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poeme

L'assassin

    Chaque matin quand je me lève
    Une femme se dresse devant moi
    Elle ressemble à tout ce qu'hier
    J'ai vu de l'univers

    Le jour d'avant j'ai pénétré
    Dans cette chevelure
    Forêt profonde forêt obscure
    Où poussent et s'entrelacent
    Les branches de mes pensées
    Et aux usines de la face
    Ô mon ennemie matinale
    On fondait et façonnait hier
    Tous les métaux de mes paroles

    Et dans ses poings qui la défendent
    Masses de fonte impitoyables
    Je reconnais je reconnais
    Les marteaux-pilons
    De ma volonté

    MON ALAMBIC vos yeux ce sont mes ALCOOLS
    Et votre voix m'enivre ainsi qu'une eau-de-vie
    Des clartés d'astres saouls aux monstreux faux cols
    Brûlaient votre ESPRIT sur ma nuit inassouvie

    JE suis au bord de l'océan sur une plage,
    Fin d'été : je vois fuir les oiseaux de passage.
    Les flots en s'en allant ont laissé des lingots :
    Les méduses d'argent. Il passe des cargos
    Sur l'horizon lointain et je cherche ces rimes
    Tandis que le vent meurt dans les pins maritimes.

    Je pense à Villequier " arbres profonds et verts "
    La Seine non pareille aux spectacles divers
    L'Église les tombeaux et l'hôtel des pilotes
    Où flotte le parfum des brunes matelotes.
    Les noirceurs de mon âme ont bien plus de saveur.

    Et le soleil décline avec un air rêveur
    Une vague meurtrie a pâli sur le sable
    Ainsi mon sang se brise et mon cœur misérable
    Y déposant auprès des souvenirs noyés
    L'échouage vivant de mes amours choyés.

    L'océan a jeté son manteau bleu de roi
    Il est sauvage et nu maintenant dans l'effroi
    De ce qui vit. Mais lui défie à la tempête
    Qui chante et chante et chante ainsi qu'un grand poète.

    La nuit descend comme une fumée rabattue
    Je suis triste ce soir que le froid sec rend triste
    Les soldats chantent encore avant de remonter

    Et tels qui vont mourir demain chantent ainsi que des enfants
    D'autres l'air sérieux épluchent des salades
    J'attends de nouveaux poux et de neuves alertes
    J'espère tout le courage qu'il faut pour faire son devoir
    J'attends la banquette de tir
    J'attends le quart nocturne
    J'attends que monte en moi la simplicité de mes grenadiers
    J'attends le grog à la gnole
    Qui nous réchauffe
    Dans les tranchées
    La nuit descend comme une fumée rabattue
    Les lièvres et les hases bouquinent dans les guérets

    La nuit descend comme un agenouillement
    Et ceux qui vont mourir demain s'agenouillent
    Humblement
    L'ombre est douce sur la neige
    La nuit descend sans sourire
    Ombre des temps qui précède et poursuit l'avenir

Guillaume Apollinaire(1880 - 1918)

Poèmes de Guillaume Apollinaire