurités à carapace de punaise, la monomanie terrible de l'orgueil, l'inoculationdes stupeurs profondes, les oraisons funèbres, les envies, les trahisons, les tyrannies,les impiétés, les irritations, les acrimonies, les incartades agressives, la démence,le splëen, les épouvantements raisonnés, les inquiétudes étranges, que le lecteurpréférerait ne pas éprouver, les grimaces, les névroses, les filières sanglantes parlesquelles on fait passer la logique aux abois, les exagérations, l'absence desincérité, les scies, les platitudes, le sombre, le lugubre, les enfantements pires queles meurtres, les passions, le clan des romanciers de cours d'assises, les tragédies, lesodes, les mélodrames, les extrêmes présentés à perpetuité, la raison impunémentsifflée, les odeurs de poule mouillée, les affadissements, les grenouilles, les poulpes,les requins, le simoun des déserts, ce qui est somnambule, louche, nocturne, somnifère,noctambule, visqueux, phoque parlant, équivoque, poitrinaire, spasmodique, aphrodisiaque,anémique, borgne, hermaphrodite, bâtard, albinos, pédéraste, phénomène d'aquarium etfemme à barbe, les heures soûles du découragement taciturne, les fantaisies, lesâcretés, les monstres, les syllogismes démoralisateurs,les ordures, ce qui neréflêchit pas comme l'enfant, la désolation, ce mancenillier intellectuel, les chancresparfumés, les cuisses aux camélias, la culpabilité d'un écrivain qui roule sur lapente du néant et se méprise lui-même avec des cris joyeux, les remords, leshypocrisies, les perspectives vagues qui vous broient dans leurs engrenagesimperceptibles, les crachats sérieux sur les axiômes sacrés, la vermine et seschatouillements insinuants, les préfaces insensées, comme celles de Cromwell, de Mlle deMaupin et de Dumas fils, les caducités, les impuissances, les blasphêmes, les asphyxies,les étouffements, les rages, - devant ces charniers immondes, que je rougis de nommer, ilest temps de réagir enfin contre ce qui nous choque et nous courbe si souverainement.
14 Votre esprit est entraîné perpétuellement hors de ses gonds, et surpris dans lepiège de ténèbres construit avec un art grossier par l'égoïsme et l'amour-propre.
15 Le goût est la qualité fondamentale qui résume toutes les autres qualités. C'est lenec plus ultrà de l'intelligence. Ce n'est que par lui seul que le génie est la santésuprême et l'équilibre de toutes les facultés. Villemain est trente-quatre fois plusintelligent qu'Eugène Sue et Frédéric Soulié. Sa préface du Dictionnaire del'Académie verra la mort des romans de Walter Scott, de Fenimore Cooper, de tous lesromans possibles et imaginables. Le roman est un genre faux, parce qu'il décrit lespassions pour elles-mêmes: la conclusion morale est absente. Décrire les passions n'estrien; il suffit de naître un peu chacal, un peu vautour, un peu panthère. Nous n'ytenons pas. Les décrire, pour les soumettre à une haute moralité, comme Corneille, estautre chose. Celui qui s'abstiendra de faire la première chose, tout en restant capabled'admirer et de comprendre ceux à qui il est donné de faire la deuxième, surpasse, detoute la supériorité des vertus sur les vices, celui qui fait la première.
16 Par cela seul qu'un professeur de seconde se dit: "Quand on me donnerait tous lestrésors de l'univers, je ne voudrais pas avoir fait des romans pareils à ceux de Balzacet d'Alexandre Dumas," par cela seul, il est plus intelligent qu'Alexandre Dumas etBalzac. Par cela seul qu'un élève de troisième s'est pénétré qu'il ne faut paschanter les difformités physiques et intellectuelles, par cela seul, il est plus fort,plus capable, plus intelligent que Victor Hugo, s'il n'avait fait que des romans, desdrames et des lettres.
17 Alexandre Dumas fils ne fera jamais, au grand jamais, un discours de distribution desprix pour un lycée. Il ne connaît pas ce que c'est que la morale. Elle ne transige pas.S'il le faisait, il devrait auparavant biffer d'un trait de plume tout ce qu'il a écritjusqu'ici, en commençant par ses Préfaces absurdes. Réunissez un jury d'hommescompétents: je soutiens qu'un bon élève de seconde est plus fort que lui dans n'importequoi, [même dans la] même dans la sale question des courtisanes.
18 Les chefs-d'oeuvre de la langue française sont les discours de distribution pour leslycées, et les discours académiques. En effet, l'instruction de la jeunesse estpeut-être la plus belle expression pratique du devoir, et une bonne appréciation desouvrages de Voltaire (creusez le mot appréciation) est préférable à ces ouvrageseux-mêmes. - Naturellement!
19 Les meilleurs auteurs de romans et de drames dénatureraient à la longue la fameuseidée du bien, si les corps enseignants, conservatoires du juste, ne retenaient lesgénérations jeunes et vieilles dans la voie de l'honnêteté et du travail.
20 En son nom personnel, malgré elle, il le faut, je viens renier, avec une volontéindomptable, et une ténacité de fer, le passé hideux de l'humanité pleurarde. Oui: jeveux proclamer le beau sur une lyre d'or, défalcation faite des tristesses goîtreuses etdes fiertés stupides qui décomposent, à sa source, la poésie marécageuse de cesiècle. C'est avec les pieds que je foulerai les stances aigres du scepticisme, qui n'ontpas leur motif d'être. Le jugement, une fois entré dans l'efflorescence de son énergie,impérieux et résolu, sans balancer une seconde dans les incertitudes dérisoires d'unepitié mal placée, comme un procureur général, fatidiquement, les condamne. Il fautveiller sans relache sur les insomnies purulentes et les cauchemars atrabilaires. Jeméprise et j'exècre l'orgueil, et les voluptés infâmes d'une ironie, faite éteignoir,qui déplace la justesse de la pensée.
21 Quelques caractères, excessivement intelligents, il n'y a pas lieu que vousl'infirmiez par des palinodies d'un goût douteux, se sont jetés, à tête perdue, dansles bras du mal. C'est l'absinthe, savoureuse, je ne le crois pas, mais, nuisible, qui tuamoralement l'auteur de Rolla. Malheur à ceux qui sont gourmands! A peine est-il entrédans l'âge mûr, l'aristocrate anglais, que sa harpe se brise sous les murs deMissolonghi, après n'avoir cueilli sur son passage que les fleurs qui couvent l'opium desmornes anéantissements.
