- Bonjour, excusez-moi, je viens juste d’arriver. Je fais quoi ici ?
- Votre nom déjà ?
- Pierre Legrand, mais…
- Asseyez-vous, je vous prie. Nous allons faire un bilan de votre ancienne situation.
- Aurais-je raté quelque chose ?
- On doit parler de certaines affaires avant qu’elles ne tombent dans l’oubli.
- Attendez, pourriez-vous m’expliquer…
- C’est simple, à la vue du planning établit lors de votre naissance, on ne peut pas dire
que tout ait été rondement mené, et encore moins les objectifs atteints.
- Ah bon ! J’avais l’impression de m’en être pourtant bien sorti.
- Oui, tout à fait, vous en êtes sorti, de la route… Encore que là c’était aussi loin d’être prévu.
- Mince, ça aussi je l’ai foiré ?
- Et oui, hélas…
- Reprenez-moi si je me trompe, c’est un point sur ma vie que l’on fait ici ?
- Perspicace…
- Pour moi ma vie fut bien remplie. Où est le problème ?
- Vous avez toujours su assumer vos actes, mais combien en avez-vous gâché ?
- Bof. En quarante ans, sûrement quelques-uns.
- Approximativement ?
- Vous êtes drôle, j’aurais dû les noter sur un calepin peut-être ?
- Si vous l’aviez fait, vous ne seriez pas là. Reprenons par votre jeunesse.
- Moi je ne vois rien de spécial. Elevé par mes deux parents avec ma sœur dans un petit
pavillon banlieusard. Etudes moyennes, bien que là, avec un petit effort, je m’en sois mieux
tiré. Mais, qu’importe…
- Vraiment ? Ne croyez-vous pas que ce PETIT effort vous aurait aiguillé sur une véritable
carrière ?
- Ben, mon B.E.P en électronique m’a permis de vivre convenablement.
- Passons, si votre décision d’enterrer une partie de votre avenir en délaissant les études ne
vous accable pas plus que cela.
- Oui je sais, avec mes facilités en mathématiques j’aurais pu me tourner vers des études
supérieures, comme me l’a tant dit mon père. Finalement, j’ai fais mon bout de chemin
autrement, et je n’y aurais pas rencontré ma femme.
- Oui, je vois. Toujours la même excuse chez ces hommes… Parlons justement de votre père…
- Euh ! Disons que là, oui… Je suis parti fâcher de la maison et il s’en est allé avant que je
puisse m’excuser ou lui me pardonner.
- Combien de temps êtes-vous resté sans lui parler ?
- 15 ans. Quand je suis enfin arrivé à l’hôpital pour le voir, c’était trop tard.
- hum ! Et votre fils ?
- On s’est disputé il y a un peu plus d’un an quand il a décidé de ne pas suivre la filière que…
merde, je me suis encore vautré.
- Encore. Problème de schéma familial. Vous êtes mon soixante-huitième dossier d’admission ce
jour et on retombe dans les mêmes travers. L’originalité se perd de nos jours, si seulement
la notion de jour à une quelconque importance ici, alors que sur terre le temps y est si
précieux et vos comportements si lapidaires.
- Je suis désolé.
- Voilà que ça recommence. On va faire plus simple. Je vous donne ce formulaire, il contient une
énumération de vos actions dans l’ordre croissant de votre vie. Précisez dans les colonnes
appropriées ce qu’il en a aboutit ou ce que vous auriez pu en faire vraiment.
- Bon dieu, il y a un paquet de pages !
- Restez courtois je vous prie. Installez-vous dans la salle d’à côté, ne vous affolez pas, vous
allez avoir tout le temps pour y réfléchir et le compléter.
- Bien. Je vais donc juste m’installer là ?
- Oui et n’oubliez pas de prendre un ticket. Remplissez bien votre dossier en attendant que l’on
vous appelle.
Pierre tire machinalement sur le dévidoir et pénètre dans la salle…
« Purée, quel monde ici. » Se dit-il.
Il s’assoit. Son regard se pose sur le compteur lumineux affiché au mur blanc.
« 723 »
Il vérifie le numéro de son ticket « 1.235.348 »
- SUIVANT !!! -
15/03/06
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