Gentil Rousseau tu nous entends Nous te saluons Delaunay sa femme Monsieur Queval et moi Laisse passer nos bagages en franchise à la porte du ciel Nous t'apporterons des pinceaux des couleurs des toiles Afin que tes loisirs sacrés dans la lumière réelle Tu les consacres à peindre comme tu tiras mon portrait La face des étoiles Tu te souviens, Rousseau, du paysage astèque, Des forêts où poussaient la mangue et l'ananas, Des singes répandant tout le sang des pastèques Et du blond empereur qu'on fusilla là-bas. Les tableaux que tu peins, tu les vis au Mexique, Un soleil rouge ornait le front des bananiers, Et valeureux soldat, tu troquas ta tunique, Contre le dolman bleu des braves douaniers. Le malheur s'acharna sur ta progéniture Tu perdis tes enfants et tes femmes aussi Et te remarias avecque la peinture Pour faire tes tableaux, enfants de ton esprit. Nous sommes réunis pour célébrer ta gloire, Ces vins qu'en ton honneur nous verse Picasso, Buvons-les donc, puisque c'est l'heure de les boire En criant tous en chur : " Vive ! vive Rousseau ! " Ô peintre glorieux de l'alme République Ton nom est le drapeau des fiers Indépendants Et dans le marbre blanc, issu du Pentélique, On sculptera ta face, orgueil de notre temps. Or sus ! que l'on se lève et qu'on choque les verres Et que renaisse ici la française gaîté ; Arrière noirs soucis, fuyez ô fronts sévères, Je bois à mon Rousseau, je bois à sa santé ! Guillaume Apollinaire(1880 - 1918) Poèmes de Guillaume Apollinaire |