22 Quoique plus grand que les génies ordinaires, s'il s'était trouvé de son temps unautre poète, doué, comme lui, à doses semblables, d'une intelligence exceptionnelle, etcapable de se présenter comme son rival, il aurait avoué, le premier, l'inutilité deses efforts pour produire des malédictions disparates; et que, le bien exclusif est,seul, déclaré digne, de par la voix de tous les mondes, de s'approprier notre estime. Lefait fut qu'il n'y eut personne pour le combattre avec avantage. Voilà ce qu'aucun n'adit. Chose étrange! même en feuilletant les recueils et les livres de son époque, aucuncritique n'a songé à mettre en relief le rigoureux syllogisme qui précède. Et ce n'estque celui qui le surpassera qui peut l'avoir inventé. Tant on était rempli de stupeur etd'inquiétude, plutôt que d'admiration réfléchie, devant des ouvrages écrits d'unemain perfide, mais qui révélaient, cependant, les manifestations imposantes d'une âmequi n'appartient pas au vulgaire des hommes, et qui se trouvait à son aise dans lesconséquences dernières d'un des deux moins obscurs problèmes qui intéressent lescoeurs non-solitaires: le bien, le mal. Il n'est pas donné à quiconque d'aborder lesextrêmes, soit dans un sens, soit dans un autre. C'est ce qui explique pourquoi, tout enlouant, sans arrière-pensée, l'intelligence merveilleuse dont il dénote à chaqueinstant la preuve, lui, un des quatre ou cinq phares de l'humanité, l'on fait, ensilence, ses nombreuses réserves sur les applications et l'emploi injustifiables qu'il ena faits sciemment. Il n'aurait pas dû parcourir les domaines sataniques.
23 La révolte féroce des Troppmann, des Napoléon Ier, des Papavoine, des Byron, desVictor Noir et des Charlotte Corday sera contenue à distance de mon regard sévère. Cesgrands criminels, à des titres si divers, je les écarte d'un geste. Qui croit-on tromperici, je le demande avec une lenteur qui s'interpose? O dadas de bagne! Bulles de savon!Pantins en baudruche! Ficelles usées! Qu'ils s'approchent, les Konrad, les Manfred, lesLara, les marins qui ressemble au Corsaire, les Méphistophélès, les Werther, les DonJuan, les Faust, les Iago, les Rodin, les Caligula, les Caïn, les Iridion, les mégèresà l'instar de Colomba, les Ahrimane, les manitous manichéens, barbouillés de cervelle,qui cuvent le sang de leurs victimes dans les pagodes sacrées de l'Hindoustan, leserpent, le crapaud et le crocodile, divinités, considérées comme anormales, del'antique Egypte, les sorciers et les puissances démoniaques du moyen âge, lesProméthée, les Titans de la mythologie foudroyés par Jupiter, les Dieux Méchants vomispar l'imagination primitive des peuples barbares, - toute la série bruyante des diablesen carton. Avec la certitude de les vaincre, je saisis la cravache de l'indignation et dela concentration qui soupèse, et j'attends ces monstres de pied ferme, comme leurdompteur prévu.
24 Il y a des écrivains ravalés, dangereux loustics, farceurs au quarteron, sombremystificateurs, véritables aliénés, qui mériteraient de peupler Bicêtre. Leurs têtescrétinisantes, d'où une tuile a été enlevée, créent des fantômes gigantesques, quidescendent au lieu de monter. Exercice scabreux; gymnastique spécieuse. Passez donc,grotesque muscade. S'il vous plaît, retirez-vous de ma présence, fabricateurs à ladouzaine, de rébus défendus, dans lesquels je n'apercevais pas auparavant, du premiercoup, comme aujourd'hui, le joint de la solution frivole. Cas pathologique d'un égoïsmeformidable. Automates fantastiques: indiquez-vous du doigt, l'un à l'autre, mes enfants,l'épithète qui les remet à leur place.
25 S'ils existaient, sous la réalité plastique, quelque part, ils seraient, malgré leurintelligence avérée, mais fourbe, l'opprobre, le fiel, des planètes qu'ils habiteraientla honte. Figurez-vous-les, un instant, réunis en société avec des substances quiseraient leurs semblables. C'est une succession non interrompue de combats, dont nerêveront pas les boule-dogues, interdits en France, les requins et lesmacrocéphales-cachelots. Ce sont des torrents de sang, dans ces régions chaotiquespleines d'hydres et de minotaures, et d'où la colombe, effarrée sans retour, s'enfuit àtire-d'aile. C'est un entassement de bêtes apocalyptiques, qui n'ignorent pas ce qu'ellesfont. Ce sont des chocs de passions, d'irréconciliabilités et d'ambitions, à traversles hurlements d'un orgueil qui ne se laisse pas lire, se contient, et dont personne nepeut, même approximativement, sonder les écueils et les bas-fonds.
26 Mais, ils ne m'en imposeront plus. Souffrir est une faiblesse, lorsqu'on peut s'enempêcher et faire quelque chose de mieux. Exhaler les souffrances d'une splendeur nonéquilibrée, c'est prouver, ô moribonds des maremmes perverses! moins de résistance etde courage, encore. Avec ma voix et ma solennité des grands jours, je te rappelle dansmes foyers déserts, glorieux espoir. Viens t'asseoir à mes côtés, enveloppé dumanteau des illusions, sur le trépied raisonnable des apaisements. Comme un meuble derebut, je t'ai chassé de ma demeure, avec un fouet aux cordes de scorpions. Si tusouhaites que je sois persuadé que tu as oublié, en revenant chez moi, les chagrins que,sous l'indice des repentirs, je t'ai causé autrefois, crebleu, ramène alors avec toi,cortège sublime, - soutenez-moi, je m'évanouis! - les vertus offensées, et leursimpérissables redressements.
27 Je constate, avec amertume, qu'il ne reste plus que quelques gouttes de sang dans lesartères de nos époques phtisiques. Depuis les pleurnicheries odieuses et spéciales,brevetées sans garantie d'un point de repère, des Jean-Jacques Rousseau, desChâteaubriand et des nourrices en pantalon aux poupons Obermann, à travers les autrespoètes qui se sont vautrés dans le limon impur, jusqu'au songe de Jean-Paul, le suicidede Dolorès de Veintemilla, le Corbeau d'Allan, la Comédie Infernale du Polonais, lesyeux sanguinaires de Zorilla, et l'immortel cancer, Une Charogne, que peignit autrefois,avec amour, l'amant morbide de la Vénus hottentote, les douleurs invraisemblables que cesiècle s'est créées à lui-même, dans leur voulu monotone et dégoûtant, l'ont rendupoitrinaire. Larves absorbantes dans leurs engourdissements insupportables!
