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L'avant-garde en dix leçons

13 September 2005 - 05:18 PM

Tu es poète. Tu en as assez de ronronner dans le sonnet, la villanelle et le rondel. Les relents de naphtaline de la rime en arrivent à te donner la nausée. Tu veux du neuf.

Pas de problème, l'avant-garde est là. Mais pour en faire partie mieux vaut être briefer. Voici donc dix leçons essentielles :

1 – Choisir un pseudo avant-gardiste. Là tu as le choix : soit un poète antique (Ovide par exemple) c'est ultra tendance car écrire de la poésie contemporaine sous la signature d'un ancien crée un décalage structurel structurant parfaitement déstructurant ! Ou bien, tu peux te déchaîner sur les anagrammes : Vidéo, excellent pseudo qui te fait entrer dans la modernité, tout en gardant un bout d'orteil dans l'antique.

2 – Multiplier les pseudos avant-gardistes. Le poète en avance sur son temps ne possède pas moins de 72 pseudos, chiffre arbitrairement fixé par moi en hommage aux hétéronymes de Pessoa. En dessous de ce chiffre tu es un trou du cul. L'intérêt des multiples pseudos est évident : tu te réponds à toi même, ce qui te rend très visible aux yeux de tous (il faut bien être lu) et parfois insupportable, mais là tu t'en fous car c'est le but aussi ! Et puis tu peux insulter, calomnier, chier sur la production d'autrui en toute impunité. Les Bourgeois appellent cela de la lâcheté, les cons…

3 – Ecrire. Là on passe plus vite. Ecrire présente peu d'intérêt en réalité car tout a déjà été dit et son contraire. Aussi si tu veux vraiment écrire le mieux est de soit plagier (les mots sont à tout le monde…), soit utiliser un générateur de poèmes (il y en a qui donne d'excellents résultats). Et puis n'oublie pas, l'idée des générateurs de poèmes vient directement d'une formidable avant-garde : l'oulipo.

4 – Commenter. C'est le cœur de ton activité car faire partie de l'avant-garde ne signifie pas marquer de son empreinte l'Histoire de la Littérature mais emmerder les bourgeois. Aussi une seule arme : le commentaire ! Et là il faut que ça saigne, tu dois être celui qui hurle le plus fort, on doit palper ton mépris pour ces soit disants poètes nés un Mont-Blanc entre les doigts et qui passent leurs journées à se le fourrer dans le nombril. Toi, tu dénonces, tu polémiques, tu portes haut la Cause de l'Avant-Garde, la haine t'anime ! Tu verras, ça soulage rudement…

5 – Se faire virer des forums. Ultra important ! Il faut qu'on t'expulse, qu'on te bannisse, qu'on te censure. Autrement tu risques de t'institutionnaliser et sans en avoir même conscience devenir un membre de toute le poésie… En plus, ta haine du système sera renforcer à chaque expulsion… N'oublie pas de jouer les vierges effarouchée et reviens immédiatement avec un autre pseudo.

6 – Insulter. L'insulte est la marque absolue de l'appartenance à l'avant-garde. Si tu fais tomber un truc et dis "flûte" on sait immédiatement que tu es un bourgeois, mais si tu dis "putain de merde de couilles" là c'est avant-gardiste. Donc à utiliser sans modération (d'ailleurs on se fout aussi de la modération) dans les poèmes et commentaires.

7 – Défendre la Cause. Surtout pas d'art pour l'art, pas de beau pour le plaisir des yeux et des oreilles, de l'art uniquement pour la Cause. Laquelle ? Mais celle du Prolétariat, du peuple en lutte contre le capitalisme mondialisé, ses cliques multinationalisées et ses délocalisations. La poésie est l'arme ultime pour abattre le système (évidemment ce jour là on aura plus internet, mais on s'en fout d'internet !).