28 Allez, la musique.
29 Oui, bonnes gens, c'est moi qui vous ordonne de brûler, sur une pelle, rougie au feu,avec un peu de sucre jaune, le canard du doute, aux lèvres de vermouth, qui, répandant,dans une lutte mélancolique entre le bien et le mal, des larmes qui ne viennent pas ducoeur, sans machine pneumatique, fait, partout, le vide universel. C'est ce que vous avezde mieux à faire.
30 Le désespoir, se nourrissant avec un parti pris, de ses fantasmagories, conduitimperturbablement le littérateur à l'abrogation en masse des lois divines et sociales,et à la méchanceté théorique et pratique. En un mot, fait prédominer le derrièrehumain dans les raisonnements. Allez, et passez-moi le mot! L'on devient méchant, je lerépète, et les yeux prennent la teinte des condamnés à mort. Je ne retirerai pas ceque j'avance. Je veux que ma poésie puisse être lue par une jeune fille de quatorze ans.
31 La vraie douleur est incompatible avec l'espoir. Pour si grande que soit cette douleur,l'espoir, de cent coudées, s'élève plus haut encore. Donc, laissez-moi tranquille avecles chercheurs. A bas, les pattes, à bas, chiennes cocasses, faiseurs d'embarras,poseurs! Ce qui souffre, ce qui disseque les mystères qui nous entourent, n'espère pas.La poésie qui discute les vérités nécessaires est moins belle que celle qui ne lesdiscute pas. Indécisions à outrance, talent mal employé, perte de temps: rien ne seraplus facile à vérifier.
32 Chanter Adamastor, Jocelyn, Rocambole, c'est puéril. Ce n'est même que parce quel'auteur espère que le lecteur sous-entend qu'il pardonnera à ses héros fripons, qu'ilse trahit lui-même et s'appuie sur le bien pour faire passer la description du mal. C'estau nom de ces mêmes vertus que Frank a méconnues, que nous voulons bien le supporter, ôsaltimbanques des malaises incurables.
33 Ne faites pas comme ces explorateurs sans pudeur, magnifiques, à leurs yeux, demélancolie, qui trouvent des choses inconnues dans leur esprit et dans leur corps!
34 La mélancolie et la tristesse sont déjà le commencement du doute; le doute est lecommencement du désespoir; le désespoir est le commencement cruel des différentsdegrés de la méchanceté. Pour vous en convaincre, lisez la Confession d'un enfant dusiècle. La pente est fatale, une fois qu'on s'y engage. Il est certain qu'on arrive à laméchanceté. Méfiez-vous de la pente. Extirpez le mal par la racine. Ne flattez pas leculte d'adjectifs tels que indescriptible, inénarrable, rutilant, incomparable, colossal,qui mentent sans vergogne aux substantifs qu'ils défigurent: ils sont poursuivis par lalubricité.
35 Les intelligences de deuxième ordre, comme Alfred de Musset, peuvent pousserrétivement une ou deux de leurs facultés beaucoup plus loin que les facultéscorrespondantes des intelligences de premier ordre, Lamartine, Hugo. Mous sommes enprésence du déraillement d'une locomotive surmenée. C'est un cauchemar qui tient laplume. Apprenez que l'âme se compose d'une vingtaine de facultés. Parlez-moi de sesmendiants qui ont un chapeau grandiose, avec des haillons sordides!
36 Voici un moyen de constater l'infériorité de Musset sous les deux poètes. Lisez,devant une jeune fille, Rolla ou les Nuits, les Fous de Cobb, sinon les portraits deGwynplaine et de Dea, ou le Récit de Théramène d'Euripide, traduit en vers françaispar Racine le père. Elle tressaille, fronce les sourcils, lève et abaisse les mains,sans but déterminé, comme un homme qui se noie; les yeux jetteront des lueursverdâtres. Lisez-lui la Prière pour tous, de Victor Hugo. Les effets sontdiamétralement opposés. Le genre d'électricité n'est plus le même. Elle rit auxéclats, elle en demande davantage.
37 De Hugo, il ne restera que les poésies sur les enfants, où se trouve beaucoup demauvais.
38 Paul et Virginie choque nos aspirations les plus profondes au bonheur. Autrefois, cetépisode qui broie du noir de la première à la dernière page, surtout le naufragefinal, me faisait grincer des dents. Je me roulais sur le tapis et donnais des coups depied à mon cheval en bois. La description de la douleur est un contre-sens. Il faut fairevoir tout en beau. Si cette histoire était racontée dans une simple biographie, je nel'attaquerais point. Elle change tout de suite de caractère. Le malheur devient augustepar la volonté impénétrable de Dieu qui le créa. Mais l'homme ne doit pas créer lemalheur dans ces livres. C'est ne vouloir, à toutes forces, considérer qu'un seul côtédes choses. O hurleurs maniaques que vous êtes!
39 Ne reniez pas l'immortalité de l'âme, la sagesse de Dieu, la grandeur de la vie,l'ordre qui se manifeste dans l'univers, la beauté corporelle, l'amour de la famille, lemariage, les institutions sociales. Laissez de côté les écrivassiers funestes: Sand,Balzac, Alexandre Dumas, Musset, Du Terrail, Féval, Flaubert, Baudelaire, Leconte et laGrève des Forgerons!
40 Ne transmettez à ceux qui vous lisent que l'expérience qui se dégage de la douleur,et qui n'est plus la douleur elle-même. Ne pleurez pas en public.
41 Il faut savoir arracher des beautés littéraires jusque dans le sein de la mort; maisces beautés n'appartiendront pas à la mort. La mort n'est ici que la causeoccasionnelle. Ce n'est pas le moyen, c'est le but, qui n'est pas elle.
42 Les vérités immuables et nécessaires, qui font la gloire des nations, et que ledoute s'efforce en vain d'ébranler, ont commencé depuis les âges. Ce sont des chosesauxquelles on ne devrait pas toucher. Ceux qui veulent faire de l'anarchie enlittérature, sous prétexte de nouveau, tombent dans le contre-sens. On n'ose pasattaquer Dieu; on attaque l'immortalité de l'âme. Mais, l'immortalité de l'âme, elleaussi, est vieille comme les assises du monde. Quelle autre croyance la remplacera, sielle doit être remplacée? Ce ne sera pas toujours une négation.
43 Si l'on se rappelle la vérité d'où découlent toutes les autres, la bonté absoluede Dieu et son ignorance absolue du mal, les sophismes s'effondreront d'eux-mêmes.S'effondrera, dans un temps pareil, la littérature peu poétique qui s'est appuyée sureux. Toute littérature qui discute les axiomes éternels est condamnée à ne vivre qued'elle-même. Elle est injuste. Elle se dévore le foie. Les novissima Verba font souriresuperbement les gosses sans mouchoir de la quatrième. Nous n'avons pas le droitd'interroger le Créateur sur quoi que ce soit.
44 Si vous êtes malheureux, il ne faut pas le dire au lecteur. Gardez cela pour vous.
45 Si on corrigeait les sophismes dans le sens des vérités correspondantes à cessophismes, ce n'est que la correction qui serait vraie; tandis que la pièce ainsiremaniée, aurait le droit de ne plus s'intituler fausse. Le reste serait hors du vrai,avec trace de faux, par conséquent nul, et considéré, forcément, comme non avenu.
46 La poésie personnelle a fait son temps de jongleries relatives et de contorsionscontingentes. Reprenons le fil indestructible de la poésie impersonnelle, brusquementinterrompu depuis la naissance du philosophe manqué de Ferney, depuis l'avortement dugrand Voltaire.
47 Il paraît beau, sublime, sous prétexte d'humilité ou d'orgueil, de discuter lescauses finales, d'en fausser les conséquences stables et connues. Détrompez-vous, parcequ'il n'y a rien de plus bête! Renouons la chaîne régulière avec les temps passés; lapoésie est la géométrie par excellence. Depuis Racine, la poésie n'a pas progresséd'un millimètre. Elle a reculé. Grâce à qui ? aux Grandes-Têtes-Molles de notreépoque. Grâce aux femmelettes, Châteaubriand, le Mohican-Mélancolique; Sénancourt,l'Homme-en-Jupon; Jean-Jacques Rousseau, le Socialiste-Grincheur; Anne Radcliffe, leSpectre-Toqué; Edgar Poë, le Mameluck-des-Rêves-d'Alcool; Mathurin, leCompère-des-Ténèbres; Georges Sand, l'Hermaphrodite-Circoncis; Théophile Gautier,l'Incomparable-Epicier; Leconte, le Captif-du-Diable; Goethe, le Suicidé-pour-Pleurer;Saint-Beuve, le Suicidé-pour-Rire; Lamartine, la Cigogne-Larmoyante; Lermontoff, leTigre-qui-Rugit; Victor Hugo, le Funèbre-Echalas-Vert; Misçkiéwicz,l'Imitateur-de-Satan; Musset, le Gandin-Sans-Chemise-Intellectuelle; et Byron,l'Hippopotame-des-Jungles-Infernales.
48 Le doute a existé de tout temps en minorité. Dans ce siècle, il est en majorité.Nous respirons la violation du devoir par les pores. Cela ne s'est vu qu'une fois; cela nese reverra plus.
49 Les notions de la simple raison sont tellement obscurcies à l'heure qu'il est, que, lapremière chose que font les professeurs de quatrième, quand ils apprennent à faire desvers latins à leurs élèves, jeunes poètes dont la lèvre est humectée du laitmaternel, c'est de leur dévoiler par la pratique le nom d'Alfred de Musset. Je vousdemande un peu, beaucoup! Les professeurs de troisième, donc, donnent, dans leur classesà traduire, en vers grecs, deux sanglants épisodes. Le premier, c'est la repoussantecomparaison du pélican. Le deuxième, sera l'épouvantable catastrophe arrivée à unlaboureur. A quoi bon regarder le mal? N'est-il pas en minorité? Pourquoi pencher latête d'un lycéen sur des questions qui, faute de n'avoir pas été comprises, ont faitperdre la leur à des hommes tels que Pascal et Byron?
50 Un élève m'a raconté que son professeur de seconde avait donné à sa classe, jourpar jour, ces deux charognes à traduire en vers hébreux. Ces plaies de la nature animaleet humaine le rendirent malade pendant un mois, qu'il passa à l'infirmerie. Comme nousnous connaissions, il me fit demander par sa mère. Il me raconta, quoique avec naïveté,que ses nuits étaient troublées par des rêves de persistance. Il croyait voir unearmée de pélicans qui s'abattaient sur sa poitrine, et la lui déchiraient. Ilss'envolaient ensuite vers une chaumière en flammes. Ils mangeaient la femme du laboureuret ses enfants. Le corps noirci de brûlures, le laboureur sortait de la maison, engageaitavec les pélicans un combat atroce. Le tout se précipitait dans la chaumière, quiretombait en éboulements. De la masse soulevée des décombres - cela ne ratait jamais -il voyait sortir son professeur de seconde, tenant d'une main son coeur, de l'autre unefeuille de papier où l'on déchiffrait, en traits de soufre, la comparaison du pélicanet celle du laboureur, telles que Musset lui-même les a composées. Il ne fut pas facile,au premier abord, de pronostiquer son genre de maladie. Je lui recommandai de se tairesoigneusement, et de n'en parler à personne, surtout à son professeur de seconde. Jeconseillai à sa mère de le prendre quelques jours chez elle, en assurant que cela sepasserait. En effet, j'avais soin d'arriver chaque jour pendant quelque heures, et cela sepassa.
51 Il faut que la critique attaque la forme, jamais le fond de vos idées, de vos phrases.Arrangez-vous.
52 Les sentiments sont la forme de raisonnement la plus incomplète qui se puisseimaginer.
53 Toute l'eau de la mer ne suffirait pas à laver une tache de sang intellectuelle.
54 Comme les turpitudes du roman s'accroupissent aux étalages! Pour un homme qui se perd,comme un autre pour une pièce de cent sous, il semble parfois qu'on tuerait un livre.
55 Lamartine a cru que la chute d'un ange deviendrait l'Elévation d'un Homme. Il a eutort de le croire.
56 Pour faire servir le mal à la cause du bien, je dirai que l'intention du premier estmauvaise.
57 Une vérité banale renferme plus de génie que les ouvrages de Dickens, de GustaveAymard, de Victor Hugo, de Landelle. Avec les derniers, un enfant, survivant à l'univers,ne pourrait pas reconstruire l'âme humaine. Avec la première, il le pourrait. Je supposequ'il ne découvrit pas tôt ou tard la définition du sophisme.
58 Les mots qui expriment le mal sont destinés à prendre une signification d'utilité.Les idées s'améliorent. Le sens des mots y participe.
59 Le plagiat est nécessaire. Le progrès l'implique. Il serre de près la phrase d'unauteur, se sert de ses expressions, efface une idée fausse, la remplace par l'idéejuste.
60 Une maxime, pour être bien faite, ne demande pas à être corrigée. Elle demande àêtre développée.
61 Dès que l'aurore a paru, les jeunes filles vont cueillir des roses. Un courantd'innocence parcourt les vallons, les capitales, secourt l'intelligence des poètes lesplus enthousiastes, laisse tomber des protections pour les berceaux, des couronnes pour lajeunesse, des croyances à l'immortalité pour les vieillards.