8 – Trouver une famille avant-gardiste. Ceci est facultatif dans la mesure où les sept leçons précédentes suffisent à faire partie de l'avant-garde mais si ça fait pas de bien ça fait pas de mal non plus : surréalisme, dada, grand jeu, oulipo, réalisme, etc. Tout de suite ça en jette et renforce l'aspect sérieux de la démarche (attention à ne pas trop en faire car tu pourrais aussi tomber dans le travers typiquement bourgeois de la référence révérencieuse).

9 – Etre prétentieux. Tu vas me dire ça ne s'invente pas. Ok mais si tu pouvais être naturellement prétentieux ça serait mieux car l'entreprise avant-gardiste est par nature prétentieuse. Quelque chose me dit que tu dois l'être un peu puisque tu veux en faire partie, petit cachottier, va !

10 – On s'en fout. N'oublie surtout pas : on s'en fout !

Conformisme de l'anti-conformisme

07 September 2005 - 11:55 PM

Vous avez sûrement remarqué tous ces poètes anti-conformistes qui pullulent. Ces Nova, ces Hurlante, ces Kim, ces Sakkat, ces je-me-prends-pour-le-poète-génial-du-21ème-siècle-et-j'emmerde-les-autres.
Il y a même des lieux où ils fourmillent : dans les institutions ultra-conformistes de la poésie francophone (ici même) qu'il s'agit de débiner ou de détruire ou bien dans les non moins institutionnelles officines de la libre pensée nouvelle et ô combien originale (la Fourmilière par exemple) où ils font alors œuvre de Création (avec un grand C car là on touche au Divin !).

Vous avez peut-être remarqué aussi combien ces anti-conformistes sont terriblement conformistes. Il y a comme un conformisme de l'anti-conformisme.

Le langage d'abord toujours insultant : étrons, vomi, bite, couilles, sodomie, etc. Si tu n'utilises pas un de ces termes dans un texte tu es un horrible petit bourgeois rétréci du cul (mais ne t'en fais pas trop quand le grand soir viendra on saura proprement te l'élargir à coup de slogans et d'idéologie : un bon lavement ça n'a jamais tué personne !).

L'attaque personnelle ensuite, arme préférée des lâches derrière leur clavier. Ne surtout jamais attaqué un texte, le critiquer sur le fond, se serait se commettre avec cette petite bourgeoisie qui écrit si bien des vers si ronds et si bien rimés. Alors attaquons les personnes, c'est bien mieux et demande beaucoup moins d'efforts intellectuels (qu'il faut conserver pour l'œuvre Créatrice) et tant pis ou tant mieux si on fait mal (Béa je pense à toi !).

Nier toutes règles surtout celles que véhiculent la culture petite-bourgeoise : l'orthographe, la grammaire, la prosodie. Au tapis, du neuf, il faut Créer ! Nier aussi les règles de la propriété intellectuelle – concept purement bourgeois – les mots tout comme la terre ne sont à personne et les poèmes à tous (vive le plagiat !).

Enfin, il faut mais c'est bien sûr Créer. Pour ça rien de plus simple : tu écris tout ce qui te passes pas la tête, tu as le droit de t'aider de substances bizarres et illicites. Et puis quand tu as fini de déverser ta logorrhée verbale tu ne la retouches surtout pas (il faut capturer l'étincelle créatrice que ton seul génie a su produire : le travail c'est bon pour les prolos de la poésie pas pour son élite !).

Et tout cela nous donne quoi ? Des dizaines de Brice de Nice qui s'amusent à casser à tout va (ça marche aussi avec les poèmes), de soi-disant poètes géniaux qui entassent leur production tellement neuve et osée qu'on dirait un come-back des Gypsy Kings (me demandez pas pourquoi les Gypsy Kings c'est mon génie créateur qui parle !), une poésie qui se répète, se prend au sérieux et au final nous emmerde (à quelques exceptions près : j'aime beaucoup ce que fait Bissecta mais là attention, chapeau bas : talent !).

Il serait grand temps que les anti-conformismes se tournent vers leur propre conformisme, nous lâchent la grappe – évidemment et infiniment petite bourgeoise – et foutent un grand coup de pied dans leur propre fourmilière.