62 J'ai vu les hommes lasser les moralistes à découvrir leur coeur, faire répandre sureux la bénédiction d'en haut. Ils émettaient des méditations aussi vastes quepossibles, réjouissaient l'auteur de nos félicités. Ils respectaient l'enfance, lavieillesse, ce qui respire comme ce qui ne respire pas, rendaient hommage à la femme,consacraient à la pudeur les parties que le corps se réserve de nommer. Le firmament,dont j'admets la beauté, la terre, image de mon coeur, furent invoqués par moi, afin deme désigner un homme qui ne se crut pas bon. Le spectacle de se monstre, s'il eût étéréalisé, ne m'aurait pas fait mourir d'étonnement: on meurt à plus. Tout ceci se passede commentaires.
63 La raison, le sentiment se conseillent, se suppléent. Quiconque ne connaît qu'un desdeux, en renonçant à l'autre, se prive de la totalité des secours qui nous ont étéaccordés pour nous conduire. Vauvenargues a dit «se prive d'une partie des secours».
64 Quoique sa phrase, la mienne reposent sur les personnifications de l'âme dans lesentiment, la raison, celle que je choisirais au hasard ne serait pas meilleure quel'autre, si je les avait faites. L'une ne peut pas être rejetée par moi. L'autre a puêtre acceptée de Vauvenargues.
65 Lorsqu'un prédecesseur emploie au bien un mot qui appartient au mal, il est dangereuxque sa phrase subsiste à côté de l'autre. Il vaut mieux laisser au mot la significationdu mal. Pour employer au bien un mot qui appartient au mal, il faut en avoir le droit.Celui qui emploie au mal les mots qui appartiennent au bien ne le possède pas. Il n'estpas cru. Personne ne voudrait se servir de la cravate de Gérard de Nerval.
66 L'âme étant une, l'on peut introduire dans le discours la sensibilité,l'intelligence, la volonté, la raison, l'imagination, la mémoire.
67 J'avais passé beaucoup de temps dans l'étude des sciences abstraites. Le peu de gensavec qui on communique n'était pas fait pour m'en dégoûter. Quand j'ai commencél'étude de l'homme, j'ai vu que ces sciences lui sont propres, que je sortais moins de macondition en y pénétrant que les autres en les ignorant. Je leur ai pardonné de ne s'ypoint appliquer! Je ne crus pas trouver beaucoup de compagnons dans l'étude de l'homme.C'est celle qui lui est propre. J'ai été trompé. Il y en a plus qui l'étudient que lagéométrie.
68 Nous perdons la vie avec joie, pourvu qu'on n'en parle point.
69 Les passions diminuent avec l'âge. L'amour, qu'il ne faut pas classer parmi lespassions, diminue de même. Ce qu'il perd d'un côté, il le regagne de l'autre. Il n'estplus sévère pour l'objet de ses voeux, se rendant justice à lui-même: l'expansion estacceptée. Les sens n'ont plus leur aiguillon pour exciter les sexes de la chair. L'amourde l'humanité commence. Dans ces jours où l'homme sent qu'il devient un autel que parentses vertus, fait le compte de chaque douleur qui se releva, l'âme, dans un repli du coeuroù tout semble prendre naissance, sent quelque chose qui ne palpite plus. J'ai nommé lesouvenir.
70 L'écrivain, sans séparer l'une de l'autre, peut indiquer la loi qui régit chacune deses poésies.
71 Quelques philosophes sont plus intelligents que quelques poètes. Spinoza, Malebranche,Aristote, Platon, ne sont pas Hégésippe Moreau, Malfilatre, Gilbert, André Chénier.
72 Faust, Manfred, Konrad, sont des types. Ce ne sont pas encore des types raisonnants. Cesont déjà des types agitateurs.
73 Les descriptions sont une prairie, trois rhinocéros, la moitié d'un catafalque. Ellespeuvent être le souvenir, la prophétie. Elles ne sont pas le paragraphe que je suis surle point de terminer.
74 Le régulateur de l'âme n'est pas le régulateur d'une âme. Le régulateur d'une âmeest le régulateur de l'âme, lorsque ces deux espèces d'âmes sont assez confondues pourpouvoir affirmer qu'un régulateur n'est une régulatrice que dans l'imagination d'un fouqui plaisante.
75 Le phénomène passe. Je cherche les lois.
76 Il y a des hommes qui ne sont pas des types. Les types ne sont pas des hommes. Il nefaut pas se laisser dominer par l'accidentel.
77 Les jugements sur la poésie ont plus de valeur que la poésie. Ils sont la philosophiede la poésie. La philosophie, ainsi comprise, englobe la poésie. La poésie ne pourrapas se passer de la philosophie. La philosophie pourra se passer de la poésie.
78 Racine n'est pas capable de condenser ses tragédies dans des préceptes. Une tragédien'est pas un précepte. Pour un même esprit, un précepte est une action plusintelligente qu'une tragédie.
79 Mettez une plume d'oie dans la main d'un moraliste qui soit écrivain de premier ordre.Il sera supérieur aux poètes.
80 L'amour de la justice n'est, en la plupart des hommes, que le courage de souffrirl'injustice.
81 Cache-toi, guerre.
82 Les sentiments expriment le bonheur, font sourire. L'analyse des sentiments exprime lebonheur, toute personnalité mise à part; fait sourire. Les premiers élèvent l'âme,dependamment de l'espace, de la durée, jusqu'à la conception de l'humanité,considérée en elle-même, dans ses membres illustres. La dernière élève l'âme,indépendamment de la durée, de l'espace, jusqu'à la conception de l'humanité,considérée dans son expression la plus haute, la volonté! Les premiers s'occupent desvices, des vertus; la dernière ne s'occupe que des vertus. Les sentiments ne connaissentpas l'ordre de leur marche. L'analyse des sentiments apprend à le faire connaître,augmente la vigueur des sentiments. Avec les premiers, toute est incertitude. Ils sontl'expression du bonheur, de la douleur, deux extrêmes. Avec la dernière, toute estcertitude. Elle est l'expression de ce bonheur qui résulte, à un moment donné, desavoir se retenir, au milieu des passions bonnes ou mauvaises. Elle emploie son calme àfondre la description de ces passions dans un principe qui circule à travers les pages:la non-existence du mal. Les sentiments pleurent quand il le leur faut, comme quand il nele leur faut pas. L'analyse des sentiments ne pleure pas. Elle possède une sensibilitélatente, qui prend au dépourvu, emporte au-dessus des misères, apprend à se passer deguide, fournit une arme de combat. Les sentiments, marque de la faiblesse, ne sont pas lesentiment! L'analyse du sentiment, marque de la force, engendre les sentiments les plusmagnifiques que je connaisse. L'écrivain qui se laisse tromper par les sentiments ne doitpas être mis en ligne de compte avec l'écrivain qui ne se laisse tromper ni par lessentiments, ni par lui-même. La jeunesse se propose des élucubrations sentimentales.L'âge mûr commence à raisonner sans trouble. Il ne faisait que sentir, il pense. Illaissait vagabonder ses sensations: voici qu'il leur donne un pilote. Si je considèrel'humanité comme une femme, je ne développerai pas que sa jeunesse est à son déclin,que son âge mûr s'approche. Son esprit change dans le sens du mieux. L'idéal de sapoésie changera. Les tragédies, les poëmes, les élégies ne primeront plus. Primera lafroideur du maxime! Du temps de Quinault, l'on aurait été capable de comprendre ce queje viens de dire. Grâce à quelques lueurs, éparses, depuis quelques années, dans lesrevues, les in-folios, j'en suis capable moi-même. Le genre que j'entreprends est aussidifférent du genre des moralistes, qui ne font que constater le mal, sans indiquer leremède, que ce dernier ne l'est pas des mélodrames, des oraisons funèbres, de l'ode, dela stance religieuse. Il n'y a pas le sentiment des luttes.
83 Elohim est fait à l'image de l'homme.
84 Plusieurs choses certaines sont contredites. Plusieurs choses fausses sontincontredites. La contradiction est la marque de la fausseté. L'incontradiction est lamarque de la certitude.
85 Une philosophie pour les sciences existe. Il n'en existe pas pour la poésie. Je neconnais pas de moraliste qui soit poète de premier ordre. C'est étrange, dira quelqu'un.
86 C'est une chose horrible de sentir s'écouler ce qu'on possède. L'on ne s'y attachemême qu'avec l'envie de chercher s'il n'a point quelque chose de permanent.
87 L'homme est un sujet vide d'erreurs. Tout lui montre la vérité. Rien ne l'abuse. Lesdeux principes de la vérité, raison, sens, outre qu'ils ne manquent pas de sincérité,s'éclaircissent l'un l'autre. Les sens éclaircissent la raison par des apparencesvraies. Ce même service qu'ils lui font, ils la reçoivent d'elle. Chacun prend sarevanche. Les phénomènes de l'âme pacifient les sens, leur font des impressions que jene garantis pas fâcheuses. Ils ne mentent pas. Ils ne se trompent pas à l'envi.
88 La poésie doit être faite par tous. Non par un. Pauvre Hugo! Pauvre Racine! PauvreCoppée! Pauvre Corneille! Pauvre Boileau! Pauvre Scarron! Tics, tics, et tics.
89 Les sciences ont deux extrémités qui se touchent. La première est l'ignorance où setrouvent les hommes en naissant. La deuxième est celle qu'atteignent les grandes âmes.Elles ont parcouru ce que les hommes peuvent savoir, trouvent qu'ils savent tout, serencontrent dans cette même ignorance d'où ils étaient partis. C'est une ignorancesavante, qui se connaît. Ceux d'entre eux qui, étant sortis de la première ignorance,n'ont pu arriver à l'autre, ont quelque teinture de cette science suffisante, font lesentendus. Ceux-là ne troublent pas le monde, ne jugent pas plus mal de tout que lesautres. Le peuple, les habiles composent le train d'une nation. Les autres, qui larespectent, n'en sont pas moins respectés.
90 Pour savoir les choses, il ne faut pas en savoir le détail. Comme il est fini, nosconnaissance sont solides.
91 L'amour ne se confond pas avec la poésie.
92 La femme est à mes pieds!
93 Pour décrire le ciel, il ne faut pas y transporter les matériaux de la terre. Il fautlaisser la terre, ses matériaux, là où ils sont, afin d'embellir la vie par son idéal.Tutoyer Elohim, lui adresser la parole, est une bouffonerie qui n'est pas convenable. Lemeilleur moyen d'être reconnaissant envers lui, n'est pas de lui corner aux oreillesqu'il est puissant, qu'il a créé le monde, que nous sommes des vermiceaux en comparaisonde sa grandeur. Il le sait mieux que nous. Les hommes peuvent se dispenser de le luiapprendre. Le meilleur moyen d'être reconnaissant envers lui est de consoler l'humanité,de rapporter tout à elle, de la prendre par la main, de la traiter en frère. C'est plusvrai.
94 Pour étudier l'ordre, il ne faut pas étudier le désordre. les expériencesscientifiques, comme les tragédies, les stances à ma soeur, le galimatias des infortunesn'ont rien à faire ici-bas.
95 Toutes les lois ne sont pas bonnes à dire.
96 Etudier le mal, pour faire sortir le bien, n'est pas étudier le bien en lui-même. Unphénomène bon étant donné, je chercherai sa cause.
97 Jusqu'à présent, l'on a décrit le malheur, pour inspirer la terreur, la pitié. Jedécrirai le bonheur pour inspirer leurs contraires.
98 Une logique existe pour la poésie. Ce n'est pas la même que celle de la philosophie.Les philosophes ne sont pas autant que les poètes. Les poètes ont le droit de seconsidérer au-dessus des philosophes.
99 Je n'ai pas besoin de m'occuper de ce que je ferai plus tard. Je devais faire ce que jefais. Je n'ai pas besoin de découvrir quelles choses je découvrirai plus tard. Dans lanouvelle science, chaque chose vient à son tour, telle est son excellence.
100 Il y a de l'étoffe du poète dans les moralistes, les philosophes. Les poètesrenferment le penseur. Chaque caste soupçonne l'autre, développe ses qualités audétriment de celles qui la rapprochent de l'autre caste. La jalousie des premiers ne veutpas avouer que les poètes sont plus forts qu'elle. L'orgueil des derniers se déclareincompétent à rendre justice à des cervelles plus tendres. Quelle que soitl'intelligence d'un homme, il faut que le procédé de penser soit le même pour tous.
101 L'existence des tics étant constatée, que l'on ne s'étonne pas de voir les mêmesmots revenir plus souvent qu'à leur tour; dans Lamartine, les pleurs qui tombent desnaseaux de son cheval, la couleur des cheveux de sa mère; dans Hugo, l'ombre et ledétraqué, font partie de la reliure.
102 La science que j'entreprends est une science distincte de la poésie. Je ne chante pascette dernière. Je m'efforce de découvrir sa source. A travers le gouvernail qui dirigetoute pensée poétique, les professeurs de billard distingueront le développement desthèses sentimentales.
103 Le théorème est railleur de sa nature. Il n'est pas indécent. Le théorème nedemande pas à servir d'application. L'application qu'on en fait rabaisse le théorème,se rend indécente. Appelez la lutte contre la matière, contre les ravages de l'esprit,application.
104 Lutter contre le mal, est lui faire trop d'honneur. Si je permets aux hommes de lemépriser, qu'ils ne manquent pas de dire que c'est tout ce que je puis faire pour eux.
105 L'homme est certain de ne pas se tromper.
106 Nous ne nous contentons pas de la vie que nous avons en nous. Nous voulons vivre dansl'idée des autres d'une vie imaginaire. Nous nous efforçons de paraître tels que noussommes. Nous travaillons à conserver cet être imaginaire, qui n'est autre chose que levéritable. Si nous avons la générosité, la fidélité, nous nous empressons de ne pasle faire savoir, afin d'attacher ces vertus à cet être. Nous ne les détachons pas denous pour les y joindre. Nous sommes vaillants pour acquérir la réputation de ne pasêtre poltrons. Marque de la capacité de notre être de ne pas être satisfait de l'unsans l'autre, de ne renoncer ni à l'un ni à l'autre. L'homme qui ne vivrait pas pourconserver sa vertu serait infâme.
107 Malgré la vue de nos grandeurs, qui nous tient à la gorge, nous avons un instinctqui nous corrige, que nous ne pouvons réprimer, qui nous élève!
108 La nature a des perfections pour montrer qu'elle est l'image d'Elohim, des défautspour montrer qu'elle n'en est pas moins que l'image.
109 Il est bon qu'on obéisse aux lois. Le peuple comprend ce qui les rend justes. On neles quitte pas. Quand on fait dépendre leur justice d'autre chose, il est aisé de larendre douteuse. Les peuples ne sont pas sujets à se révolter.
110 Ceux qui sont dans le déréglement disent à ceux qui sont dans l'ordre que ce sonteux qui s'éloignent de la nature. Ils croient le suivre. Il faut avoir un point fixe pourjuger. Où ne trouverons-nous pas ce point dans la morale?
111 Rien n'est moins étrange que les contrariétés que l'on découvre dans l'homme. Ilest fait pour connaître la vérité. Il la cherche. Quand il tâche de la saisir, ils'éblouit, se confond de telle sorte, qu'il ne donne pas sujet à lui en disputer lapossession. Les uns veulent ravir à l'homme la connaissance de la vérité, les autresveulent la lui assurer. Chacun emploie des motifs si dissemblables, qu'ils détruisentl'embarras de l'homme. Il n'a pas d'autre lumière que celle qui se trouve dans sa nature.
112 Nous naissons justes. Chacun tend à soi. C'est envers l'ordre. Il faut tendre augénéral. La pente vers soi est la fin de tout desordre,en guerre,en economie.
113 Les hommes, ayant pu guérir de la mort, de la misère, de l'ignorance, se sontavisés, pour se rendre heureux, de n'y point penser. C'est tout ce qu'ils ont pu inventerpour se consoler de si peu de maux. Consolation richissime. Elle ne va pas à guérir lemal. Elle le cache pour un peu de temps. En le cachant, elle fait qu'on pense à leguérir. Par un légitime renversement de la nature de l'homme, il ne se trouve pas quel'ennui, qui est son mal le plus sensible, soit son plus grand bien. Il peut contribuerplus que toutes choses à lui faire chercher sa guérison. Voilà tout. Le divertissement,qu'il regarde comme son plus grand bien, est son plus infime mal. Il le rapproche plus quetoutes choses de chercher le remède à ses maux. L'un et l'autre sont une contre-preuvede la misère, de la corruption de l'homme, hormis de sa grandeur. L'homme s'ennuie,cherche cette multitude d'occupations. Il a l'idée du bonheur qu'il a gagné; lequeltrouvant en soi, il le cherche, dans les choses extérieures. Il se contente. Le malheurn'est ni dans nous, ni dans les créatures. Il est en Elohim.
114 La nature nous rendant heureux en tous états, nos désirs nous figurent un étatmalheureux. Ils joignent à l'état où nous sommes les peines de l'état où nous nesommes pas. Quand nous arriverions à ces peines, nous ne serions pas malheureux pourcela, nous aurions d'autres désirs conformes à un nouvel état.
115 La force de la raison paraît mieux en ceux qui la connaissent qu'en ceux qui ne laconnaissent pas.
116 Nous sommes si peu présomptueux que nous voudrions être connu de la terre, même desgens qui viendront quand nous n'y serons plus. Nous sommes si peu vains, que l'estime decinq personnes, mettons six, nous amuse, nous honore.
117 Peu de chose nous console. Beaucoup de chose nous afflige.
118 La modestie est si naturelle dans le coeur de l'homme, qu'un ouvrier a soin de ne passe vanter, veut avoir ses admirateurs. Les philosophes en veulent. les poètes surtout!Ceux qui écrivent en faveur de la gloire veulent avoir la gloire d'avoir bien écrit.Ceux qui le lisent veulent avoir la gloire de l'avoir lu. Moi, qui écris ceci, je mevante d'avoir cette envie. Ceux qui le liront se vanteront de même.
119 Les inventions des hommes vont en augmentant. La bonté, la malice du monde engénéral ne reste pas la même.
120 L'esprit du plus grand homme n'est pas si dépendant, qu'il soit sujet à êtretroublé par le moindre bruit du Tintamarre, qui se fait autour de lui. Il ne faut pas lesilence d'un canon pour empêcher ses pensées. Il ne faut pas le bruit d'une girouette,d'une poulie. La mouche ne raisonne pas bien à présent. Un homme bourdonne à sesoreilles. C'en est assez pour la rendre incapable de bon conseil. Si je veux qu'ellepuisse trouver la vérité, je chasserai cet animal qui tient sa raison en échec, troublecette intelligence qui gouverne les royaumes.
121 L'objet de ces gens qui jouent à la paume avec tant d'application d'esprit,d'agitation de corps, est celui de se vanter avec leurs amis qu'ils ont mieux joué qu'unautre. C'est la source de leur attachement. Les uns suent dans leurs cabinets pour montreraux savants qu'ils ont résolus une question d'algèbre qui ne l'avait pu être jusqu'ici.Les autres s'exposent aux périls, pour se vanter d'une place qu'ils auraient prise moinsspirituellement, à mon gré. Les derniers se tuent pour remarquer ces choses. Ce n'estpas pour en devenir moins sages. C'est surtout pour montrer qu'ils en connaissent lasolidité. Ceux-là sont les moins sots de la bande. Ils le sont avec connaissance. Onpeut penser des autres qu'ils ne le seraient pas, s'ils n'avaient pas cette connaissance.
122 L'exemple de la chasteté d'Alexandre n'a pas fait plus de continents que celui de sonivrognerie a fait de tempérants. On n'a pas de honte de n'être pas aussi vertueux quelui. On croit n'être pas tout à fait dans les vertus du commun des hommes, quand on sevoit dans les vertus de ces grands hommes. On tient à eux par le bout par où ilstiennent au peuple. Quelques élevés qu'ils soient, ils sont unis au reste des hommes parquelque endroit. Ils ne sont pas suspendu en l'air, séparés de notre société. S'ilssont plus grands que nous, c'est qu'ils ont les pieds aussi haut que les nôtres. Ils sonttous à même niveau, s'appuient sur la même terre. Par cette extrémité, ils sont aussirelevés que nous, que le enfants, un peu plus que les bêtes.
123 Le meilleur moyen de persuader consiste à ne pas persuader.
124 Le désespoir est la plus petite de nos erreurs.
125 Lorsqu'une pensée s'offre à nous comme une vérité qui court les rues, que nousprenons la peine de la développer, nous trouvons que c'est une découverte.
126 On peut être juste, si l'on n'est pas humain.
127 Les orages de la jeunesse précèdent les jours brillants.
128 l'inconscience, le déshonneur, la lubricité, la haine, le mépris des hommes sont àprix d'argent. La libéralité multiplie les avantages des richesses.
129 Ceux qui ont de la probité dans leurs plaisirs en ont une sincère dans leursaffaires. C'est la marque d'un naturel peu féroce, lorsque le plaisir rend humain.
130 La modération des grands hommes ne borne que leurs vertus.
131 C'est offenser les humains que de leur donner des louanges qui élargissent les bornesde leur mérite. Beaucoup de gens sont assez modestes pour souffrir sans peine qu'on lesapprécie.
132 Il faut tout attendre, rien craindre du temps, des hommes.
133 Si le mérite, la gloire ne rendent pas les hommes malheureux, ce qu'on appellemalheur ne mérite pas leurs regrets. Une âme daigne accepter la fortune, le repos, s'illeur faut superposer la vigueur de ses sentiments, l'essor de son génie.
134 On estime les grands desseins, lorsqu'on se sent capable des grands succès.
135 La réserve est l'apprentissage des esprits.
136 On dit des choses solides, lorsqu'on ne cherche pas à en dire d'extraordinaires.
137 Rien n'est faux qui soit vrai; rien n'est vrai qui soit faux. Tout est le contraire desonge, de mensonge.
138 Il ne faut pas croire que ce que la nature a fait aimable soit vicieux. Il n'y a pasde siècle, de peuple qui ait établi des vertus, des vices imaginaires.
139 On ne peut juger de la beauté de la vie que par celle de la mort.
140 Un dramaturge peut donner au mot passion une signification d'utilité. Ce n'est plusun dramaturge. Un moraliste donne à n'importe quel mot une signification d'utilité.C'est encore le moraliste!
141 Qui considère la vie d'un homme y trouve l'histoire du genre. Rien n'a pu le rendremauvais.
142 Faut-il que j'écrive en vers pour me séparer des autres hommes ? Que la charitéprononce!
143 Le prétexte de ceux qui font le bonheur des autres est qu'ils veulent leur bien.
144 La générosité jouit des félicités d'autrui, comme si elle en était responsable.
145 L'ordre domine dans le genre humain. La raison, la vertu n'y sont pas les plus fortes.
146 Les princes font peu d'ingrats. Ils donnent tout ce qu'ils peuvent.
147 On peut aimer de tout son coeur ceux en qui on reconnaît de grands défauts. Il yaurait de l'impertinence à croire que l'imperfection a seule le droit de nous plaire. Nosfaiblesses nous attachent les uns aux autres autant que pourrait le faire ce qui n'est pasla vertu.
148 Si nos amis nous rendent des services, nous pensons qu'à titre d'amis ils nous lesdoivent. Nous ne pensons pas du tout qu'ils nous doivent leur inimitié.
149 Celui qui serait né pour commander, commanderait jusque sur le trône.
150 Lorsque les devoirs nous ont épuisés, nous croyons avoir épuisé les devoirs. Nousdisons que tout peut remplir le coeur de l'homme.
151 Tout vit par l'action. De là, communication des êtres, harmonie de l'univers. Cetteloi si féconde de la nature, nous trouvons que c'est un vice dans l'homme. Il est obligéd'y obéir. Ne pouvant subsister dans le repos, nous concluons qu'il est à sa place.
152 On sait ce que sont le soleil, les cieux. Nous avons le secret de leurs mouvements.Dans la main d'Elohim, instrument aveugle, ressort insensible, le monde attire noshommages. Les révolutions des empires, les faces des temps, les nations, les conquérantsde la science, cela vient d'un atome qui rampe, ne dure qu'un jour, détruit le spectaclede l'univers dans tous les âges.
153 Il y a plus de vérités que d'erreurs, plus de bonnes qualités que de mauvaises,plus de plaisirs que de peines. Nous aimons à contrôler le caractère. Nous nousélevons au-dessus de notre espèce. Nous nous enrichissons de la considération dont nousla comblâmes. Nous croyons ne pas pouvoir séparer notre intérêt de celui del'humanité, ne pas médire du genre sans nous commettre nous-mêmes. Cette vanitéridicule a rempli les livres d'hymnes en faveur de la nature. L'homme est en disgrâcechez ceux qui pensent. C'est à qui le chargera de moins de vices. Quand ne fut-il pas surle point de se relever, de se faire restituer ses vertus ?
154 Rien n'est dit. L'on vient trop tôt depuis plus de sept mille ans qu'il y a deshommes. Sur ce qui concerne les moeurs, comme sur le reste, le moins bon est enlevé. Nousavons l'avantage de travailler après les anciens, les habiles d'entre les modernes.
155 Nous sommes susceptibles d'amitié, de justice, de compassion, de raison. O mes amis!qu'est-ce donc que l'absence de vertu ?
156 Tant que mes amis ne mourront pas, je ne parlerai pas de la mort.
157 Nous sommes consternés de nos rechutes, de voir que nos malheurs ont pu nous corrigerde nos défauts.
158 On ne peut juger de la beauté de la mort que par celle de la vie.
159 Les trois points terminateurs me font hausser les épaules de pitié, A-t-on besoin decela pour prouver que l'on est un homme d'esprit, c'est-à-dire un imbécile? Comme si laclarté ne valait pas le vague, à propos de points!
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